Saint-Privat

Article paru en novembre 2015
Mis en ligne en juillet 2022

S’étirant en rive gauche de l’Ardèche, juste en face d’Aubenas, Saint-Privat n’affiche plus son identité d’autrefois liée au monde de la soie, des filatures et des moulinages. Devenu comme bien d’autres, un village dortoir, Saint-Privat n’en conserve pas moins une vie attractive et dynamique.

L’histoire de Saint-Privat débute au moins cinq mille ans avant notre ère si l’on en croit les outils primitifs taillés dans les galets de l’Ardèche, retrouvés lors de fouilles archéologiques.
Un grand saut dans l’histoire nous conduit à l’époque romaine où le site de Saint-Privat bordait l’ancienne voie pavée venant d’Alba-la-Romaine et descendant de l’oppidum de Jastres par l’Échelette pour remonter le cours de l’Ardèche en rive gauche. La première mention de Saint-Privat en tant que paroisse remonte au XIIe siècle. Elle dépendait du prieuré de Saint-Chaffre du Monastier-sur-Gazeille, puis de la seigneurie d’Ucel et de celle d’Aubenas. A la Révolution française, Saint-Privat devint Privat du Luol, du nom de l’affluent de l’Ardèche traversant la commune… Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que le village se fasse une place au soleil du développement industriel.

"Notre village était un village de moulinages, souligne enthousiaste Alain Martinot, ancien professeur d’histoire et géographie, habitant la commune depuis fort longtemps, spécialiste de son histoire. Il y en avait une dizaine autrefois et le dernier a cessé son activité en 1976." Cette activité offrait du travail aux femmes du village et de la montagne, tandis que les hommes travaillaient la terre. Des ouvrières en grand nombre sont arrivées aussi, après le génocide d’Arménie.
D’après les registres de la famille Tourette, propriétaire de l’ensemble des usines, au 30 avril 1930, elles embauchaient 127 hommes (96 locaux et 31 étrangers) et 447 femmes (342 Ardéchoises et 105 étrangères). Ensuite des orphelines polonaises débarquèrent en nombre, sous l’impulsion de congrégations de religieuses ursulines. "Le moulinage et l’agriculture sont indissociables de la vie de Saint-Privat dont l’économie était irriguée par le canal du même nom, poursuit Alain Martinot. L’autorisation d’utiliser en la détournant, l’eau de l’Ardèche avait été donnée dès 1619. Sans doute, la construction du canal date-t-elle de cette époque, mais nous n’en savons rien officiellement avant son apparition sur le cadastre en 1834."
Aussi important qu’une voie de communication, ce canal prend sur la commune d’Ucel en aval de Pont-d’Aubenas et s’achève au pied de l’Échelette. Jusqu’en 1820, ce canal fut uniquement à vocation agricole. Ensuite, son usage passa sous la domination des moulinages. Les conflits ne manquèrent pas d’apparaître et le garde du canal devait avoir fort à faire pour distribuer l’eau en fonction des jours et des usages ; 2 050 litres par seconde pour l’industrie contre 500 litres par seconde pour l’agriculture. "Aujourd’hui, même si les exploitations agricoles se comptent sur les doigts d’une main, le canal ne sert à nouveau qu’à l’agriculture et aux nombreux jardins qui renaissent sur ses deux rives, admet Alain Martinot. Mais que deviendra-t-il dans l’avenir ?"
Il n’y avait pas que le canal et l’Ardèche pour irriguer la plaine de Saint-Privat jusqu’au pied de l’Échelette. Le Luol y allait de ses caprices aussi. Jusqu’au XIXe siècle, ce modeste affluent de l’Ardèche coulait en parallèle de la rivière dans la plaine et le confluent se situait au pied de l’Échelette. À la suite de multiples crues, le Luol a déserté la plaine pour gagner désormais l’Ardèche, à proximité immédiate du village. "Si le Luol court principalement en souterrain aujourd’hui, c’est à cause de ses rives non entretenues, affirme Alain Martinot. Un peuplier consomme jusqu’à mille litres d’eau quotidiennement."  L’Ardèche aussi a modifié son cours, notamment après la célèbre crue de 1772. De deux bras franchissables à gué, est né un seul bras nécessitant la construction d’un pont. Cette caractéristique explique la présence d’une dizaine d’hectares d’une ferme d’élevage de Saint-Privat qui se trouve désormais en rive droite de la rivière, entre les communes d’Aubenas et de Saint-Didier-sous-Aubenas.
La plaine de Saint-Privat était occupée par les mûriers, l’arbre d’or, mais au fil du temps, la prairie et le maraîchage se sont développés tandis que sur les hauteurs de la commune, les céréales et la vigne s’épanouissaient. Entre les deux guerres mondiales, la plaine fut plantée d’arbres fruitiers, principalement des cerisiers. Sur la place des commerces d’aujourd’hui, se déroulait autrefois un important marché aux cerises. Les acheteurs venaient de fort loin et les fruits partaient jusqu’en Angleterre... Les transactions débutaient au coup de sifflet et étaient uniquement orales. La parole avait une réelle valeur en ce temps-là. Parfois la plaine n’était pas assez grande pour accueillir tous les vendeurs, pourtant élargie par l’ancienne gare de la ligne du col de l’Escrinet qui n'a fonctionné que quatre années, de 1910 à 1914, et qui fut démolie.

Tous les moulinages anciens ont été restaurés et le plus important s’est métamorphosé en maison de retraite, en cours d’agrandissement, employeur important de la commune au même titre que le centre de France Télécom inauguré en 1987. "Quand je suis arrivé ici, en 1978, il y avait de nombreux petits commerces qui ont depuis disparu, explique Alain Martinot. La déviation et l’ouverture des grandes surfaces ont contribué à ces disparitions, mais il fait toujours bon vivre dans notre village grâce à la présence de multiples associations garantissant une vie dynamique."

Et comme un clin d’œil à son passé dont il peut être fier, sa rue principale porte le nom de, avenue de la soie…
 
Texte et clichés : Bruno Auboiron