Longtemps indispensable à l’économie rurale, le châtaignier représentait une source de matières semblant inépuisable. L’arbre à pain, comme on le nommait autrefois, donnait son bois aux menuisiers, aux charpentiers et aux vanniers et à défaut il chauffait les habitations. Ses feuilles servaient à la litière des animaux et ses fruits étaient valorisés ou directement consommés sur place par les hommes et les animaux. Son bois offrait aussi le tanin indispensable au travail des peaux et des cuirs longtemps pratiqué ici. Le châtaignier était vraiment un arbre bienfaiteur.
En Ardèche, la châtaigneraie a toujours eu pour vocation première la récolte des fruits. L’utilisation du bois n’était qu’annexe au contraire des châtaigneraies drômoises et périgourdines produisant des piquets et des merrains (bois fendus) pour la tonnellerie ; les zones viticoles étant proches. Chez nous le châtaignier se trouvait planté là où on ne pouvait rien faire pousser d’autre. La déprise agricole due à l’exode rural au fil des décennies engendra un manque cruel de main d’œuvre. Et face à la mévente des fruits, les parcelles les plus difficiles d’accès ou les plus pentues furent abandonnées. Un temps les coupes de bois pour la production du tanin ont économiquement fait illusion, mais au final l’exploitation des arbres en bois d’œuvre n’a jamais pu remplacer l’économie générée par les fruits.
L’héritage aujourd’hui entre les mains des forestiers se décline en une châtaigneraie âgée, des arbres plus que centenaires, avec des rejets denses partant des souches, dominant un sous bois de ronces, fougères, bruyères et genêts. Au sein des vergers à tanin, dont la dernière coupe remonte aux années soixante, les arbres ne sont pas moins vieux et sont mélangés à des pins sylvestres ou maritimes par régénération naturelle, à des douglas introduits ici après la Seconde Guerre mondiale. Cette densité de bois sur un tapis de végétation de broussailles accroit les risques d’incendie et ces friches sont devenues inhospitalières à l’homme, qu’il soit touriste ou habitant permanent.
Au niveau national, après le chêne et le hêtre, le châtaignier occupe la troisième place, soit cinq cent trente mille hectares et quatre-vingt-quinze pour cent de son volume se situe en forêt privée. C’est la raison pour laquelle Jacques Degenève, du Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF) d’Aubenas, est un interlocuteur idéal. Dans un récent rapport, il écrivait : « En Ardèche la châtaigneraie représente quatorze pour cent de la surface boisée du département, trente deux mille hectares dont au moins vingt mille sont considérés comme forestiers (ndlr : c’est-à-dire à l’abandon en tant que vergers fruitiers). Sous forme de vergers abandonnés ou de taillis, le châtaignier arrive en deuxième position des feuillus dans le département après les chênes blancs et verts avec cinquante-huit mille hectares et bien avant le hêtre avec dix-sept mille hectares. » Lors du dernier inventaire complet de 1995, l’estimation du volume de bois sur pied s’élevait à trois millions quatre cent mille mètres cube dont seulement un tiers serait utilisable en menuiserie. « L’accroissement de ce volume est très important, ajoute Jacques Degenève, avec cent trente mille mètres cube par an et seulement mille mètres cube sont exploités chaque année. » Le potentiel reste donc très important. Dans de nombreuses zones abandonnées aujourd’hui, il serait dans un premier temps possible d’exploiter du bois pour le chauffage et des piquets de clôture, puis à force d’entretien, il serait envisageable de conduire les arbres vers du bois à parquet et de charpente. Le profit à escompte ne serait pas négligeable. Mais la difficulté est d’assurer une offre de bois régulière en qualité et en quantité pour intéresser et fidéliser les acheteurs. « Nous allons parfois chercher bien loin du bois qui pousse en abondance à côté de chez nous, mais qui ne nous est pas accessible pour diverses raisons, déplore un scieur de la Haute-Loire voisine. Avec des conditions d’exploitation identiques, voire un tout petit peu moins favorables, je jouerais la carte de l’économie locale et je prendrais mes châtaigniers en Ardèche si j’en avais l’opportunité. » Avec un entretien relancé, un hectare de châtaigneraie exploitée peut apporter deux mille sept cent euros à son propriétaire. Et même si au début ce gain ne couvre que les frais d’exploitation, cette relance offre un renouveau à une forêt abandonnée qui à force d’entretien se révèlera forcément rentable à moyen terme.
Le châtaignier est une espèce très productive avec une croissance rapide, qu’il soit mené en taillis ou en futaie. En Ardèche, il se plait mieux sur des terrains exposés au nord et à l’est entre cinq et neuf cents mètres d’altitude. Il aime les sols profonds, frais et perméables. En revanche, il redoute le calcaire. Il apprécie la lumière et la chaleur, le tout accompagné d’une pluviométrie comprise entre huit cents et mille cinq cents millimètres. Il craint les hivers très froids. « Bien sûr la production de bois ne serait à envisager que dans des secteurs où la production fruitière est anodine ou non désirée par les propriétaires, poursuit Jacques Degenève. Il est possible de jardiner les peuplements de plus de vingt ans par des coupes d’amélioration au profit des plus jolis arbres, en supprimant les sujets mal conformés et ceux qui gênent le peuplement d’avenir. » Cette sylviculture, innovante en Ardèche, a déjà fait ses preuves dans les régions où le châtaignier est plus un bois d’œuvre qu’un arbre fruitier. Elle permettrait aussi de générer de l’emploi en forêt et en scierie. L’avenir de la châtaigneraie ardéchoise ne se joue donc plus uniquement au niveau des châtaignes mais dans les charpentes, les menuiseries et toutes les utilisations valorisantes d’un bois de qualité.