Certaines ruines respirent la nostalgie et la mort tandis que d’autres vivent malgré les vicissitudes du temps et de l’histoire des humains. Parmi cette seconde catégorie, les ruines de l’abbaye cistercienne de Mazan occupent une place particulière à plus de mille cent mètres d’altitude en pleine montagne. En se promenant entre les pans de murs encore debout des anciens bâtiments et du cloître en partie restauré, en s’octroyant une pause à l’intérieur de l’espace de la vaste église, on sent la vie renaître ou du moins on devine qu’elle devait, autrefois, être fort présente en ces lieux. Mémoire des pierres peut-être ?
Cette abbaye fut fondée en 1119 et devint à ce point importante qu’elle put à son tour fonder des filles en Auvergne et en Provence : les abbayes de Sylvanès en 1132, du Thoronet en 1136, de Sénanque en 1148 et peu après, Notre-Dame de Bonneval. Sa création dut se faire en deux périodes. Quelques ermites s’installèrent sur la terre du Mas d’Adam, qui deviendra Mazan par contraction. Puis, quelques années plus tard, en 1123, débuta l’édification de l’église et du monastère. Bien sûr la première église ne devait pas ressembler à celle dont nous pouvons admirer les ruines aujourd’hui ; elle devait être plus modeste. Petit à petit, les terres de l’abbaye s’étendirent suite aux nombreux dons des seigneurs locaux aux XIIe et XIIIe siècles. Quelques granges en vallées vinrent compléter les possessions de l’abbaye. Ces granges remplissaient le rôle de domaines agricoles sur une terre plus fertile et un climat plus clément qu’en montagne. Ainsi étaient celle albenassienne du Cheylard et celle de Berg. C’est d’ailleurs sur ce dernier site que le sénéchal de Beaucaire en accord avec l’abbé de Mazan fit bâtir la ville de Villeneuve-de-Berg qui allait devenir bastide royale.
Le déclin de l’abbaye débuta en 1469 quand, comme partout ailleurs dans toutes les abbayes, son abbé ne fut plus un moine mais une personne extérieure préoccupée uniquement par la rentabilité de ses possessions. Cet homme était le plus souvent choisi par le roi de France et ne rendait que rarement visite à son abbaye, mais était le seul à en percevoir les revenus. L’absence de ferveur religieuse de sa part rimait avec détérioration des bâtiments, si bien qu’en 1661 seulement une douzaine de moines résidait encore à l’abbaye de Mazan. Quand elle fut définitivement délaissée à la Révolution française, ils n’étaient plus que six moines… L’abbaye fut donc vendue comme bien national et les religieux repartirent dans leur famille à leur demande.
L’abbaye abandonnée certes, mais son église était encore fréquentée par les villageois·es en 1843, jusqu’à l’édification d’une nouvelle église avec les pierres de l’abbaye. Le site servit de carrière à la population et les assauts du temps firent leur œuvre de destruction. Ce n’est qu’après une prise de conscience de l’intérêt patrimonial du site que débutèrent les premiers travaux de sauvegarde et de dégagement des ruines en 1966 sous la responsabilité du service des Monuments Historiques, c’est-à-dire les vestiges de l’abbatiale et la galerie ouest du cloître, encore debout ; le reste du cloître fut ravagé quand il fut transformé en cimetière communal. Depuis, l’intérêt pour l’abbaye de Mazan est allé croissant et elle fut même dernièrement le sujet et le support d’une œuvre artistique étonnante, basée sur un système visuel de cercles d’or.
La plus grande d’Ardèche
L’église de l’abbaye de Mazan, plus exactement l’abbatiale, était la plus grande d’Ardèche et très certainement l’une des plus belles. Longue de cinquante-deux mètres et large de vingt-quatre, bâtie en granit pour les murs extérieurs et en tuf rouge pour les piliers, les arcs et les voûtes, elle répondait à une architecture sophistiquée et tout à la fois imposante. Désormais, nous ne pouvons qu’essayer d’imaginer ce bâtiment prestigieux grâce à la base de ses éléments encore en place sur un mètre de hauteur environ. Pourtant, au début du XXe siècle, comme en attestent quelques photographies en noir et blanc, des voûtes étaient encore en place. Mais en 1905 fut pris la décision de les dynamiter pour raisons de sécurité. L’heure n’était malheureusement pas à la conservation du patrimoine.
Une cloche en or
Une légende court toujours dans les bois de Mazan : les moines de l’abbaye auraient caché leur trésor dans la forêt, une cloche remplie de pièces d’or enfouie à la Révolution française au pied d’un arbre à un kilomètre en face de l’œil de bœuf de la basilique près d’une mystérieuse borne. Quelques personnes essayèrent de trouver ce fabuleux trésor et par hasard trois cent pièces d’or furent découvertes lors de la construction d’une route forestière. Ces pièces étaient à l’effigie du roi de France et furent datées de la fin du XVIe siècle ; deux siècles avant la Révolution. Il ne s’agissait donc sans doute pas du fabuleux trésor des moines. Le mystère reste entier.