Henri Klinz

Article paru en décembre 2017
Mis en ligne en juin 2023

Rescapé de l'anarchiste Pierre Conty témoigne.

Le 24 août dernier, l’Ardèche fêtait le quarantième anniversaire de l’affaire Conty. Ma Bastide s’en est largement fait l’écho au fil de ses derniers numéros, sous la plume d’Henri Klinz, l’un des protagonistes de l’affaire, alors qu’il était tout jeune gendarme.
 
Aujourd’hui, l’heure est venue  pour lui, de présenter enfin son livre « Les tueurs fous de l’Ardèche, affaire Conty : je témoigne ».
 
Henri Klinz affiche un large sourire désormais. Avec l’écriture de son livre, il vient de se soulager d’un poids si lourd et qu’il porte depuis si longtemps, quarante ans. « J’ai évacué le mal de mon âme par l’écrit. Pour moi à présent c’est terminé. Une fois le dernier livre vendu, la dernière conférence donnée, je tournerai définitivement la page. »
 
Preuve que l’affaire Conty a profondément marqué les mémoires de toute une génération, la dernière conférence qu’Henri a donnée à Laviolle, a fait salle comble et les trois cents premiers exemplaires de son livre se sont vendus en quatre jours.  Mille autres ont été imprimés…
 
Henri avait vingt-cinq ans quand il fut confronté à ce qui allait devenir l’affaire Conty. Il s’est trouvé emporté dans un tourbillon dont il ne maîtrisa rien. Il vécut ces années de jeunesse en subissant l’agitation qui entourait l’affaire, mais inconsciemment, il préparait le terrain pour répondre aux multiples questions qui restaient sans réponse, en commençant à rassembler articles de presse, copie de la procédure et autres documents. « Je me suis senti très seul et j’en veux plus à l’administration qu’à Conty et ses comparses, reconnaît Henri. Je voulais comprendre ce qui était arrivé ce jour-là, pourquoi certains furent délibérément tués et d’autres épargnés. J’ai dû attendre l’heure de la retraite pour enquêter en toute liberté. J’ai rencontré les néo-ruraux de cette communauté qui ont vécu avec Pierre Conty et de nombreuses personnes ayant joué un rôle dans l’affaire. »
 
À une exception près, tous ont accepté de parler à l’ancien gendarme Klinz. Très peu ont utilisé la langue de bois, la sincérité après tant d’années était hautement perceptible. Un retour sur image fort en émotion pour Henri, mais il voulait savoir et comprendre. Mission réussie ! Certes, il ne possède pas toutes les réponses qu’il cherchait, existent-elles seulement, mais de tout cela, il s’en est ainsi remis. « Pierre Conty va bien, il vit en Afrique du Nord, assure Henri. Stephan Viaux-Peccate vit à Paris après avoir purgé sa peine de prison. Je n’ai pas vraiment cherché à rencontrer ce dernier, mais j’aurais peut-être voulu lui serrer la main. De toute façon, les revoir n’était pas nécessaire à ma thérapie. » Une grande humanité anime Henri et il est bon de rappeler que Stephan Viaux-Peccate l’avait délibérément épargné lors de leur funeste rencontre.
 
Pour Henri, les similitudes sont fortes entre l’affaire Conty et l’affaire Grégory, même si d’apparence elles n’ont rien de comparables. Cependant quatre points les définissent : une affaire criminelle, un jeune magistrat instructeur, des ratés au cours de l’enquête, l’installation d’une chape de plomb sur la vérité.
 
À l’été 1977, les meurtres d’un gendarme et de deux civils a profondément traumatisé la population ardéchoise. A sa connaissance, depuis l’histoire sordide de l’auberge sanglante de Peyrebeille, l’Ardèche n’avait pas connu d’affaire criminelle de cette importance. À cette époque la délinquance était surtout le fait des villes, les campagnes étaient réputées plutôt calmes. En épousant la carrière de gendarme, Henri bien évidemment, n’était pas préparé à un tel choc. Il était devenu gendarme pour la prévention et le contact avec la population. Débutant à Pertuis, dans le Vaucluse, il arriva en juillet 1977 à Joyeuse. Un mois plus tard, il vivait l’affaire Conty. Ensuite sa carrière se poursuivit à La-Côte-Saint-André en Isère, avant de revenir à Burzet, puis à Thuyets, jusqu’à l’heure de la retraite. Une vie passée à rassembler discrètement les éléments nécessaires à sa quête de la vérité, sans savoir vraiment jusqu’où cela l’emmènerait.
 
« Les membres de la communauté de Conty avaient une prédisposition à la violence, poursuit Henri. Ils s’entrainaient au tir sur des silhouettes de forme humaine. C’était des anarchistes, ils avaient volé des explosifs pour faire sauter une centrale nucléaire. Ils cultivaient la contestation violente. Pierre Conty devait être un brave type à l’origine, mais l’agneau est devenu loup. » En fait, plusieurs faits consécutifs le poussèrent vers cette violence : le départ de sa femme, l’échec de la communauté et leur expulsion programmée. Tout de même, ce meneur d’hommes charismatiques, le seul prolétaire de cette communauté de fils de riches bourgeois en rupture avec leurs familles, n’en était pas à son coup d’essai. « Après le crime, la seconde analogie avec l’affaire Grégory, est l’instruction menée par un jeune juge qui traitait là son premier dossier. Sans expérience, il ne commet aucune erreur, ce qui me laisse à penser qu’il devait être très bien encadré. Aucune erreur, mais des oublis avec des témoignages intéressants qui sont pourtant ignorés. Et puis, cette affaire imposa un accord entre les gouvernements français et néerlandais de l’époque garantissant que Stephan Viaux-Peccate qui s’y était réfugié, ne serait pas condamné à la peine de mort, afin d’obtenir son extradition des Pays-Bas, pour être jugé en France. « L’arrivée à Privas de l’avocat Robert Badinter venant défendre le fils d’un riche industriel, fit couler beaucoup d’encre et poser de nombreuses questions. Et puis, les ratés dans le déroulement de l’enquête sont édifiants. » La quatrième similitude entre les deux affaires, c’est la chape de plomb qui s’est installée immédiatement et que personne n’a essayé de briser pour rassurer la population. La pression médiatique l’a même accentuée. « Je me souviens que les paysans dormaient avec le fusil au pied du lit, relate Henri. Les gens avaient peur. Autant de moyens déployés et si peu de résultats, aucune arrestation, rien ! On parlait de la bande à Conty comme autrefois on parlait de la bande à Bonnot. »
 
Henri n’a pas écrit un roman, mais un récit qui se lit comme un roman. Il ne dit rien, il témoigne juste de faits qui sont décrits dans des pièces officielles portées au procès. Il était là, il a tout vécu de l’intérieur, il n’a rien inventé. Il a écrit un témoignage de grande valeur. Des faits, juste des faits, et il laisse aux lecteurs la possibilité de les interpréter. Il apporte un éclairage nouveau sur une affaire vieille de près d’un demi siècle, mais qui hante encore la mémoire de nombreux Ardéchois. L’affaire Conty restera dans l’histoire, comme l’auberge sanglante et autres épisodes de l’histoire collective de notre société.
 

En savoir plus :

Son livre : « Les tueurs fous de l’Ardèche, affaire Conty je témoigne » par Henri Klinz, 160 pages, 18 euros.
Texte : Bruno Auboiron
Clichés : Bruno Auboiron, Henri Klinz