La semelle moderne

Article paru en novembre 2016
Mis en ligne en juillet 2022

L’entreprise La Semelle Moderne installée au col de Rochepaule, prouve que l’industrie peut s’épanouir aussi hors des villes. Depuis 1958, ses ouvriers sous l’œil bienveillant de la famille Grand, fabriquent des semelles pour les plus grands fabricants européens de chaussures.
 

Pas de flèches indicatrices, juste les bâtiments oranges de la petite usine familiale arborant fièrement un seul panneau : La Semelle Moderne.

Pour vivre heureux, vivons caché, ou du moins dans la discrétion. Pourtant l’activité est présente depuis 1958. « C’est mon grand-père Alphonse qui a déplacé cette entreprise de Romans-sur-Isère jusque ici, nous informe Philippe Grand, l’actuel directeur de l’usine et représentant la troisième génération. Il vendait du bois à La Semelle Moderne, alors installée sur les bords de l’Isère, pour la fabrication de semelles. Un jour il en est devenu associé et au final il l’a rachetée pour la délocaliser chez lui, à Rochepaule.» Il faut dire qu’Alphonse était aussi maire du village et sa motivation était double, car il offrait ainsi de l’emploi à ses administrés et plaçait son fils André, tout juste revenu de la guerre d’Algérie, à la tête de l’usine. Étaient produits là, des talons en bois de pin et de sapin, talons et sabots bordés de différentes matières comme le cuir, le liège, les tissus… Mais très vite, André sut s’adapter à l’évolution des matériaux et de l’outillage.

Pour comprendre le succès de cette entreprise, il faut savoir qu’à de très rares exceptions, les fabricants de chaussures ne produisent pas leurs propres semelles. Il s’agit là d’un métier très particulier. Des matériaux traditionnels d’hier, le thermo-caoutchouc a pris toute la place. Des billes de matière plastique, dont les couleurs peuvent être infinies, mais très souvent noires, sont guidées pour être chauffées à cent cinquante degrés, avant que la matière soit injectée dans les moules en aluminium ; un moule pour chaque modèle et chaque pointure. Hier il fallait façonner chaque semelle à la main dans le bois, le liège ou le cuir, aujourd’hui il suffit juste de guider les machines à injection. Là où ils étaient soixante ouvriers, il y a une vingtaine d’années, ils ne sont plus que vingt aujourd’hui. Mais vingt emplois à Rochepaule, c’est déjà inespéré. Et ils sont tous locaux, formés sur place, travaillant là, de père en fils, et tous formés sur le tas, au contact direct de l’ouvrage. Ici, nous sommes dans une entreprise familiale où la souplesse et l’attachement à son travail sont les maîtres-mots. Nous sommes bien loin des préoccupations des multinationales ; quand le travail est à faire, il est fait. « Notre implantation n’est vraiment pas un désavantage, poursuit Philippe Grand. Elle pouvait l’être ponctuellement autrefois, quand la neige tombait en abondance, et coupait les routes, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et travailler à la campagne est plus confortable que travailler à la ville. Tous vous le diront ici. »

La Semelle Moderne est presque la dernière usine de ce type en France. Elle produit en moyenne deux millions de semelles par an et imagine deux collections, une d’été, une d’hiver. « Ce qui nous a sauvés, c’est de devancer la demande des fabricants sans attendre qu’ils nous sollicitent, explique le directeur. Ne pas rester sous-traitant, devenir fournisseur. En créant des collections au plus près des tendances de la mode, nous arrivons à répondre aux demandes. Et souvent ces créations sont le fruit d’un travail en commun. » Tout est important dans une semelle pour la rendre attrayante ; les couleurs, les formes et les associations de matières, car la matière moulée peut recevoir en surface de la peinture, des bandes de liège, de cuir, de tissu… Les possibilités sont très aisées pour donner une esthétique originale à une semelle. « Nous ne fabriquons plus que des semelles pour chaussures féminines, déclare Philippe Grand. Depuis longtemps le marché des semelles pour homme a gagné l’Italie. Nous faisons des séries de modèles de 35 au 41 et plus rarement du 24 au 46. Cela dépend de la demande, bien évidemment»

Autrefois, une commande importante pouvait atteindre les cent mille paires de semelles, aujourd’hui on la considère comme telle, quand elle atteint les vingt mille. Philippe Grand voyage beaucoup chez ses clients étrangers, surtout au Portugal et en Espagne, car il est indispensable de créer et d’entretenir la confiance pour être présent sur la durée. Une politique qui semble porter ses fruits. « Nous avons fait une très belle année dernière, indique Philippe Grand en souriant. Cela nous a fait plaisir et nous incite à l’optimisme. Si cette amélioration se confirme, doute j’envisagerais quelques embauches. Il faut prendre le travail quand il est là. »
Adresse
La Semelle Moderne, Philippe Grand, 07320 Rochepaule
04 75 30 07 00  
 
Texte et clichés : Bruno Auboiron