Gilles Azzoni et le vin naturel

Article paru en mai 2016
Mis en ligne en juillet 2022

Dans la vallée de l’Ibie, à la sortie des Sallèles, Gilles Azzoni vit au milieu de ses vignes. Vigneron référant dans le domaine du vin naturel, son impressionnante expérience est irremplaçable. Et aujourd'hui, c'est tout naturellement qu'il a passé la main à son fils Antonin, enthousiaste relais de l'esprit et de la philosophie du père,
mais qui ne vit encore que pour ses vins…
 

Le parcours de Gilles Azzoni n’est pas des plus communs. Des HLM de sa banlieue parisienne de Sainte-Geneviève-des-Bois aux vignes de la vallée de l’Ibie, c’est l’envie et la soif de liberté qui l’ont guidé. Il a fait son apprentissage du vin sur l'appellation Pommard, le grand Bourguignon, puis il débarque en Ardèche, à Grospierres tout d’abord, puis dans la vallée de l’Ibie. Depuis ce jour, il y a une trentaine d’années, il travaille le raisin, le ramasse à la main, le foule aux pieds et accompagne son vin. Gilles Azzoni est le "chevalier" du vin naturel, un vin sans intrant, sans sulfite ni autres ajouts. Il utilise les seules levures indigènes présentes sur la peau du raisin, cette couche cireuse qui rend le fruit en apparence givré. Il respecte à tout crin l'inné, le naturellement là, donné, généreux, du terroir au millésime, du fruit à la bouteille et accompagne l'expression du vivant, sans contrainte ajoutée. Habile et téméraire, Gilles Azzoni manie le moût du raisin et assemble à l'envi, les cépages pour inventer un vin toujours recommencé, un présent fruité, une quintessence.

Pour lui, être vigneron, c’est être avant tout respectueux de la nature. « J’essaie de concilier ma vie et ma philosophie à mon travail, dans un respect de la nature et l’intérêt personnel que je me suis proposé, nous raconte-t-il. En premier lieu, j’aime la nature, aussi capricieuse, aussi généreuse, puisse-t-elle être. Dans la mesure où le raisin est sain, pas d’ajout de soufre, de sucre, rien que du raisin dans mon vin. Ce processus oblige le vigneron à être accompagnateur et non transformateur, non chimiste. » Le transformateur en chais utilise des outils et des produits qui vont canaliser le raisin dans un but bien précis qu’il s’est fixé. Cela donne les vins conventionnels que nous connaissons tous et qui peuvent se montrer très satisfaisants.
À l'inverse, l’accompagnateur, selon la définition de notre vigneron, prend des risques. C’est le raisin qui décide de la direction à prendre et le vigneron ne peut que l’accompagner sans rien lui imposer. Cela donne le vin naturel, un peu celui de nos grands-pères, mais avec le savoir moderne en plus, car les vignerons d’aujourd’hui en vin naturel sont possesseurs de grandes connaissances et d’une bonne dose d’intuition pour ne pas commettre d’impair et rester serein en toute circonstance. « Si le vigneron réussit cet accompagnement, son vin est un produit naturel, poursuit Gilles Azzoni. Dans naturel, il y a nature. La dimension de la nature est immense par rapport à la dimension humaine.»

Bien sûr, souvent la surprise est au rendez-vous. Aucune bouteille ne se ressemble vraiment, pas de saveurs aseptisées ou convenues, rien que du vrai. Mais le vrai est parfois déroutant. Déguster un vin naturel exige d’être curieux et sans a priori, car il est très éloigné des vins standardisés. Le vin naturel veut être la traduction naturelle du terroir. La vigne est travaillée sans désherbant, pesticides ou autres engrais, dans le respect de la vie du sol et de la plante. Les vendanges sont faites à la main et lors de la vinification, le vigneron s’efforce de conserver le caractère vivant du vin. Cette vinification implique de laisser les levures indigènes opérer leurs transformations successives au cours d’un long processus donnant au vin le temps de soigner sa signature. La nature n’est jamais pressée. Même si le soufre peut être accepté en très petite quantité, Gilles Azzoni l’a totalement banni pour le plus grand plaisir des amateurs éclairés des vins naturels… Et pour ceux qui veulent poursuivre l’aventure, les vins de Gérald Oustric ou Jérôme Jouret seront l’étape suivante en sud Ardèche, et bien d’autres encore, car les vignes d’ici savent rester naturelles, ou alors l'ont appris !
 
Quelles différences entre trois démarches

Le vin biologique existe officiellement depuis très peu de temps (2012). Précédemment, il ne prenait en compte que la viticulture et non la vinification. Cette démarche oblige à n’ajouter aucun traitement synthétique et d’insecticide dans les vignes et, depuis peu, propose de réduire (très légèrement) les intrants lors de la vinification. Par contre, elle autorise l’acidification, la désacidification, le traitement thermique, l’ajout de tanins, l’ajout de copeaux de bois, de soufre, les levures industrielles…

Le vin biodynamique pousse la démarche des vins bio encore plus loin. Les vignerons qui utilisent cette méthode essayent d’intensifier la vie du sol afin qu’il y ait un meilleur échange entre la terre et la plante. Pour cela, ils se servent de préparations à base de plantes qu’ils infusent, dynamisent ou macèrent afin d’aider la vigne à se renforcer et à mieux se développer (une sorte de traitement homéopathique de prévention). Ils utilisent aussi le calendrier lunaire afin que la plante, le sol et les influences lunaires se combinent au mieux. C’est un penseur et philosophe, Rudolf Steiner (1861-1925) qui instaura les bases de cette mouvance aussi appelée anthroposophie. On autorise le collage du vin et la filtration, la chaptalisation (ajout de sucre) uniquement pour les pétillants, les levures industrielles, mais par contre l’utilisation de dose de soufre plus basse que les vins bio.

Le vin naturel  combine donc ces deux méthodes, mais va encore plus loin en autorisant aucun intrant ni technique visant à modifier le jus originel, mis à part le soufre… Il existe aussi une autre section dans les vins naturels encore plus « jusqu'au-boutistes », les vins Sans Aucun Intrants Ni Sulfites (S.A.I.N.S).
 
Adresse
Gilles Azzoni,
Les Sallèles, 07170 Saint-Maurice-d'Ibie
 
Texte et clichés : Bruno Auboiron