Salavas

Article paru en septembre 2017
Mis en ligne en juin 2023

En toute discrétion.

Pour le vacancier, Salavas n’est bien souvent qu’un point de passage, quelques campings, une plage, bref un lieu de vacances comme tant d’autres. Mais pour celui qui a la curiosité de soulever ce voile éphémère du tourisme, Salavas est un village, un vrai, riche de ses histoires au fil des siècles, unique.
 

À Salavas on vit du tourisme et on ne le cache pas. Dès l’entrée du village, à peine franchi le pont sur l’Ardèche, tout l’attirail indispensable à l’estivant est présenté le long de la route. Les campings et la rive droite de la rivière sont pris d’assaut. Pour retrouver un peu d’authenticité, il faut emprunter les ruelles montant vers le vieux village, passer la porte voûtée à l’ouest des anciennes fortifications et se laisser aller au hasard de la marche entre les maisons aux pierres usées et chaudes en direction du château ruiné. L’une de ses tours est même le seul repère visuel puisque l’église se passe de clocher et se cache derrière les arbres. Son unique cloche a pris place entre deux piliers rocheux. Quant au temple, il se fait discret rue de la fontaine.
 
À l’origine, les premières habitations de Salavas furent édifiées le long de la voie romaine reliant Alba-la-Romaine à Nîmes. Deux bornes milliaires furent d’ailleurs retrouvées ici même, et elles datent, comme la création de cette voie de communication, du règne de l’empereur Antonin-le-Pieux. La présence d’un gué sur l’Ardèche, franchissable quand la hauteur d’eau le permettait, fut sans doute la raison de l’établissement humaine sur le site. Le commerce pouvait se développer aisément à cet endroit et il y avait des bénéfices à tirer du franchissement de l’eau, à une époque où les ponts se faisaient très rares. Plus tard, peut-être au VIIIe siècle, l’édification de la haute tour du Moulin sur un îlot rocheux permit la surveillance de ce passage à gué stratégique entre le Languedoc et la vallée du Rhône. Elle servait aussi aux seigneurs de Salavas, afin de s’assurer de l’acquittement du péage, au moment du passage du gué.
 
Surveillance, ce devait aussi être la raison du développement du château à partir du XIIe siècle et agrandi aux XVe et XVIe siècles. En effet, bâti sur un éperon rocheux, sa position était idéale pour contrôler tout ce qui transitait à ses pieds, sur terre et sur l’eau. Il fut entièrement détruit par les troupes protestantes du duc Henri de Rohan, chef des protestants du Languedoc, en 1628. À la fin des guerres de religion, un nouveau château fut édifié un peu plus bas, mais de tout cet ensemble, il ne reste que ruines aujourd’hui, quelques pans de murs et une altière tour ronde. Bien sûr, à l’époque médiévale, le village se terrait derrière ses remparts et seulement trois portes en permettaient l’accès : la porte nord donnant accès à l’indispensable gué, aucun pont n’existait alors, la porte sud et la porte ouest. Il est agréable aujourd’hui de franchir cette dernière, pour découvrir le vieux village en venant depuis la partie la plus moderne de Salavas.
 
Ici, les guerres de religion laissèrent maintes traces, où plutôt les effacèrent, car point d’église ancienne et prestigieuse. Il est rare qu’un village, chez nous ou ailleurs, ne se trouve pas dominé par le clocher de son église. Alors que certains, nous l’avons vu, en possèdent plusieurs. Ici, point de fier coq perché sur une girouette tournant à tous les vents, point de volée de cloches sonnant à tout va. Non, l’église se fait discrète au fond de son petit parc arboré. Non, elle ne s’impose vraiment pas. Il en est d’ailleurs de même du temple. Ces édifices religieux ne sont pas très anciens, leur construction fut autorisée à l’issue de la révolution française, quand la liberté de culte fut promulguée.
 
Pourtant Salavas n’a pas manqué d’églises au cours de son histoire. Les plus anciennes ne se trouvaient pas sous la protection des remparts moyenâgeux, mais sur le site de la Gleyzasse. Dominant le village, l’endroit servit de cimetière jusqu’au XIXe siècle. D’importantes fouilles ont donné une autre lecture, plus riche. Deux églises paléochrétiennes, Saint-Julien et Saint-Jean, furent construites vers le IVe siècle, détruites et reconstruites successivement au gré des invasions, des guerres. Elles furent définitivement rasées en 1562, lors des guerres de religion. Au cœur de la couche archéologique la plus ancienne, les chercheurs ont découvert les bases d’un petit édifice carré qui aurait très bien pu servir de temple. Toutefois rien n’est certain en ce domaine. Au fil des siècles, le site est devenu un cimetière, et les fouilles ont ramené à la surface quelques deux cent-cinquante tombes et sarcophages du Ve au XIXe siècle, et de nombreux objets et débris racontant la vie s’étalant sur quinze siècles.
 
Si aujourd’hui, le tourisme est la première source de revenus à Salavas, le village connut un passé où la terre le fit riche. Non pas le travail de la terre par les paysans, mais l’exploitation de l’argile. Dès le XIIe siècle cette terre façonnable fut exploitée pour ses grandes qualités. Et au XIXe siècle, le village comptait tout de même trois tuileries et sept poteries. La terre nourrit toujours son homme ! et si l’argile de Salavas existe toujours, son usage est tombé dans l’oubli… Plus solide, la pierre de Ruoms a donné naissance à la fontaine d’Augier, nommée localement Font d’Augier. Bâtie en 1857, elle est restée en usage près d’un siècle, jusqu’au moment où l’eau courante est arrivée dans les maisons. Presque soixante-dix ans après son abandon, elle conserve fière allure et s’impose dans l’architecture locale. Une architecture, traduction de nombreux siècles d’histoire, qu’il faut prendre le temps de découvrir à pied, au fil des ruelles et des calades, des placettes ombragées, et aussi le soir, quand la chaleur décline doucement.

Texte et clichés : Bruno Auboiron