Les jardins du Récatadou

Article paru en juillet 2023
Mis en ligne en juillet 2023
La culture du vide
 

Quand la terre manque, que le calcaire affleure partout aussi bien verticalement qu’horizontalement, l’homme n’a plus qu’une solution : aménager des terrasses pour cultiver et garantir sa survie. Si la tâche est ardue sur la pente d’une montagne, elle semble insurmontable au niveau de falaises. Et pourtant, certains l’ont fait, patiemment, au prix d’efforts et d’une obstination impensables de nos jours. Que de pierres remuées et empilées au-dessus du vide pour créer quelques modestes espaces plats. C’est à ce prix que naquirent les jardins suspendus du Récatadou.
Terrasses installées dans la verticalité d’un promontoire rocheux dominant la Baume en amont du village de Labeaume, ces jardins étaient ceux d’une ferme voisine. Pois chiches, fraisiers, petits pois et légumes de printemps y étaient cultivés. Lieux abandonnés au milieu du XXe siècle, ils connaissent depuis quelques années une renaissance grâce au travail incessant de passionnés au sein d’une association.

Mais qu’est-ce qui peut motiver ces hommes, tout à la fois paysans, carriers et maçons, à se lancer dans de tels travaux d’aménagement ? À cette légitime question, plusieurs réponses peuvent être apportées. Tout d’abord, le manque de terre cultivable par rapport à la surpopulation des campagnes au moment de leur création ; la commune de Labeaume comptait mille deux cent seize habitants au milieu du XIXe siècle. Ensuite, la volonté et l’obligation de mise en pratique d’une certaine autonomie à cette époque.

Le site rassemble donc un ancien mas au sommet d’une falaise d’une cinquantaine de mètres de hauteur par rapport au lit de la rivière. Les jardins réalisés sont en général de tailles réduites et d’une superficie inégale. Les hommes ont exploité au mieux les faiblesses de la roche pour monter des murets et déposer une confortable couche de terre arable. Sans doute, ces agencements datent du début du XIXe siècle, mais rien n’est prouvé car deux années sont gravées dans la roche : 1874 et 1891. Pour relier ces petits espaces de culture : des escaliers, des rampes et même des tunnels ou plus exactement des passages couverts dans les failles rocheuses. Il est amusant de noter que Récatadou peut se traduire par « lieu bien rangé ». Et il en était ainsi de ce site, mais l’abandon progressif de la culture, et donc des aménagements en pierres sèches la favorisant, rendit le site moins ordonné, envahi par les friches et surtout rongé par l’érosion. Sa restauration débuta par une vaste opération de débroussaillage au printemps 2007. Les premières terrasses retrouvèrent alors la lumière, et depuis les travaux de restauration n’ont jamais cessé. Certains jardins ont été remis en culture, d’autres plantés de figuiers… Ces jardins du Récatadou ne seraient-ils pas les jardins suspendus de Babylone de l’Ardèche méridionale ?

Une collection de figuiers
Autrefois, les habitants de Labeaume étaient surnommés les « beca figue et sauto ron », soit les mangeurs de figues et sauteurs de rochers. Cette appellation prouve, s’il en était besoin, que la présence du figuier sur le territoire de la commune était abondante ; il se dit que par famille, la production de figues sèches pouvait atteindre annuellement les deux tonnes. Ces figues sèches servaient alors de nourriture aux cochons… Depuis plus de dix ans, sur les terrasses restaurées des jardins du Récatadou, est planté un verger conservatoire de figuiers. La dizaine de variétés présentes traditionnellement à Labeaume et quelques autres des communes des alentours s’épanouit donc au-dessus du vide. Il faut reconnaître que la robustesse de cet arbre et son faible besoin en eau en font le « client » idéal pour ce type de terrain.

Le combat pour l’eau
L’arrosage des cultures représentait un véritable défi aux bâtisseurs de ces jardins. Point de source jaillissant de la falaise, point de cascade ni le moindre écoulement ou suintement. Alors les hommes créèrent à l’une des extrémités une citerne alimentée par l’eau de pluie glissant sur de grandes dalles calcaires inclinées. Au cœur des jardins, une seconde citerne, construite entre deux rochers, devait recevoir l’eau de pluie collectée autour de la ferme. Si la première est toujours en service pour les jardins reconquis aujourd’hui, la seconde n’est plus étanche. Le combat pour l’eau n’est jamais définitivement gagné !

Pratique
Où ?
Labeaume est un village entre Ruoms et Rosières sur la rive gauche de la Baume. Les jardins suspendus du Récatadou se situent légèrement en amont du village sur la même rive.
Comment s’y rendre ?
Depuis Ruoms, avant de descendre au village de Labeaume au bord de la rivière, il faut rester sur les hauteurs et prendre à droite une petite route menant à l’ancien mas et aux jardins du Récatadou.
Comment visiter ?
Les jardins ne sont pas accessibles librement mais on peut toutefois en admirer une partie depuis l’espace herbeux autour de l’ancien mas. Quelques panneaux livrent de précieuses informations. Des visites guidées sont régulièrement organisées (www.mairiedelabeaume.fr)
A voir, à vivre à côté
Le hameau de Chapias en direction de Rosières recèle bien des surprises avec sa chapelle bâtie suite à la promesse tenue des curés Sévénier, les rochers où ces curés se terrèrent pendant la période révolutionnaire, l’oncle et le neveu, et enfin la tour coiffée d’une Vierge à l’Enfant. Depuis sa terrasse, la vue est saisissante sur la campagne environnante et les montagnes au loin.
(http://mairiedelabeaume.fr/patrimoine/les-hameaux-de-labeaume/chapias/)
Le chemin de Ranc de Figère, parcourant la campagne autour de Labeaume, fait partie d’un ensemble de sentiers de découverte ayant pour thème « Ardèche, terre de dolmens ». Il offre un voyage dans le passé à la découverte des us funéraires de nos ancêtres.
(www.pontdarc-ardeche.fr/content/uploads/2019/09/carte-chemins-et-dolmens-2019.pdf)
Il n’y a pas que les figuiers qui poussent ici, la vigne occupe une grande place. Alors pour en découvrir les secrets et aussi ceux du vin, rien de telle que la visite de Néovinum à Ruoms (www.neovinum.fr)
Texte et clichés : Bruno Auboiron