Une vierge mystérieuse à Pramailhet

Article paru en mai 2017
Mis en ligne en septembre 2022

Pramailhet deviendrait-il le Compostelle ardéchois ? Depuis quelques années un véritable engouement apparaît pour ce petit coin de campagne situé sur la commune de St Etienne-de-Boulogne où l'histoire et la légende se confondent. Ralliant pèlerins et curieux autour d'une chapelle insignifiante, on peut le dire, Notre Dame de l'Espérance traine derrière elle, depuis des siècles, une bien curieuse légende.
 

L'histoire
Le lieu n'est pas insignifiant. Situé à l'extrémité ouest du Coiron sur un terrain essentiellement volcanique, Pramailhet se distingue par ses sols calcaires, ses vallons et ses terres humides en bordure des communes de Freyssenet et de St Laurent-sous-Coiron. Entre les "sources froides de Coudoulet" et celle de "La Boulègue" tout ici est propice à l'existence d'un culte celtique ainsi que le suggère, en son temps, le chanoine Saunier. La construction d'une chapelle en ce lieu aurait pu, précise le prélat, être un "geste de protection" en raison de la proximité du quartier de Combemale (étymologiquement : vallée maudite) et dont le nom évoque le souvenir d'une jeune fille agressée et massacrée (que l’on dit aussi dévorée). Rien d'étonnant dès lors afin de "conjurer" le sort qu'un premier ermitage religieux apparaisse au hameau de Solary, avant qu'une petite chapelle construite dès 1648 ne devienne un lieu de dévotion venant également panser les blessures laissées par les guerres de Religion.
Le relief, au départ du col de l'Escrinet, offre une route en corniche surplombant le bassin d'Aubenas d'où la vue est exceptionnelle. Déjà à la période médiévale, cette route permettait aux habitants du plateau ardéchois de rallier au sud l'imposante sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg et au nord de rejoindre en pèlerinage Notre Dame du Puy. Mais c'est le XVIIIe siècle qui ouvre la fenêtre la plus intéressante sur l'histoire de Pramailhet. Dans son ouvrage sur le Comte Boissy-d'Anglas, la ministre ardéchoise Alice Saunier-Seïté décrit l'action conduite par Jean Matthieu Chouvet, curé de Chomérac (1732-1830) guidé par Mgr Charles de La Font de Savine, évêque constitutionnel de Viviers, afin de "fonder une église schismatique, refusant l'autorité du Pape et dont le siège sera à Notre Dame de Pramailhet, près de Darbres". La petite chapelle prit même à une époque la dénomination de "cathédrale" afin de symboliser le lieu de naissance de cette nouvelle église schismatique, vers laquelle auraient dû converger les prêtres jureurs*, formant le nouveau clergé et le chapitre du diocèse de Viviers. L'instauration du cordat de 1801 est venue éteindre « l'incendie » en reconnaissant une nouvelle organisation de l'Eglise catholique…

Notre-Dame à Pramailhet
Ainsi, à compter de 1648, les travaux de construction d'une chapelle en pierre volcanique noire débutent au sud du hameau de Combemale, au quartier de Pramailhet. Cet édifice est bâti sur les fondations d'une chapelle primitive, détruite par les Huguenots. Cette nouvelle construction devenue trop exigüe en raison de la multitude des pèlerins s'y pressant, sera agrandie une première fois en 1781, puis en 1823 et enfin en 1872. C’est à cette période que le célèbre pèlerinage de Pramailhet est à son apogée, réunissant parait-il jusqu'à 6000 personnes. Des travaux de rajeunissement et d'entretien de l'édifice religieux seront réalisés en 1985, puis en 2003. Un curieux campanile en fer forgé situé sur le pignon de la façade a probablement remplacé un clocher peigne qui ornait la chapelle néo-romane à son origine. De l’intérieur de la chapelle aux murs crépis, on retient, mise en évidence dans le chevet, une splendide statue dorée de la Vierge à l’Enfant terrassant un serpent. Bien que l’iconographie chrétienne ait attribué cette représentation à l’Immaculée Conception, le vocable désigne ici Notre Dame de L’Espérance.

La légende de la statue polychrome
Le pèlerinage de Pramailhet organisé le premier dimanche de septembre s'accompagne donc d'une légende, s'appuyant sur une autre statue de la Vierge que l'on dit avoir été découverte ici, déterrée par un agriculteur sur ses terres. Les bœufs, au cours du labour, se seraient heurtés à plusieurs reprises à un obstacle enfoui sans parvenir à l'arracher. La mémoire collective parle de "bœufs tombés à genoux", pliant sous l'effort. Creusant le sol, le paysan aurait déterré à cet endroit une statue dénommée "Notre Dame de Pramailhet".
La statuette de 15,400 kg et dont la hauteur ne dépasse pas 42 cm, est taillée dans une colonnade de grès d'à peine 18 cm de diamètre. Donc, pas de quoi arrêter des bœufs ! Le chanoine Saunier décrit la pierre"qui porte l'image de Marie est simplement un tronçon de colonne de forme hexagonale, à pans inégaux, percé des deux côtés, dans le sens de la longueur, de manière à reposer sur une douille et à s'ajuster ainsi sur le fût d'une colonne". L'écrivain et historien religieux rapproche cette statuette d'une « croix de pierre à double face », probablement détruite vers 1804, et qui en constituerait le dernier vestige. Effectivement, l'un des pans de la colonne est suffisamment rugueux pour supposer l'arrachement à un support primitif. Cependant la destruction de cette croix pourrait être plus ancienne, probablement le résultat des exactions commises par les protestants, la construction de la chapelle ayant succédé à cette période.

Le pèlerinage semble remonter loin dans le temps
Il fut renforcé par la découverte de la statue de la Vierge, cette statue polychrome qui est aujourd'hui protégée et exposée dans un reliquaire dans l'église de St Etienne de Boulogne, où est dressé un petit oratoire. A l'occasion de ce pèlerinage en septembre, la statue est ramenée dans la chapelle de Pramailhet, où pèlerins et croyants viennent en dévotion, parfois même à pied depuis Darbres, St Laurent-sous-Coiron, St Priest, etc. Les marcheurs se livrent alors à un véritable périple pour rejoindre le lieu sacré. Venant d'Aubenas, des automobilistes stationnent leur véhicule à hauteur du Moulin Artige avant d'entreprendre l'ascension vers la petite chapelle. Une journée de plein air s'organise alors naturellement après l'eucharistie célébrée sur l'esplanade devant la chapelle trop exigüe pour contenir la foule mais toute la journée les portes de la petite chapelle demeurent ouvertes et des visiteurs viennent se recueillir en silence pendant que d'autres profitent de cette sortie pour un pique-nique familial dans les prairies voisines. Autrefois, les pèlerins partaient ensemble de St Etienne-de-Boulogne pour entreprendre le long chemin conduisant à Pramailhet. Et Charles-Albin Mazon de préciser : "On apportait à la chapelle de la laine de brebis (…) et un chapeau plein de blé. Inquiets à la suite d'une maladie enfantine, les parents "promettaient" le jeune malade à un lieu saint. Lourdes était trop loin pour les pauvres, on se rendait à Pramailhet".

* par opposition aux « insermentés » ou « réfractaires ».

Sources 
- Mémoire de l'Abbé Bernard Nougier "Pramailhet, pèlerinage à notre Dame ".
- Revue du Vivarais (1922)
- Revue de la Société des enfants de Villeneuve-de-Berg. (1999)
- Observatoire du patrimoine religieux.

 
Texte et clichés : Henri Klinz