Un tramway et à vapeur...

Article paru en avril 2016
Mis en ligne en juillet 2022

La ligne de tram mise en service entre Aubenas et Vals-les-Bains de 1898 à 1932 fut sans aucun doute une formidable innovation en matière de transports urbains. Cependant, les difficultés se sont accumulées dès la mise en service du réseau.

En premier lieu, plusieurs accidents se sont produits. Des incidents ont mis en évidence les mésententes entre les dirigeants chargés de l'exploitation des lignes concurrentes dans ce même secteur du sud ardéchois. Les capitaux engagés initialement se sont avérés insuffisants pour prétendre disposer d'un matériel de qualité. Enfin, l'émergence du transport routier a supplanté le rail entraînant l'arrêt de l'exploitation de la ligne de tramway Aubenas-Vals. Après avoir résisté au choc de la Première Guerre mondiale, le tram disparaissait, victime de la modernité et des technologies apportées par le XXe siècle naissant.

Deux ans à peine après la mise en service de la ligne, une série d'événements a jeté le discrédit sur le tramway. Après quelques déraillements sans conséquence pour les passagers, un accident survenu le 9 septembre 1900, en fin d'après-midi, marqua les esprits. Un enfant de deux ans fut renversé par le tram devant le dépôt, quartier Lautaret à Labégude et dut être amputé sur place de trois doigts. Le 17 janvier 1905 à la suite de chutes importantes de neige, le service du tram fut interrompu pendant une semaine et la population manifesta son mécontentement. Le déblaiement de la chaussée qui n'aurait dû prendre que quelques jours s'éternisa.

Au dépôt de Labégude, les équipements étaient rudimentaires. L'ingénieur écrit dans son rapport du 10 juin 1904: "Cet atelier n'a pas d'outillage de réparation, mais cela n'a pas grande importance, car provisoirement les employés peuvent s'en passer, si besoin, ils peuvent emprunter des outils à l'atelier voisin de construction mécanique, qui lui est bien équipé." Dans chaque machine le conducteur ne dispose, dans un caisson, que d'un outillage de fortune : une clé de commutateur, une clé à molette, un tournevis, une burette….
Avec l'expérience, la municipalité de Vals, qui avait œuvré pour un "circuit en boucle "dans la ville, revint sur sa décision initiale. Rue Farincourt, la chaussée, bordée d'arbres ne laissait que cinq mètres au croisement des calèches et des piétons avec le tram. Par ailleurs, les rails faisant saillie sur la chaussée le long de cette avenue, les incidents se multiplièrent. En conséquence, le tramway ne circula jamais dans ce quartier et la chaussée fut déferrée.

En 1904, un groupement comprenant des notables et des commerçants des villes d'Aubenas et de Vals, décida de reprendre l'exploitation de la Société Anonymes du tramway de Vals-Les-Bains à Aubenas sous l'appellation de Société Ardéchoise des tramways. Les nouveaux administrés promirent d'améliorer la liaison initiale entre les deux cités et d'ajouter un nouveau tronçon permettant de relier la gare d'Aubenas au centre ville mais cette promesse ne fut jamais suivie d'effet. En revanche, la société d'exploitation augmenta de 25 à 30 centimes le prix du billet. L'exploitation du réseau devint chaotique avec de nombreuses interruptions de lignes. À partir de 1929, le tramway ne fonctionnait plus que le samedi et le dimanche, au grand dam des ouvriers de la "Viscose" qui constituaient le gros de la clientèle. Le tram n'atteignait Vals qu'en période estivale pour les besoins des curistes et en 1932, le trafic cessa définitivement.

Aux problèmes de matériel et de gestion s'était ajoutée en 1910, la concurrence du tram à vapeur. Cet ensemble, plus connu sous l'appellation de "tacot du Vivarais", reliait Le Pouzin à St Paul-Le-Jeune. Cheminant habituellement en campagne, ce "train", exploité par la société des Tramvays de l'Ardèche (T.A) prenait des allures de tram à vapeur en entrant dans les agglomérations. Le souvenir nostalgique de cette ligne est resté longtemps gravé dans les mémoires et aujourd'hui encore son existence a laissé quelques stigmates dont certains ardéchois parlent avec nostalgie : le tunnel sous l'Escrinet, dont l'entrée est toujours visible un peu au-dessous des locaux de la Fédération Départementale de La Chasse - la gare des Clapès à St Etienne de Boulogne où se dressait le château d'eau permettant d'alimenter les locomotives - les rails sur l'esplanade de St Paul-Le-Jeune, etc. À Aubenas, le "tacot du Vivarais" parti de la Gare, remontait péniblement le Boulevard Jean Mathon pour déboucher à "toute vapeur" en bordure du Champ de Mars avant de s'engager Boulevard de Vernon. On imagine difficilement aujourd'hui la présence d'une locomotive dans le centre-ville d'Aubenas. Pourtant, sur la portion comprise entre l'actuelle maison de la Presse et le carrefour de la Rotonde le tram à vapeur empruntait la même voie que le tram électrique. Puis le tacot redescendait lentement le long du Boulevard Pasteur envahi de fumée, avant d'entrer en gare sur l'actuelle place de la Paix (le mur gris en pierre de taille situé dans l'alignement de l'abribus, au dessous de la placette rue Clotilde de Surville constitue le dernier vestige de cette gare existante dans les années 20).

Dans cette région du bas Vivarais, une troisième ligne de chemin de fer occupait l'espace. En effet, le "tacot du Vivarais" affecté uniquement au transport de voyageurs doublait la ligne du PLM chargée essentiellement du transport des marchandises. Ce train venu de la vallée du Rhône, depuis le Teil, organisé autour des principales gares de triage de Vogüé et de St Sernin permettait de dégager les matières premières destinées à l'industrie (Plomb argentifère des mines de Largentière et charbon des mines de Prades destinés à la fonderie de La Voulte - Bouteilles de la verrerie de Labégude - Basalte des carrières d'Aubignas, etc.).

La mésentente entre les dirigeants des diverses sociétés d'exploitation explique en partie la fermeture des lignes de tramways dont la liaison Aubenas/Vals fut la première victime. L'interruption de la ligne de tram au niveau du passage à niveau de Labégude, les problèmes d'aiguillage sur la partie commune de circulation boulevard de Vernon, ainsi que le déblaiement de la chaussée, etc. ne constituent cependant pas les principales raisons justifiant la mort du tramway. Les années 20 se caractérisent par une prodigieuse avancée technologique, et notamment le développement de la voiture. Les véhicules automobiles permettent de transporter les personnes jusque devant leur habitation et les coins les plus reculés de la montagne ardéchoise sont dorénavant accessibles par la route. Le développement industriel a sonné le glas du tramway Aubenas-Vals.
Mais, comme l'histoire n'est qu'un éternel recommencement, la ligne Aubenas-Vals a repris son activité au cours de ces dernières années. Le vieux tramway électrique a seulement cédé sa place à un nouveau mode de déplacement interurbain: la navette Tout'enbus...

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L'histoire de la vie du rail en Ardèche méridionale est conservée à travers la mémoire vivante de quelques passionnés de chemin de fer notamment les Amis Modélistes Ferroviaires Ardéchois (A.M.F.A). Les membres de ce club se rassemblent régulièrement le vendredi après-midi dans leur local situé près de l'ancienne gare de St Jean-Le-Centenier. Là, ces amoureux de train échangent en permanence des informations techniques sur le réseau de chemins de fer ardéchois, consultent des documents, réalisent des maquettes... À ce titre le président du club Francis Minvielle-Debat, de St Maurice d'Ardèche, rappelle les principaux objectifs du club :              
"Premièrement, assurer la maintenance de la maquette ferroviaire. Cette animation reproduit le décor exact du site de St-Jean-le-Centenier dans les années 50 - Le spectacle est ouvert au public le vendredi après-midi (prix d'entrée 2 euros par personne - Gratuit pour les enfants) -  Deuxièmement, ouvrir largement les portes aux visiteurs à l'occasion de la fête annuelle de la bugne (5 à 600 personnes chaque année) et enfin laisser libre accès aux visiteurs à l'occasion de la journée nationale du patrimoine, la maquette de St-Jean-le-Centenier étant classée au patrimoine communal".
Au risque d'écorcher la croyance populaire, ce club ne regroupe pas de grands enfants jouant au train électrique. Il constitue une équipe de spécialistes de la vie du rail, tous férus de technologie et d'équipement se rapportant aux machines. De fait, leurs connaissances s'étendent par ricochet au cadre social et économique faisant l'histoire de notre région au cours de la glorieuse époque du chemin de fer.

 
Sources :
- Le tramway électrique en 1899 - Association Terre Cévenole Alès.
- Les tramways à vapeur et électrique de l'Ardèche par Henri Domengie.
- Sur les rails d'Ardèche et du Vivarais de Michel Braun.
Texte et clichés : Henri Klinz