Gens des pierres

Article paru en avril 2017
Mis en ligne en septembre 2022

Bâtir en pierres sèches est une tradition vieille comme le monde. De tout temps l’homme a utilisé et perfectionné cette technique et sur tous les continents, pour gagner quelques mètres carrés de terre,
pour lutter contre l’érosion, pour s’abriter…
 

L’association « Gens des Pierres » œuvre à la promotion de la pierre sèche, au renouveau de ce savoir-faire ancestral, d’un vieux métier encore porteur d’avenir. Et pour nous expliquer leur fonctionnement, c’est le trésorier et le secrétaire de l’association que nous avons rencontrés, Bertrand Masse et Ludovic Salvar.

Sans la technique de construction en pierres sèches, dont l’origine s’est perdue dans les méandres du temps, les paysages d’Ardèche et d’ailleurs, ne seraient pas ce qu’ils sont devenus. De grands territoires de montagne seraient restés boisés et non cultivés. Cette technique qui se décline aussi bien avec le calcaire, le schiste ou le granite, sans aucun liant, a servi pendant des siècles et des siècles à bâtir des murs de soutènement pour les terrasses les routes, et des clôtures, des escaliers, des voûtes, des cabanes…

« Aujourd’hui, on sent un renouveau de l’intérêt pour la pierre sèche, mais il faut encore informer et sensibiliser pour dire que la pierre sèche est plus fiable que le béton, et qu’elle n’a aucun impact négatif sur l’environnement, assure Bertrand Masse. » L’association est née en 2006 dans le département voisin du Gard et a repris du service il y a deux ans, à Lentillères. Elle est un collectif de bâtisseurs passionnés, soucieux de la conversation et de la revalorisation de ce patrimoine unique liée à la pierre sèche. Ainsi l’association est la façade valorisante du métier de murailler ou bâtisseur en pierres sèches. « Nous sommes tous des muraillers et la vie de notre association n’est absolument pas de nous trouver des chantiers mais vraiment de valoriser la pierre sèche auprès du grand public et des institutions, déclare Ludovic. »
Une dizaine d’amis partage leur passion de la pierre sèche. Et contrairement à ce que pensent quelques amateurs néophytes, bâtir en pierres sèches n’est pas à la portée du premier venu. Il s’agit d’un vrai métier dont l’apprentissage est récompensé par un diplôme, et l’association « Gens des Pierres » fait partie de la fédération française des professionnels de la pierre sèche. Ce diplôme, se déclinant avec un tronc commun suivi de spécialisations en calcaire, granite et schiste, se montre très exigeant. Environ deux cents muraillers l’ont obtenu en cinq ans. « Le renouveau professionnel de la pierre sèche était bloqué par le manque de normes établies et donc l’impossibilité de proposer une garantie décennale, explique Bertrand Masse. Des études ont été menées et ont abouti à la réglementation de notre activité, à son développement. »

Certains d’entre vous vont être déçus, mais l’association ne prend aucun chantier de particuliers, ces derniers sont dirigés vers les professionnels les plus proches. Il faut savoir qu’un murailler ne travaille jamais seul, en revanche, l’association intervient lors de chantiers participatifs et d’auto construction, des chantiers de formation et des stages, des partenariats nationaux et internationaux de la filière pierre sèche. Sans oublier quelques animations qui ont lieu lors des fêtes, dans les villages, pour montrer ce savoir-faire unique.

Finalement, la question est pourquoi préférer la pierre sèche au béton ? Avant tout, il y a bien évidemment l’impact visuel et paysager, patrimonial, et environnemental car un bon murailler ne bâtit qu’avec des pierres prélevées sur place, limitant au maximum le transport. « Le béton, contrairement à une idée reçue, n’est souvent pas moins onéreux que la pierre sèche, lance Ludovic Salvar. Et puis, la longévité des ouvrages entretenus en pierres sèches n’est plus à démontrer. » L’envie peut être parfois forte, de lier les anciennes pierres sèches avec du mortier, mais ce liant nuit au drainage des murs et de la terre qu’ils retiennent dans le cas des terrasses et provoquer l’écroulement des murs. Quand les pierres sont savamment agencées, les ouvrages durent plus longtemps, très longtemps. Un puzzle grandeur nature en trois dimensions.

La pierre sèche est l’identité de l’Ardèche et des Cévennes, sans les faïsses, ici la terre ne serait plus, l’érosion aurait lessivé les sols. Conscients de cette importance, les muraillers de l’association aimeraient travailler encore plus auprès des agriculteurs et des viticulteurs, pour la préservation et la reconstruction des terrasses éboulées. « Outre les aspects purement techniques et pratiques de la pierre sèche, nous aimerions aussi montrer qu’elle peut être le support au land’art permanent, nous confie Ludovic, car nous savons dessiner des motifs dans un mur, et aussi laisser libre cours à notre imagination. Nous aimerions beaucoup aussi organiser une grande fête de la pierre sèche, en collaboration avec d’autres associations d’autres régions, ajoute Bertrand Masse. »
L’univers de la pierre sèche est beaucoup plus vaste que l’on peut s’imaginer, et les muraillers du XXIe siècle débordent d’idées pour marier ou associer tradition et modernité. Alors on peut dire qu’ici, la pierre sèche possède un bel avenir, même si le chemin est peut-être encore un peu long.
En savoir plus
Association « Gens des Pierres »
Le Saboul
07200 Lentillères
06 26 63 30 38 
gensdespierres@gmail.com
Facebook : gensdespierres
 
Texte : Bruno Auboiron
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