Ovide de Valgorge

Article paru en juin 2016
Mis en ligne en juillet 2022

Écrivain, poète et historien 1809-1856
Personnage extraordinaire, homme de lettres éclairé et avant-gardiste, Ovide Jossoin de Valgorge est un illustre inconnu... y compris de ses concitoyens. Pourtant, à la manière d'un Frison-Roche ouvrant de nouvelles voies dans la montagne, ce personnage a été un précurseur, traçant le premier chemin dans la découverte du patrimoine ardéchois.

Ses contemporains, Charles-Albin Mazon(1) et Louis de Montravel(2) lui ont simplement emboîté le pas, usant de la même pédagogie pour compléter son ouvrage afin de décrire les merveilles de l'Ardèche.

Ovide Jossoin de Valgorge est né le 2 février 1809, au château de Chastanet à Valgorge. Son père, qu'il appelait "Monsieur" est issu d'une famille aristocratique de Payzac, appartenant à la noblesse d'épée.
Ovide de Valgorge est connu comme homme de lettres, exerçant le métier d'avocat à Largentière. Membre correspondant du Ministère de l'Intérieur et du Ministère de l'Instruction publique pour les travaux historiques, il est également élu au Conseil Général de l'Ardèche. Il fut nommé inspecteur des Monuments historiques du département. On lui doit à ce titre, le classement de l'église abbatiale St Pierre de Champagne, près d'Andance.

De l'homme, journaliste à ses heures pour le mensuel "La mosaïque du Midi" à Toulouse, on retient surtout son goût pour les femmes, au sujet desquelles il écrit : "Les femmes, il faut en convenir, ont un instinct merveilleux pour saisir et rendre avec délicatesse ces mille et une nuances du cœur qui sont à peine sensibles à notre œil."

Contrairement à Charles-Albin Mazon qui a publié plus d'une trentaine d'ouvrages, Ovide de Valgorge n'a publié que quelques livres, dont  "Promenade dans une partie de la Savoie et sur les bords du Léman, pendant l'été de l'année 1839""La grande Chartreuse: Fantaisie de touriste" (1848) – "Pierre-Paul Sevin, peintre" (artiste tournonais, peintre de Louis XIV). Et, si l'homme n'a pas laissé dans les mémoires un souvenir impérissable, son œuvre, a contrario, est exceptionnelle.
La pièce maîtresse de son génie est sans conteste "Souvenirs de l'Ardèche" dédiée à son pays natal, publiée en 1846. Cette œuvre colossale est d'une incroyable richesse. Le premier Tome (347 pages) constitue un inventaire et une description du patrimoine ardéchois de Lalouvesc à Viviers, traversant les villages qu'il visite en redescendant. Parlant de ses notes, rédigées au fur et à mesure de ses expéditions, parfois dans les contrées les plus sauvages (il faut savoir qu'à cette période, l'Ardèche était désignée sur les cartes de France par l'inscription "terra incognita" !) il écrit : "Souvenirs historiques, biographiques, et anecdotiques, vieilles légendes, et vieilles chroniques, descriptions pittoresques, notices étymologiques, examens archéologiques, appréciations minérales et géologiques, agriculture, industrie, commerce, mœurs, et caractères, tout y est contenu et présenté sous une forme qu'il ne m'a pas toujours été possible à mon grand regret, je l'avoue, de rendre gracieuse et piquante." Pour ces deux derniers termes, on lui pardonne !

De ce voyage fantastique parcouru par l'explorateur écrivain, on retient : la naissance de l'ordre du Temple, - "Aie! Notre Dame ! Aie !" en souvenir des cris de détresse d'une jeune fille tombée dans le torrent, secourue par la Vierge et dont il subsiste aujourd'hui encore le célèbre pèlerinage à Notre Dame d'Ay - L'aventure des frères Montgolfier - etc. S'ensuit une magnifique succession de paysages de l'Ardèche du Nord, de la Royauté à l'Empire dans lesquels histoires, légendes et coutumes sont décrites à la manière d'un Serge Dahoui. Des mots cousus de tendresse et brodés d'élégance nous parlent avec amour du pays d'Ardèche et de ses richesses, découvertes en traversant les différentes régions des villages situés le long de la vallée du Rhône...

Le Tome 2 (380 pages), décrit la suite du voyage et le retour de Bourg-St-Andéol à Valgorge. En parcourant les Gorges de l'Ardèche, Ruoms, Aubenas, Privas, Ste-Eulalie, Thueyts, Prades, Largentière... avant son retour au château de Chastanet, Ovide de Valgorge se livre à un exercice de style exceptionnel. Non seulement il dresse avec romanesque l'inventaire des monuments et des curiosités découvertes au cours de ses péripéties, mais il met en relief des personnages aujourd'hui tombés dans l'oubli à l'exemple d'Honoré Flaugergues de Viviers, célèbre astronome ayant découvert "la grande comète de 1811" qui porte son nom - Victorin Fabre de Jaujac, écrivain, remarqué par Napoléon qui lui confie l'oraison funèbre du Maréchal Bessières, Duc d'Istrie - Régis Breysse (1810/1860), l'enfant berger du Béage devenu sculpteur émérite et dont les œuvres ont été exposées au Louvre ( il nous reste de lui, Aujourd'hui, Le Christ en croix" dans l'église d'Aubenas et le bas-relief de Boissy d'Anglas à la Préfecture de Privas) - etc.
Les puristes ont souvent reproché à Ovide de Valgorge ses quelques libertés romanesques l'accusant d'avoir galvaudé la vérité historique. Mais voilà, l'auteur avait averti ses lecteurs. Il écrit en effet à leur sujet : " (...) peu lui importe, à cet enfant gâté que plus rien n'amuse, de savoir ce que vous avez vu, s'il ne sait en même temps dans quelle disposition d'esprit vous avez trouvé le spectacle et dans quel état il vous a laissé. Le public est devenu à cet égard, depuis quelque temps d'une exigence et d'une indiscrétion à peine croyable. Il lui faut des professions de foi à tout prix et des confidences à tout propos."

L'écrivain et l'historien local Jacques Schnetzler, corrigeant également Mazon, écrit injustement au sujet d'Ovide de Valgorge : " ...certains écrivains ne méritent habituellement aucun crédit." Cette sévère critique appellerait plus de modération quand on connaît, l'important travail de débroussaillage réalisé par l'avocat de Largentière, l'exactitude des lieux visités et n'oublions pas la beauté de ses récits.
Au terme "imagination" avancé par ses détracteurs, nous retiendrons plutôt le terme "embellissement" caractérisant ses écrits, d'autant que ses voyages y sont rapportés avec un vocabulaire savoureux et rédigés dans un style des plus délicats.
Ovide de Valgorge est décédé à Largentière le vendredi 11 janvier 1856, à l'âge de 47 ans,  nous laissant des textes fabuleux rapportés de ses voyages dans une Ardèche d'une autre époque, celle qui, aujourd'hui, remonte à la surface, pour nous offrir des histoires d'un autre temps, nous faire découvrir des lieux oubliés, nous parler de personnages abandonnés...
Ce retour aux sources en redescendant les marches de l'histoire nous ramène à nos racines, celles de notre terre d'Ardèche. 
Merci Ovide !

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(1) voir article sur Charles-Albin Mazon paru dans Ma Bastide N° 205  - Avril  2016
(2) voir article sur Louis de Montravel paru dans Ma Bastide N° 203 - Février 2016
Sources :
- Souvenirs de l'Ardèche par Ovide de Valgorge - Edt. Paulin 1846.
- Voyage autour de Valgorge de Charles-Albin Mazon alias Dr Francus.
- Voyage dans le Midi de l'Ardèche de Charles-Albin Mazon.
- L'armorial du Vivarais
de Florentin Benoit-d'Entrevaux.
- Portrait d'Ardéchois au Portail de l'Ardèche.

Infos pratiques :
Les premières éditions de "Souvenirs de l'Ardèche" (imprimées en gros caractères rendant la lecture très agréable) sont aujourd'hui des œuvres rares que l'on peut compulser librement à la médiathèque d'Aubenas où au service des Archives Départementales à Privas, hélas, sans pouvoir les emprunter.

Vous pouvez le trouver en réédition sur des sites spécialisés, et aussi le lire en ligne.
Texte : Henri Klinz
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