Saint-Agrève

Article paru en octobre 2017
Mis en ligne en juin 2023

Deux villes.

La ville haute, au pied de son château érigé au sommet du mont Chiniac, et la ville basse n’en font plus qu’une aujourd’hui, nous vous présentons Saint-Agrève. À plus de mille mètres d’altitude, aux confins de l’Ardèche, si proche de la Haute-Loire, à la limite entre les hauts plateaux et les Boutières, elle est une sentinelle au cœur d’une nature magnifique.
 

Dès l’Antiquité, les Romains bâtirent sur le mont Chiniac, à mille cent-vingt-huit mètres d’altitude, un fort qu’ils nommèrent Cinnacum. Il surveillait les échanges sur les différentes routes se rejoignant ici, avant de poursuivre vers le pays Vellalve et la cité qui ne s’appelait pas encore Le-Puy-en-Velay. Au fil du temps, l’occupation humaine se développa sur le site, primitivement dans la ville haute qui était un bourg s’étalant au pied d’un château érigé au XIe siècle au point le plus haut. Cette ville haute était protégée par un imposant rempart ponctué de quatre portes. Quelques parties de ce rempart sont encore visibles aujourd’hui, ainsi qu’un pan de mur du château reliant les vestiges de deux tours rondes. A l’abri des fortifications, la ville abritait deux places pour les foires et les marchés, importantes sources de revenus à l’époque et une église ruinée au XVIIIe siècle.
 
Le développement de la ville basse, aussi nommée faubourg de Lestra, est plus récent. Elle s’étire le long de la route principale et le commerce y était florissant. Sur la cime de Lestra, une prairie à l’origine, fut aménagée la place de la Bouverie en 1865. L’idée était d’accueillir dignement l’important marché aux bestiaux se déroulant traditionnellement les trois jours précédant les Rameaux. Le jeudi était alors consacré à la vente des bœufs gras, descendus des montagnes du Mézenc, le vendredi aux vaches, et le samedi aux cochons. Ce marché était aussi l’occasion pour la jeunesse de tout le pays de se rassembler et de faire plus amples connaissances ! En 1867, une fontaine orna la place et en 1922, une halle pour protéger le marché fut dressée. Cette dernière fut démolie lors du réaménagement de la place en 1989 !
 
Puisqu’il n’y avait plus d’église au cœur de la ville haute, il convenait d’en bâtir une nouvelle dans la ville basse, car la vie avait descendu la pente du mont Chiniac pour se concentrer à ses pieds, revenus commerciaux obligent. Ce fut chose faîte entre 1815 et 1826, mais très rapidement cet édifice religieux fut jugé trop petit, trop fragile et sans aucun style. Démolie quelques décennies plus tard, en 1885 l’église primitive céda la place à l’actuelle. Son clocher, détruit par un incendie en 1914, fut surélevé en 1922. Il fallait être vu de loin.
 
En même temps que la première église, le préfet autorisa la construction d’un temple. Il se dit que les paroissiens participèrent activement à sa construction, et qu’une grande fête marqua la pose de la charpente en 1821. Un an plus tard, le temple était inauguré. Puisque nous évoquons la religion, il faut savoir que Saint-Agrève connut de grands malheurs lors des guerres de religion. Par deux fois la ville, principale place forte protestante des montagnes ardéchoises, fut pillée et rasée ; la première fois à la suite d’un très court siège et d’un assaut violent en 1563, et la seconde fois à l’issue d’un siège de huit semaines en 1588.
 
Mont Chiniac pour la ville haute et Lestra pour la ville basse, alors pourquoi Saint-Agrève ? en fait, ce nom est l’héritage donné par un évêque du Puy-en-Velay venu il y a fort longtemps pour évangéliser la région. Une légende raconte qu’il fut décapité sur ordre des autorités locales pour avoir reproché aux villageois leur idolâtrie. Avant de mourir, le martyr aurait déclaré : « Là où ma tête roulera, une fontaine jaillira qui jamais ne tarira ». Il fut décapité, sa tête roula et une source jaillit de terre. Son eau fut réputée pour soigner les maladies des yeux, du nez et des oreilles. Tout à côté de cette fontaine miraculeuse, la chapelle Sainte-Marie-du-Pouzat fut rebâtie juste après la seconde guerre mondiale. Et le 1er juillet 1973, Le Pouzat, également installé au pied du mont Chiniac, fut rattaché à la commune de Saint-Agrève qui hérita de cette eau bénie et… de la chapelle.
 
Avant de partir à l’indispensable découverte de la campagne environnante, il est intéressant de monter jusqu’à la table d’orientation du mont Chiniac. A partir de ce point, du sommet de la vieille butte granitique usée par l’érosion, la vue s’échappe loin sur un paysage de forêts et de prairies que parcourent des petites rivières aux eaux pures et claires, dont la Sumène et l’Eyrieux. Là, maintenant, vous pouvez tourner le dos à Saint-Agrève pour rejoindre les rives sauvages des cours d’eau…
 

Des visiteurs célèbres
 
Deux personnages célèbres vécurent un temps à Saint-Agrève, l’un par obligation, l’autre par choix. Dans un immeuble de la rue principale, celui qui allait devenir plus tard un acteur et un metteur en scène célèbre, vécut en famille au début du XXe siècle. En effet, le père de Louis Jouvet, ingénieur supervisant les travaux de la construction du chemin de fer départemental, s’installa le temps du chantier. Il n’en repartit jamais, tué par la chute d’une pierre de la voûte d’un tunnel qu’il inspectait le 31 janvier 1902. Louis Jouvet, qui avait quinze ans au moment du drame, n’est semble-t-il jamais revenu à Saint-Agrève. Quant à Marcel Pagnol, écrivain qu’on ne présente plus, il vint ici plusieurs étés pour le plaisir. On dit qu’il appréciait par dessus tout le calme de l’hôtel Jouve, les grives confites et les morilles à la crème du restaurant. À l’été 1937, lors d’un séjour avec son fils et l’actrice Orane Demazis, il écrivit le scénario du film « La femme du boulanger.»… On le dit.
Texte et clichés : Bruno Auboiron