Tout commence par une petite balade, car l’église aux trois clochers se mérite. Eh oui, il faut marcher un peu pour la rejoindre. En suivant une ruelle de Tauriers, on passe devant l’église du village et, de suite, on prend à gauche sur le chemin de Saint-Julien-de-Brioude. L’endroit est facile à repérer, une photo de l’église convoitée est affichée sur le mur. L’église figure sur cette reproduction comme elle s’offrait aux regards quand elle n’était pas encore en ruine. On passe derrière le château, puis jusqu’au cimetière, et enfin la crête boisée. Une source précède les vestiges… Il semblerait qu’autrefois un chemin reliait directement cette église au château.
Il existe si peu de documents que notre esprit a tout le loisir d’imaginer un passé à cette curieuse église aux trois clochers. Quelle fantaisie a pris son concepteur ? Et pourquoi en ce lieu ? La liste des questions pourrait être longue, mais à quoi bon. Alors je vais prendre la liberté d’inventer son histoire.
Il y a bien longtemps, les montagnes cévenoles étaient le domaine exclusif du dieu Taranis, qui d’ailleurs a donné son nom au massif du Tanargue pour que les humains s’en souviennent toujours. Mais ceux-ci ont la mémoire courte. Ainsi, au fil des siècles, ils se mirent à moins craindre les colères du ciel et oublièrent peu à peu Taranis. Il faut dire que depuis quelques temps déjà on leur racontait qu’un messie était venu sur la Terre pour les sauver de leurs pêchés. Un dieu chasse l’autre ! Celui des prédicateurs, qui arpentaient les contrées à ces époques-là, semblait bien plus terrible : même s’il proposait le Paradis, il garantissait l’éternité des flammes et des tortures de l’Enfer à qui ne se repentait pas de ses fautes. Taranis, lui, ne manifestait sa présence menaçante que lors des orages, certes souvent violents, qui enveloppaient les montagnes et glissaient sur le piémont où se dressait le petit village de Tauriers. Taranis ne pouvait lutter contre le dieu des chrétiennes et chrétiens dans l’imaginaire et la peur de celles et ceux qui peinaient à survivre d’une terre ne se montrant que trop peu généreuse.
Au fil des générations, les humains oublièrent complètement Taranis. Ils édifièrent à la gloire de Dieu, et dans la crainte de son châtiment suprême, des églises, chapelles et croix, nombreuses et partout de la plaine à la montagne, où la représentation de son fils crucifié rappelait à chacun les risques à s’écarter du droit chemin, à quitter le troupeau. Taranis devint une aimable légende à conter à la veillée. Un jour, les habitant·e·s de Tauriers décidèrent de bâtir une chapelle supplémentaire, une chapelle aussi grande qu’une église. C’était en 1875 ; il la nommèrent Notre-Dame-de-Tous-Biens. Sans doute pour être plus proches des Cieux, ils optèrent pour le fait d’une modeste colline à deux pas du village. S’en fut trop pour Taranis qui attendait son heure, caché dans les nimbes au-dessus du Tanargue. Il se dit qu’avant il n’y avait qu’un clocher, puis deux et maintenant cette chapelle avec trois clochers ; les humains étaient allés trop loin. Une vengeance s’imposait. Aussitôt pensé, aussitôt réalisé : il déchaîna maints orages au-dessus de la colline et leur violence détruisit l’église aux trois clochers… Il ne faut jamais énerver un dieu antique qui sommeille.
Ce récit chimérique me permet d’émettre l’hypothèse qu’il n’est jamais bon d’oublier trop vite ce à quoi nous avons cru pour adopter un autre point de vue totalement différent et qu’il vaut mieux construire en douceur de nouvelles croyances et images.
Finalement, les trois clochers dressés, deux à l’avant et un au fond du chœur qui dessinent un triangle évoquant la Trinité, n’ont pas permis à cette église de durer bien longtemps. Les ruines, trait d’union entre le passé et le présent, témoignent et transmettent tel un livre ouvert. Ces trois clochers, aux cloches disparues, s’affaissent toujours un peu plus à l’ombre des grands arbres.
Le château de Tauriers
Perché tout en haut du village, contre l’orée de la forêt où se cache l’église aux trois clochers, le château de Tauriers ne se visite pas mais sa présence se remarque. Il est bâti sur une éminence rocheuse, qui domine à peine le village, sur un plan en L comprenant un donjon, deux corps de logis, différentes cours et enceintes successives le protégeant. Ce donjon, tel que nous le voyons aujourd’hui doit dater du début du XIIIe siècle, est quasiment aveugle, affirmant ainsi sa vocation défensive. Il s’élève sur quatre étages et à chacun d’eux s’ouvre une pièce voûtée desservie par un escalier aménagé dans l’épaisseur du mur oriental jusqu’à la terrasse sommitale. A la fin du Moyen Âge, le château de défensif devient résidentiel. Depuis 1926, il est classé aux Monuments historiques.
Ligne d’eau
Tout en bas du village coule la Ligne. Elle prend sa source dans les montagnes au-dessus de Prunet, arrose quelques communes avant de traverser Tauriers et Largentière, puis elle continue son chemin d’eau en direction de l’Ardèche qu’elle rejoint à la limite entre Chauzon et Labeaume. Elle compte parmi les rivières de type cévenol, c’est-à-dire que ses crues peuvent être violentes et subites. Mais quand elle se montre docile et calme, elle offre des points de baignade magnifiques tout au long de son cours.