Papiilon - Henri Charrière 2-2

Article paru en décembre 2017
Mis en ligne en juillet 2022

On connait d'Henri Charrière le récit de ses aventures rocambolesques. La littérature française et étrangère, le cinéma ainsi que la télévision ont largement diffusé les péripéties de l'ancien forçat prescrit. Il manquait cependant au tableau une touche pastel, celle de son enfance passée dans le sud ardéchois. D’où cette deuxième partie, qui fait suite à la première, parue dans le numéro d’octobre.
 

Le petit Henri a vécu les plus beaux jours de son existence à Lanas, où le garçon bouillonnant a d’ailleurs laissé un profond souvenir dans la mémoire collective. Venant de St Etienne-de-Lugdarès pour assurer de nouvelles fonctions d'enseignants à l'école de Pont d'Ucel, en 1909, le couple Charrière devait commercer ici, à Lanas, une existence heureuse profitant du double poste qui s'offrait à eux, bénéficiant d'un logement de fonction pouvant accueillir toute la famille dont Henri, alors âgé de 3 ans et ses deux sœurs ainées Yvonne et Hélène. A Ucel plus personne n'a conservé le souvenir de cette famille ardéchoise qui vécut dans le village jusque dans les années 20. Seul Bernard Perrier, a retenu quelques informations : " en ce temps-là, la cour d'école du Plantier était séparée par un mur en son milieu, les garçons d'un côté, les filles de l'autre. Mme Charrière enseignait chez les filles côté droit et Mr Charrière enseignait aux garçons, de l'autre côté. La famille occupait l'appartement situé à gauche au-dessus de l'école". Henri a suivi à Ucel, puis à Aubenas une enfance normale avant qu'un premier choc ne vienne bousculer son existence ; le départ de son père pour la Grande Guerre. Nous sommes en 1914, le jeune garçon a 8 ans. Mais c'est au cours de l'automne, que survient le drame qui va bouleverser la vie de l'enfant. De retour d'un voyage à Uzès, voyageant en train, Mme Charrière est prise de malaises. Elle descend à la gare de Vogüé pour trouver asile chez sa belle-sœur Antoinette Chabert, enseignante comme elle, à l'école publique de Lanas. C'est là que le médecin va diagnostiquer les premiers symptômes de la grippe espagnole qui emportera l'année même, cette maman, à l'âge de 41 ans. La mère de famille décède à Lanas, en octobre 1917, l'année où son mari blessé, rentre de la guerre. Henri a 11 ans. Dans son livre "Banco", Papillon dévoilera ses sentiments profonds envers sa maman en écrivant : " Ma mère ? Une mère, une fée, oui des tendresses, une communion entre elle et moi si profonde, que nous ne faisions qu'un seul être, je crois". Tous les écrivains s'accordent à présenter cet évènement comme un schisme qui va profondément bouleverser l'existence de l'enfant, tant les liens affectifs entre la mère et son fils étaient importants.

A Lanas, au village, Marie-Christine Durand se souvient des récits de son père qui, enfant, jouait dans les rues du village avec Henri. "Un jour, dit-elle, les deux gamins ont eu l'idée de couper les platanes de la place du village. Equipés chacun d'un vélo, reliés par une corde, ils avaient pour intention de sectionner les arbres avec cette corde tendue, tirée de part et d'autre de la plantation en ligne. Ils ont pris leur élan et ils ont foncé …. Ils ont pris une belle gamelle !" André Soubeyrand, retraité aujourd’hui, rapporte également les frasques du garçonnet : "Le garnement avait un rude caractère. Avec les autres enfants, sur lesquels il possédait un réel ascendant, il montait aux peupliers pour chercher les nids de pies et de corbeaux. Il tuait les jeunes oiseaux pour les vendre ou les manger. Il était tellement remuant que son oncle avait dû l'enfermer à la cave…". Henri Charrière écrira lui-même bien plus tard dans son ouvrage : "J'étais devenu teigneux et jaloux du bonheur des autres." Alternant jeux intrépides et longs séjours au pensionnat d'Aubenas (à l'emplacement de l'actuelle Médiathèque), le jeune Henri va vivre sa jeunesse ardéchoise entre Pont d'Ucel, où ses grands-parents se sont substitués à sa mère à l'école, et Lanas, où sa tante veille également sur son éducation.

Au cours des années 20, Henri rejoint le club de rugby d'Aubenas dont parle Robert Rouvière, l'ancien secrétaire du RCAV: "Henri Charrière faisait partie de l'Etoile Sportive Albenassienne, cette jeune équipe dont les joueurs étaient reconnaissables à leur maillot noir frappé de l'étoile rouge. A cette période les entraînements se déroulaient sur le terrain herbeux de l'airette (aujourd'hui le parking). Je détiens probablement la seule photo d'équipe d'Henri Charrière et datant de cette époque". Mais à 19 ans, celui qui deviendra "le bagnard prescrit" signe à la mairie d'Aubenas son engagement militaire et quitte l'Ardèche pour vivre les aventures extraordinaires qu'il décrira lui-même dans son ouvrage intitulé "Papillon". Quarante-quatre ans plus tard, en 1969, il revient passer quelques jours sur les terres de son enfance. Dans les rues de Lanas, il croisera quelques villageois dont André Soubeyrand. Le célèbre bagnard est venu se recueillir sur la tombe de sa mère. Il a 63 ans. A Pont d'Ucel, il fait une entrée triomphale au "Bar de l'Ardèche" chez Tastevin, où il est venu dédicacer son ouvrage. La foule se presse et les 500 Francs qu'il va poser sur le comptoir pour payer "la tournée générale" n'y suffiront pas ! Il est célèbre, fréquente toute la jet-set dont Brigitte Bardot, multiplie les interviews et vit à Madrid.

Henri Charrière meurt en Espagne d'un cancer à la gorge, à l'âge de 67 ans. Suivant ses dernières volontés, il est inhumé au côté de sa mère, à Lanas. Emile Mazoyer se souvient de cet événement : "J'étais maire de Lanas en 1973. Le transfert du corps depuis Madrid a donné lieu à d'importantes discussions avec Paris qui traitait directement. L'événement fut considérable. La foule était tenue à l'écart de l'enceinte du cimetière dont les journalistes de Paris Match avaient escaladé le mur afin de "voler" quelques clichés de la cérémonie. La tombe a été gardée par la Gendarmerie pendant les deux mois qui ont suivi les obsèques, car une rumeur courait selon laquelle "Papillon" avait été inhumé avec son trésor. Les inspecteurs des Renseignements Généraux venaient me voir régulièrement. Le jour de la cérémonie, le cercueil imposant n'entrait pas dans la fosse et l'inhumation a dû être un peu retardée, le temps d'un agrandissement…. Je me souviens que l'un des fossoyeurs s'est exclamé : " Celui- là, ça aura été un dur jusqu'au bout !" Rita, sa compagne, est venue me voir chez moi, accompagnée d'une interprète vénézuélienne. Elle m'a remis un chèque signé en blanc, en faveur de la commune, en précisant: Vous mettrez la somme que vous voudrez. J'ai inscrit 100 francs ! " En hommage au rocambolesque écrivain, la mairie de Lanas a baptisé la salle communale "Papillon" et la commune de St Etienne de Lugdarès a fait apposer une plaque commémorative sur sa maison natale, - inaugurée en présence de la fille de l'éditeur Robert Laffont, représentant son père devenu l’ami de "Papillon", et qui était malade lors de cet hommage-.
Aujourd'hui des cars de touristes et des particuliers viennent régulièrement visiter la tombe qu'une main anonyme entretient régulièrement…
 
Sources
- "Papillon" d'Henri Antonin Charrière chez Robert Laffont (1969).
- "Papillon épinglé" par Gérard de Villiers chez Robert Laffond (1970)
- "Banco" d'Henri Antonin Charrière chez Robert Laffont (1972).
- "Papillon" libéré - Bagne et rédemption de Vincent Didier - La fontaine de Siloé (2007).

 
Texte et clichés : Henri Klinz