Autrefois, les châtaigniers, l’arbre à pain indispensable à la vie quotidienne des paysans, se partageaient l’espace avec les vergers de mûriers et d’oliviers, avec les vignes et les modestes parcelles de céréales, souvent cultivées en terrasses. L’élevage des moutons et des chèvres s’accommodait bien de cet important couvert végétal. Pourtant les paysans vivaient chichement et ils furent nombreux à déserter leurs terres à partir de la moitié du XIXème siècle. Parallèlement à ce début de déclin agricole, l’activité minière relative au charbon dans le nord du Gard voisin et un peu dans l’extrême sud de l’Ardèche prenait de plus en plus d’importance. Percer des galeries imposait de les boiser pour les sécuriser et éviter les éboulements. Et pour les boiser, il fallait du pin.
Des Landes aux Cévennes
Ce sont les compagnies minières qui introduisirent le pin, arbre à croissance rapide et surtout idéal pour le boisement des mines, sur les pentes des montagnes voisines dès la fin du XVIIIème siècle. Pendant tout le XIXème siècle, elles fournirent des graines de pin aux paysans qui n’avaient pas fui les difficiles conditions de vie. Ces derniers remplacèrent les châtaigniers pour ces arbres venus des lointaines Landes. Cette dynamique ne changea pas au cours du XXème siècle.
Il faut croire que cette terre cévenole n’attendait que le pin pour s’exprimer pleinement. Cet arbre trouve là des conditions climatiques idéales et un sol adapté pour croître rapidement, mais uniquement en-dessous de 700 m d’altitude. Le pin ne s’est pas contenté des parcelles où les premiers paysans l’ont planté, il fut un vigoureux colonisateur des anciens terrains agricoles et des terres désolées par l’incendie. En un peu plus d’un siècle, le pin s’est approprié l’ensemble d’un massif, recouvrant la moindre parcelle de terre disponible. Des 2 000 hectares estimés des origines voulus par l’homme, la forêt de pins s’étale désormais sur environ 15 000 hectares. Une belle réussite.
Le vent ennemi
Au cœur de la forêt, l’espace reste lumineux. Les rayons du soleil baignent généreusement les sols, se jouant des fines aiguilles des houppiers. Au pied des pins pousse la bruyère aux belles fleurs couleur pourpre des sols acides, les fougères font un tapis ondulant. Oui, ondulant car le vent vient souvent se divertir entre les arbres aux troncs droits et fiers. Il chante dans les bouquets d’aiguilles et rebondit sur le doux relief de cette forêt, comme les vagues de la marée sur la plage. Se promener sous les frondaisons de cette forêt par un jour de vent paisible et de forte chaleur, c’est pénétrer un monde de senteurs et de musique. Un moment inoubliable.
Mais le vent n’est pas toujours l’ami de la forêt. Parfois il se déchaîne et brise les troncs cassants, il couche les arbres aux trop faibles racines. Il suffit d’une coupe à blanc au cœur de la forêt pour que les arbres à sa bordure soient fragilisés, la cohésion de l’ensemble n’existant plus. Parfois aussi le vent attise les flammes insatiables de l’incendie ravageur. Il ne faut jamais, absolument jamais jouer avec le feu dans la forêt. Elle y est trop sensible. C’est pour pouvoir réagir au plus vite et au plus près de l’incendie que de nombreux bassins en bois sont remplis d’eau en des points stratégiques…
Un rescapé
Au milieu de cet océan de pins maritimes, on trouve des îlots de pins de Salzmann. Ces îlots sont des refuges pour cet arbre en sursis. Sur le territoire français il n’est présent que sur 5 000 hectares cumulés, une goutte d’eau. Dans la forêt de Bannes et Malbosc, le pin de Salzmann n’occupe que 400 hectares.
Cette essence ne fut identifiée qu’au début du XIXème siècle par un botaniste allemand qui lui a donné son nom. Il est facile à différencier du pin maritime avec son écorce grise à fines plaques, ses aiguilles d’un vert plus clair, ses pommes de pin plus petites, le port de ses branches légèrement relevées vers le haut et ses rameaux de l’année légèrement orangés. Son seul problème est qu’il prend son temps pour pousser et du temps, les forestiers modernes n’en ont guère. Ils lui préfèrent le pin maritime ou le pin Laricio, un cousin concurrent. Et puis après un incendie, les graines du pin maritime germent vite grâce une substance les protégeant de la chaleur alors que celles du pin de Salzmann grillent. Depuis quelques décennies, la résistance s’organise à partir des îlots où furent identifiés de vieux arbres, pour certains trois fois centenaires…