Les Salaisons Ardéchoises

Article paru en décembre 2015
Mis en ligne en juillet 2022

Reconnue depuis si longtemps pour la qualité de ses salaisons, l’Ardèche est une terre où l’on vient de loin pour faire provision de " cochonnailles " afin de supporter les rigueurs de l’hiver et préparer les repas de fêtes. Les salaisons ardéchoises œuvrent à la valorisation de cette viande qui se métamorphose parfois de façon inattendue sous l’imagination et le savoir-faire des charcutiers.

Pour conserver ses aliments, surtout la viande et le poisson, l’homme eut l’idée de les fumer et aussi de les saler. Ce dernier procédé remonterait à l’Antiquité, mais pratiqué alors de façon empirique, les résultats obtenus n’étaient sans doute pas toujours garantis. Pourtant le principe est simple : le sel diminue la quantité et l’activité de l’eau dans la viande, assurant ainsi sa conservation.

Traditionnellement, la viande est donc frottée à sec avec du sel. Il faut compter deux kilos de sel pour dix kilos de viande. Le frottement vigoureux permet au sel de pénétrer la surface de la viande. Ensuite, cette dernière est disposée dans un saloir (grande jarre en terre cuite, munie d’un couvercle) où l’on superpose une couche de viande, une couche de sel. Six mois sont nécessaires pour que les ferments lactiques développent un milieu acide garantissant la non-putréfaction de la viande. Étant donné la forte concentration de sel dans la viande à la sortie du saloir, il est naturellement indispensable de la dessaler par des bains d’eau froide, régulièrement renouvelés avant de pouvoir la consommer.
Le temps n’est pas si lointain où chaque famille dans nos campagnes, élevait son propre cochon pour un usage personnel. Le jour de l’abattage et de la transformation de sa viande était toujours un bien sympathique prétexte à une petite fête avec les voisins et les proches. On partageait le boudin, on salait la viande. Nos anciens se souviennent avec émotion de ces moments de joie et à n’en pas douter, dans l’attirance de chacun d’entre nous pour les salaisons, l’on retrouve une once de nostalgie de ces temps oubliés. Oubliés certes, mais cette tradition de la " saint-cochon " perdure encore en quelques lieux, quelques villages. Quant à l’installation de nombreuses salaisons en Montagne Ardéchoise, elle est la conséquence de la présence locale d’éleveurs de porcs, et ce depuis très longtemps.
Bien sûr quand on évoque les salaisons, on pense tout naturellement au jambon, dont les fines tranches se déclinant dans toutes les nuances de rose régalent gourmands et gourmets, mais les produits nés de la viande de cochon sont nombreux. Loin des standards de la charcuterie industrielle, les salaisons locales mettent tout en œuvre, leurs savoir-faire bien entendu, et leur amour de la terre, pour magnifier des productions d’un terroir irremplaçable. Dans le grand panier des salaisons, on trouve évidemment le saucisson. Il est composé d’un hachis de viande de porc, trois quarts de maigre et un quart de gras, le tout haché plus ou moins finement en fonction du résultat désiré, puis assaisonné de multiples façons selon les traditions locales. Pour ou contre, mais on peut adjoindre à la viande des fruits secs, des champignons, du fromage, du piment… Bref l’imagination de chaque charcutier est titillée au moment d’élaborer une nouvelle recette. Ce hachis est glissé, on dit embosser, dans un boyau naturel ou artificiel, et le tout est mis à sécher et parfois fumé pendant au minimum quatre semaines. Il en va ainsi de la naissance du saucisson sec. Le saucisson cuit à l’ail est étuvé et refroidi dans un bouillon. Le diamètre du saucisson varie, mais le plus souvent, il avoisine les cinq centimètres. Plus petit, il se nomme saucisse sèche et plus gros, jésus ou rosette… Bien sûr les temps de séchage, de fumage et d’affinage varient en fonction du diamètre du saucisson fabriqué. On trouve aussi de la poitrine fumée. Sous cette appellation, il s’agit d’un morceau de lard passé au saloir, séché et fumé enfin. Il faut savoir que lard désigne la viande de trois parties du porc, c’est-à-dire le dos, le ventre et la poitrine. C’est sur cette dernière partie que l’on trouve plus de viande maigre que de gras.

Les salaisons d’aujourd’hui proposent toutes quelques produits dérivés élaborés après transformation de la viande de porc, tels les pâtés, les terrines, le fromage de tête ou le jambonneau. Là encore, l’imagination des charcutiers est sans limite et à la viande sont souvent ajoutés cèpes, châtaignes et encore myrtilles. Tout ce que la généreuse nature de la Montagne Ardéchoise offre est mis en valeur au sein des salaisons pour magnifier la viande de porc. Et que les produits soient séchés, fumés ou transformés, pour tous les normes sanitaires sont strictement respectées, ce qui ne nuit en rien à la qualité des charcuteries proposées, bien au contraire.
Alors avant les Fêtes, faites un petit tour chez les padgels ou chez les raïols, de salaisons en salaisons, pour remplir votre panier et savourer au coin du feu un petit morceau de montagne ou de vallée.
Salage ou salaison ?
Ces deux mots semblent synonymes puisqu’ils désignent l’action de saler quelque chose. Mais dans les siècles passés on faisait une distinction entre eux. Le salage était l’action de saler un aliment pour le conserver et la salaison, la saison où il était coutume d’exercer le salage des aliments. Au fil des années et des décennies, salage est devenu l’action de saler les aliments au moment de leur consommation (ou pour l’entretien des routes qui est un usage beaucoup plus récent) et salaison l’action de saler pour la conservation. Et utiliser au pluriel, salaisons désigne des denrées, principalement le cochon, mais aussi la morue par exemple, conservées par le sel… L’évolution de la langue française offre de multiples vies aux mots qu’elle accepte.
Texte : Bruno Auboiron
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