Des chevaux et des femmes

Article paru en avril 2015
Mis en ligne en juillet 2022

A Chirols, sur les faïsses surplombant l’écomusée, c’est un pittoresque spectacle qui s’offre à nos regards. Des scènes que l’on croyait disparues depuis le siècle dernier, surgissent aujourd'hui, comme des images sorties d’un film de Pagnol. Ma Bastide a voulu vous faire partager quelques moments passés sur les lieux et vous raconte…
 

Sur un chantier de débardage à l’ancienne, deux femmes mènent de superbes chevaux de traits avec une surprenante dextérité. De quoi s’agit-il ? Nous sommes à Chirols. La commune a entrepris la réhabilitation de ces terrasses afin d’y installer des plantations arbustives d’espèces traditionnelles ou anciennes et autres espèces médicinales. Un véritable défi pour parvenir à redessiner le paysage et reprendre possession des espaces abandonnés à la forêt. Ce chantier réclame en premier lieu l’abattage des arbres, puis la remise en état des murettes avant la réactivation des sols. Le travail le plus spectaculaire est le bûcheronnage. Ce terme évoque habituellement des images fortes dans lesquelles apparaissent des individus athlétiques haletant sous l’effort imposé par le rude travail forestier. Loin s’en faut. Ici, tout n’est que technique et habileté. L’abattage des pins géants nécessite une parfaite maîtrise du travail afin d’éviter, bien évidemment, d’endommager les murailles. La première difficulté est apparue avec la configuration du terrain. Les "clos" trop étroits ne permettent pas le passage des engins forestiers. Il a fallu faire appel à une autre méthode d’autant qu’un escalier en pierres sèches coupe ces "faïsses"  de bas en haut, en milieu de parcelle. A l'issue de moult réflexions, c’est la technique du débardage à l’ancienne, c’est-à-dire avec chevaux, qui a été retenue.

Pour ce faire, c'est l'association agricole «Longo Maï Ardèche», une équipe de sept personnes expérimentées, localisée à Chanéac, habituée à ce genre d’exercice qui a été dépêchée pour ce mandat spécifique. Une belle entente : les hommes travaillent à l’abattage et les femmes au débardage. La coupe des pins Laricios de plus de vingt mètres de haut est l’opération la plus délicate. Pour chacun des arbres, l’angle de coupe est soigneusement étudié et le point de chute judicieusement désigné. Lolo et Paco, les deux bûcherons délaissent souvent leurs tronçonneuses pour s’équiper de coins alu, d’une masse et d’un cric bouteille afin d’assurer la chute directionnelle des troncs sous les "faïsses".                        

Le travail le plus singulier est réalisé par les femmes, débardant les grumes avec des chevaux menés à la voix ou au "cordeau", cette unique corde de pilotage qui se substitue ici aux habituelles rênes de cuir. C’est un spectacle insolite et captivant que celui d’observer ces femmes menant les chevaux avec tant de dextérité. Nous avons rencontré deux femmes ; Emmanuelle, maman de quatre enfants, exerce ce métier depuis 7 ans et Sabine, également maman d’un petit garçon, exerce depuis près de 4 ans. Femmes et chevaux ont noué des liens de belle complicité, à force d’habitude et de patience… Trois chevaux : Tonnerre, hongre de 8 ans appartient à la race des Traits du Nord, il se révèle volontaire à la tâche, impulsif et affectueux. Marquise est une Ardennaise de plus de 15 ans. Précise, presque maniaque, cette jument au caractère bien trempé, travaille sans jamais rechigner. Ourga, âgé de 14 ans est un hongre Comtois au caractère doux,  mais d’une force étonnante. Une certaine tendresse se dégage du travail réalisé en commun, entre ces puissants chevaux et ces deux femmes, à l'allure frêle comparée à ces mastodontes de près de 900 kg.

Le travail des femmes sur le chantier est étendu. Outre les soins quotidiens aux chevaux (nourriture, litière, etc.), elles sanglent les colliers de cuir glissés autour du cou des animaux. Portant les chaines sur leurs épaules afin d’enlacer les troncs, tirant la longe, conduisant l’animal, pour déplacer les troncs, elles guident les manœuvres des chevaux à la voix et au "cordeau". D’une seule main, elles tiennent la longe de 10 mètres, imposant d’un simple coup sec du poignet sur la corde, les manœuvres à l’animal. Les troncs de 600 à 800 kg  glissent alors sur le sol. Ils sont ensuite abandonnés au bout des faïsses, là où les bêtes sont mises au repos. Telles des bûcheronnes, Emmanuelle et Sabine prennent la relève. Tonnerre, Marquise et Ourga les regardent, impassibles… Equipées de leviers, elles basculent les grumes une à une sous les murettes jusqu’au bas du terrain où l'entreprise Sira, venue d'Isère, récupère le bois destiné aux autoclaves. Emmanuelle et Sabine nous ont fortement impressionnés par leur habileté et leur professionnalisme. Outre le débardage, Emmanuelle et Sabine assurent tout au long de l’année avec leurs chevaux, des travaux agricoles pour les besoins de l’association. Ces chevaux qu'elles ont spécialement dressés, sont aptes à réaliser tous les travaux des champs, exécutant avec souplesse des tâches pour lesquelles le tracteur s’avère inopérant en des lieux inaccessibles ou lorsque la délicatesse est nécessaire, comme c'est le cas sur ce chantier, afin de préserver les faïsses et le petit bâti.
 
Adresse
Association Longo Maï Ardèche
07310 Chanéac 
 
Texte et clichés : Henri Klinz