Un naturaliste à l’heure de l’éco-tourisme.
La nature n’est pas à mettre sous cloche, mais sa protection est une indispensable disposition à assurer, pour que la biodiversité puisse continuer sa progression au sein de nos espaces naturels. Protéger ne suffit pas, il faut faire découvrir. Pour ce faire le naturaliste Gilbert Cochet plaide pour le développement de l’éco-tourisme.
Gilbert Cochet est incontestablement un naturaliste reconnu et une personne s’intéressant à toutes les facettes de la nature, et qui fait preuve d'une grande curiosité animée par deux préoccupations. La première est l’étude de la nature alliée au plaisir de l’observation. Depuis qu’il est enfant, Gilbert remplit des pages et des pages de carnets de notes. La seconde est la préservation de la biodiversité. "L’homme a commencé à abîmer et asservir la nature dès le Néolithique avec sa sédentarisation et les prémices de l’agriculture, assure-t-il. Mais nous n’en avons pris conscience que depuis quelques décennies seulement. Avant 1976 il était inconcevable d’imaginer préserver des espèces vivantes. J’ai vu la région Rhône-Alpes se vider de ses grands échassiers, ses ongulés, ses loutres, ses vautours et ses lynx. Puis j’ai connu dernièrement avec bonheur le retour de ces espèces et même du loup", se réjouit-il. Plus aucun couple de vautour percnoptère, de faucon pèlerin et d’aigle royal autrefois en Ardèche, aujourd’hui on en compte quatre pour le vautour et l’aigle, et une vingtaine pour le faucon : un beau retournement de situation. Alors arrêtons de l’agresser, il faut faire confiance à la nature pour retrouver son équilibre. L’homme semble se fourvoyer en se positionnant comme gestionnaire d’une nature qui se débrouille beaucoup mieux sans lui, d’après les spécialistes. "Beaucoup de milieux naturels ont été transformés par l’homme, mais la nature possède d’extraordinaires capacités de résilience", défend encore Gilbert.
Protéger est le maître-mot, même si l’idée de mettre sous cloche la nature, n’effleure jamais la pensée de Gilbert. Considérant l’étendue des parcs nationaux et des réserves naturelles, à peine un pour cent du territoire national est couvert. Il serait aisé de doubler cette surface utile. La France est pourtant le pays européen où la biodiversité est la plus riche grâce à sa multitude de paysages et de climats. "Nous sommes assis sur le l’or et nous gâchons ce patrimoine, regrette Gilbert." Quant à notre département, il possède lui aussi, pour les mêmes raisons une richesse immense qui s’étale de la présence au sud des espèces méditerranéennes comme la couleuvre de Montpellier ou le merle bleu, à celle au nord des espèces montagnardes, telles que la vipère péliade et le merle à plastron. "Nous disposons ici d’une palette très large du vivant, poursuit Gilbert, notre naturaliste. Il nous manquait le cerf et il arrive doucement par Saint-Étienne-de-Lugdarès, j’ai aussi croisé un chamois aux environs de Saint-Montan, dernièrement…"
Des îlots de protections intégrales que sont les parcs nationaux, les plus intrépides parmi les animaux empruntent des corridors pour s’installer dans de nouveaux territoires et ça c’est plutôt une bonne nouvelle. Même la vallée du Rhône avec son urbanisation et son aménagement peu respectueux de l’environnement ne se montre plus infranchissable à la faune sauvage ! Toutefois la place laissée à la faune sauvage n’est encore que minime ; il faut savoir qu’à l’échelle de la planète, l’homme et ses animaux domestiques représentent 98% des vertébrés. "L’Ardèche est le quatrième département le plus boisé de France, et pourtant nos forêts n’abritent que six mille chevreuils, s'agace Gilbert. Elles pourraient en nourrir beaucoup plus sans que cela nuise en rien aux activités humaines. Au contraire, et je suis même bien certain, que les gens seraient heureux d’en voir plus et plus souvent."
Gilbert Cochet, agrégé de sciences naturelles, professeur, conseiller scientifique auprès de nombreuses personnes et structures dont le Conseil de l’Europe et la Réserve naturelle des gorges de l’Ardèche, correspondant du Museum national d’histoire naturelle, mais il est avant tout un naturaliste passionné. Possédant une expérience et une connaissance incomparables du terrain, sa légitimité n’est pas contestée et pourtant il se démarque du discours général de l’ensemble de ses confrères. Il prône le développement de l’éco-tourisme pour une meilleure efficacité de la préservation de la biodiversité. "Plus nous pouvons observer les animaux, plus nous nous habituons et plus nous ressentons le besoin de ce contact, continue Gilbert. Finalement l’urbanisation et la déprise agricole sont une aubaine pour la nature qui peut ainsi regagner du terrain. Nous avons besoin du spectacle du vivant et personne n’a le droit de nous en priver." Pour rétablir ce spectacle, il est donc nécessaire de protéger les espèces pour que leur population augmente, d’en réintroduire d’autres et dans le même temps de développer l’éco-tourisme pour offrir ce spectacle au plus grand nombre. "L’éco-tourisme est certainement la meilleure solution pour que tous prennent conscience de l’intérêt de la nature, insiste encore Gilbert. Il faut savoir mettre en avant son intérêt économique pour que l’homme sache trouver un intérêt certain à la préserver. Il faudrait que les naturalistes se soucient un peu plus de cet aspect du problème. Et il faut aussi et parallèlement convaincre les acteurs du terrain, hébergeurs, restaurateurs et guide-accompagnateurs pour qu’à leur tour, ils pèsent sur les décisions des politiques et des gestionnaires. Une personne qui guide les gens vers la découverte de la nature, vit bien sûr de cette richesse offerte, mais en en montrant la beauté, il la préserve aussi." Juste un exemple : en Écosse, l’éco-tourisme lié à la faune sauvage génère l’équivalent de 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaire. Chez nous, c’est un pan entier de l’économie rurale qui reste à développer. Tout passera par l’expérience vécue, à l’image de la place d’équarrissage naturelle du plateau de Montselgues, qui offre à tout le monde la possibilité d’observer les vautours se nourrir, et la faculté à rester positif. "Globalement, je suis plutôt optimiste pour l’avenir, conclut Gilbert. Au niveau européen, le retour de la faune sauvage est une réalité. Au niveau mondial, la situation est plus contrastée mais on sent des frémissements qui vont dans le bon sens."