Perdu en pleine garrigue, parmi les buis et les chênes verts, l’atelier de Yann Thomas s’ouvre largement sur la nature…, l’évasion. Il s’y est installé le 11 novembre 2011. Il a déposé là ses outils, et ses idées novatrices, ses rêves aussi, après un parcours personnel et professionnel sinueux. Né à Saint-Étienne, il a vécu à Brest, Toulon, en Alsace où il travaillait pour un syndicat intercommunal au développement des alternatives de déplacement à l’automobile, après avoir été un temps ingénieur pour l’armée. Puis vint le temps d’un grand voyage en famille sur les routes du Portugal et de l’Espagne, à vélo bien sûr ! Il a fabriqué pour ce voyage deux tandems adulte-enfant. Il savait qu’au retour de ce périple, il reprendrait ses outils pour façonner son avenir au fil des tubes en acier. "Enfant je bricolais déjà des vélos, nous déclare Yann. Et à seize ans, j’ai coupé deux vélos en deux pour en faire mon premier tandem. Après je n’ai plus jamais cessé, car le vélo n’est pas un objet totalement abouti, il existe de nombreuses pistes à explorer et je ne manque pas d’idées."
Yann voulait créer des vélos "made in France" et il avait envie de développer un cadre qui aurait été façonné à partir d’un unique tube en acier. Ce projet n’a pas été mené à bien car la nécessité le fit dériver vers le "fat bike", un vélo muni de roues très grosses pour évoluer aisément dans le sable, les cailloux et accessoirement la neige… En cinq années, Yann a fabriqué cent quarante vélos, la plupart pour des cyclistes passionnés ; des "fat bike" pour la grande majorité, mais aussi des tandems adulte-enfant et des pièces uniques un peu particulières comme pour un couple d’handicapés moteur, ou encore un vélo solaire.
"J’aime savoir pour qui je travaille, poursuit-il. Au moment de la commande, je pars rouler avec la personne pour définir ensemble les caractéristiques de son futur cadre." En effet, quelques dimensions adaptées et le vélo n’est plus le même. Il peut devenir sage et tranquille, se montrer joueur ou exigeant, il peut répondre docilement aux commandes du cycliste ou n’en faire qu’à sa tête. "À chaque cycliste son vélo, c'est en fonction de son degré de maîtrise technique, nous assure Yann. La géométrie du vélo fait toute la différence. "Dès le début Yann savait qu’il ne lui plairait pas de tout faire de A à Z. En fait, son truc à lui, c’est la création et la fabrication du cadre, le squelette du vélo en quelque sorte, la pièce maîtresse. Alors rapidement il a rencontré Fred Paulet, créateur de "Cévènavélo" installé aux Vans. Ce jeune technicien prend le relais pour finaliser l’équipement des vélos en prenant en compte les attentes et les besoins des propriétaires, même si certains, parmi ces derniers, assument eux-mêmes le montage. Il en va ainsi des vélos de la marque Salamandre, mais nos deux passionnés travaillent aussi sur la marque Recyclette.
Comme son nom l’indique, une contraction de recyclage et bicyclette ; l’idée est de donner une seconde vie aux vélos mis au rebut. À partir d’anciens modèles de VTT des années quatre-vingt, Yann propose un cadre adapté que Fred équipe pour faire naître un nouveau vélo de voyage extrêmement performant à un prix raisonnable ou un vélo plus utilitaire dans le quotidien de chacun. Et enfin, un troisième larron, Pierre Rousseau travaille sur des vélos de route sous la même formule. "Les clients sont sensibles à cette notion de recyclage, explique Fred. C'est pour ça que nous proposons des vélos fiables et durables, des vélos faits main. Cette démarche est nouvelle, et elle est prometteuse d'avenir."
Pour disposer de "son" vélo, qu’il soit signé Salamandre ou Recyclette, il faut compter entre trente et quarante jours de délais. En deux jours Yann façonne le cadre, qui ensuite part à la peinture à Pierrelatte où il reste trois semaines environ, car plusieurs cadres fabriqués sont réunis avant cette étape esthétique. Le cadre revient à l’atelier de Yann pour quelques finitions, et c'est là que Fred s’en empare pour le montage des équipements et les réglages. "Je m’épanouis vraiment dans ce travail, conclut Yann. Quand je me lève le matin je suis heureux de pousser la porte de l’atelier. On pourrait penser que je répète toujours les mêmes gestes, oui, c’est un peu vrai, mais l’essentiel est que ces mêmes gestes ne sont jamais pour les mêmes personnes. "