À THINES RESTAURATION D’UN MOULIN DE FAMILLE.
Michel Clavel est heureux, même sous l’effort, le sourire ne quitte pas ses lèvres et son visage enjoué. Ici, autour du moulin familial, il revit toute son enfance et se façonne un présent dont il est fier. Patiemment, il restaure le moulin de son grand-père.
Peu avant de découvrir l’église perchée de Thines se découpant sur l’horizon, la petite vallée de Valbelle s’ouvre discrètement, du nom de son hameau principal se dressant tout en amont contre la pente. Une petite route remonte la rive droite du ruisseau de Paranis. Sur la rive gauche, à portée de regard, un petit bâtiment au toit de lauzes, tout juste refait, indique que nous sommes arrivés. Descendant vers le moulin, on entend les cigales et mille autres stridulations d’insectes cachés dans les hautes herbes. On entend l’eau vive aussi, et à peine le souffle du vent dans les feuilles. Sur l’autre rive, contre son moulin, Michel nous accueille. « Même si je ne fais rien, je viens passer la journée ici et je me ressource, nous a t il confié. Écoutez ce silence, ce calme. »
Michel ne sait pas quand fut construit le moulin, mais il pense qu’il doit être là depuis le XVIe ou le XVIIe siècle. Évidemment, il a été modifié au fil du temps et juste avant la dernière guerre, une petite roue en fer a remplacé l’ancienne trop usée, pour recevoir l’eau et entraîner les meules. Michel parle de son moulin comme d’une personne, il l’enveloppe de son regard bienveillant et il sourit. Entre ce bâtiment et lui, les liens sont solides. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, il passa tous ces week-ends et ses vacances ici, au hameau du Soulier, chez ses grands-parents maternels Delenne. Ces derniers vivaient de l’élevage des chèvres, des moutons, du fromage, de cultures, de la vigne et du traditionnel cochon acheté dans l’été à la foire des Vans, engraissé pour l’hiver venu. Ils vivaient aussi un peu de la production de farine de châtaigne. Et à chacun de ses temps libres, Michel aidait à la ferme tout en menant sa vie de petit garçon, puis d’adolescent. « D’aussi loin que j’ai pu remonter aux archives, j’ai trouvé la présence de la famille Delenne dans ce hameau depuis 1620. Avant je ne sais pas. J’ai toujours connu mon grand-père Gabriel ici, au moulin et à la ferme. » Décédé en décembre 1969, ce grand-père faisait encore de la farine. Depuis les meules sont restées immobiles et petit à petit la nature reprit ses droits.
« C’était l’un des derniers moulins en fonctionnement dans nos montagnes et les gens montaient de Gravières pour faire moudre leurs châtaignes, explique Michel. Mon grand-père travaillait là, trois semaines par an en hiver, quand les châtaignes étaient sèches. La farine de châtaigne, tout le monde en donnait aux bêtes à ce moment-là. » Tant que l’eau du bassin en amont au-dessus du moulin se déversait sur la roue, la meule tournait. Quand le bassin était vide, il fallait attendre que le niveau d’eau remonte. On le voit bien, le temps n’avait pas la même valeur qu’aujourd’hui.
Son père Marcel n’est pas resté à la ferme. Partir n’était pas vraiment son choix, mais il était impossible à deux familles, les grands-parents et les parents, de vivre de cette terre. À la mort du grand-père, il a continué à entretenir la ferme, du mieux qu’il pouvait, mais la lutte était inégale. Les ronces, les frênes, les genêts et les fougères eurent le dernier mot autour du moulin. Un jour, Michel prit conscience qu’avec le développement des friches, c’était sa jeunesse et la mémoire de sa famille qu’il perdait. « Au début, je pensais juste débroussailler, mettre propre, reconnaît-il. Mais mon ami Christian Valette, qui m’aide sans relâche, m’a poussé à toujours aller plus loin. Depuis quatre ans, nous montons tous les mercredis de l’automne et du printemps. »
La prise d’eau, l’emplacement de la béalière, les faïsses sur lesquelles le grand-père cultivait des légumes et de la vigne, le long du ruisseau, bref les alentours du moulin sont à nouveau propres. Sur le moulin, le plus gros chantier fut la restauration du toit en lauzes. « Je suis satisfait de voir que la vie revient au moulin, affirme Michel. J’aurai contribué à conserver un bout du patrimoine de la vallée. C’est ce moulin qui a permis aux habitants de ne pas souffrir trop de la faim pendant les guerres. » Michel n'est pas ici par devoir ou quelque culpabilité, mais avant tout par plaisir et par passion. S’il s’écoutait, il abandonnerait sa maison de la plaine pour venir vivre dans la ferme familiale.
Michel se donne encore 3 ans pour finir les travaux et faire à nouveau tourner les meules. Il reste encore du travail à accomplir : remonter les murs de la prise d’eau, de la béalière et du bassin, remettre en place le mécanisme du moulin que Michel a entière démonté pour refaire façonner des pièces neuves en bois à la place de celles défectueuses. Quant aux meules en grès, venues par les sentiers muletiers depuis le plateau de Montselgues, elles sont en parfait état. « J’ai hâte maintenant de le voir tourner à nouveau et j’aimerais que ce jour-là ce soit mon père, le premier qui le mette en eau », murmure Michel.
Dès que les premières farines seront au fond du coffre en bois, Michel ouvrira son moulin à la visite pour les écoliers et au public aussi. Du haut de ses soixante ans passés, il regarde l’avenir avec une certaine appréhension. Quand il ne pourra à son tour, plus s’occuper de son moulin auquel il donne tant aujourd’hui, et si aucun de ses enfants ne veut ou ne peut poursuivre l’aventure, il a réfléchi, il le cédera à une association pour que jamais la flamme rallumée ne s’éteigne… Mais on en n'est pas encore là, et pour l’instant nous attendons avec hâte, les premiers tours de meule !