Musée de l’Alambic

Article paru en décembre 2017
Mis en ligne en juin 2023

L’élixir des fruits et de la vie.
 
En vallée du Rhône, au pied de la montée en direction d’Annonay, le petit village de Saint-Désirat possède une richesse patrimoniale unique en son genre : le Musée de l’Alambic de la distillerie familiale Jean Gauthier. Entre alchimie et savoir faire affirmé, tous les secrets de la fabrication des eaux de vie sont révélés au fil de l’exposition.

 


Tout commence dès la porte vitrée de la distillerie Jean Gauthier. Un bref passage par une véritable caverne d’Ali Baba des eaux de vie de fruits, et nous voilà plongé dans l’univers magique du cuivre des alambics. Vases et autres serpentins pour distiller des fruits et offrir des boissons aux arômes incomparables, mais dont bien sûr il ne faut pas abuser. De la bouillie de fruits fermentés à l’alcool pur et incolore au goût affirmé, l’alchimie œuvre et façonne l’imaginaire des visiteurs néophytes tandis que le savoir faire anime l’esprit des plus avertis. Au fil des salles, sur près de mille cinq cents mètres carré, se dévoile de façon très imagée et ludique l’univers des bouilleurs de crus et des alambics.
 
Pendant près de vingt siècles, les alchimistes de toutes les civilisations tourmentèrent la matière en quête de la potion de longue vie, voire de vie éternelle. Grâce à la mise en œuvre de techniques sans doute plus proches du bain-marie que de la distillation, ils tirèrent du vin un esprit auquel ils attribuèrent une grande valeur spirituelle. Dans cette lignée de chercheurs, un grand médecin philosophe et alchimiste suisse du XVe siècle, Paracelse (1493-1541), prit beaucoup de soins à répandre l’usage des liqueurs médicamenteuses. Les historiens considèrent que sa pensée fut le point de départ du long processus de séparation de l’alchimie et de la chimie. Quelques décennies plus tard, Olivier de Serres évoquait la distillation des plantes pour des usages thérapeutiques, ainsi les apothicaires de ces temps anciens furent autorisés à distiller pour produire des élixirs de guérison. Parallèlement, les pères chartreux des montagnes entre Grenoble et Chambéry nimbèrent d’un épais secret leur célèbre recette de liqueur de la chartreuse, paraît-il, tirée d’un vieux grimoire que le maréchal d’Estrées leur aurait remis en 1605. On en sait juste que cent trente plantes sont distillées après macération… Ainsi l’histoire de la distillation se perd dans la nuit des temps, mise en lumière ici, dans une galerie de scènes animées et parlées. Ces scènes font l’admiration des enfants et attisent la nostalgie des adultes.
 
« Nous avons créé le musée en 1990, raconte Denis Gauthier. À cette époque nous avions la volonté d’un développement touristique en parallèle de notre activité de production. Et ce pari fut le bon car dès le jour de l’ouverture du musée, les visiteurs n’ont cessé de venir et la vente directe à la boutique soutient notre activité, puisque la visite est libre. Nous accueillons environ cent cinquante mille visiteurs par an. » Le parcours dans le musée offre à admirer des alambics en cuivre venant de différentes régions françaises, une vaste collection de matériels et outils et également un peu pour le folklore, une trentaine de scènes avec des personnages mis en situation. Ce parcours permet de croiser l’activité quotidienne de la distillerie grâce à de larges baies vitrées donnant sur l’atelier de distillation, la chaîne d’embouteillage et un des chais de vieillissement. La visite offre un véritable pont entre le musée et la distillerie.
 
Qui dit alambic dit aussi bouilleur ! L’homme reste indissociable de la machine. Ce terme pour qualifier ce métier provient du fait qu’il est nécessaire de faire bouillir la matière pour la distiller. Quant au bouilleur ambulant, il est un distillateur itinérant se déplaçant de village en village. Les premières règles s’appliquant à cette pratique sont initiées en 1806 par Napoléon. Cent dix ans après, la distinction est faite entre les bouilleurs de cru, qui sont des producteurs de fruits autorisés à faire distiller une partie de leur production, et les bouilleurs ambulants, qui sont désormais les seuls autorisés à pratiquer la distillation à l’aide des alambics. Ainsi apparaissent les alambics montés sur des structures roulantes possédant plusieurs vases en série pour recevoir les fruits et les chauffer à la vapeur. Les bouilleurs ambulants deviennent des prestataires offrant leurs services et organisent leurs tournées en fonction des demandes. Chaque installation en un lieu différent était une fête autrefois, une pause dans le quotidien difficile. Mais lois et décrets contraignants n’ont jamais cessé de s’abattre sur cette profession jusqu’à ce que retentisse l’hallali : la disparition de la franchise, autrement nommée privilège, qui se transmettait dans la famille.
Avec cette décision, la consommation d’"alcool fermier" diminua irréversiblement : 3% de la consommation globale d’alcool en France en 1955 à 1% en 1982 ! Pourtant dégusté avec modération, ces alcools présentaient plus de garanties sanitaires et gustatives que bon nombre de boissons fortes fabriquées industriellement aujourd’hui. Il y a fort à parier que nous vivons en ce début de troisième millénaire les dernières tournées des quelques bouilleurs ambulants n’ayant pas encore baissé les bras…
 
Fort heureusement, il reste une poignée de distilleries à l’image de celle présentée par le Musée de l’Alambic à assurer une production de qualité tout en défendant un savoir faire et un patrimoine rural et historique irremplaçables. D’ailleurs pour s’en convaincre, rien ne vaut la petite dégustation à la fin de la visite !


Chronique d’une mort annoncée
 

Comme nous vous l'annonçons plus haut, le bouilleur ambulant ne sera bientôt plus qu’un souvenir à ajouter à la liste des métiers ruraux disparus. En est la cause, la lente disparition de la franchise décidée en 1953. Cette dernière était un droit attribué aux producteurs de fruits et autres paysans à faire distiller sans taxe, l’équivalent de dix litres d’alcool pur, soit vingt à cinquante degrés. Ces taxes avoisinent les 50% aujourd’hui avec une réglementation draconienne et tatillonne. Sous l’Ancien Régime, cet alcool était destiné à l’usage propre du paysan, d’où son appellation d’alcool fermier. En 1953, Pierre Mendès France, alors président de la commission des finances, décida la suppression de cette franchise. Face aux protestations du monde rural, la mesure est reportée, mais en 1960, sous le gouvernement de Michel Debré, une ordonnance supprima définitivement la franchise. Cette dernière restait alors en vigueur jusqu’au décès de son détenteur, mais à partir de cette date, elle ne pouvait plus être transmise à ses descendants, sauf à son conjoint survivant. Combien de franchises ainsi perdues, de bouilleurs ambulants privés de clientèle depuis 1960 ?
 

Musée de l’Alambic
600 route de la syrah
07340 Saint-Désirat
04 75 34 23 11
 www.jeangauthier.com


En savoir plus :
La visite du musée est libre. Il est ouvert toute l’année du lundi au vendredi de 8h à 12h et de 14h à 18h, le samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h30, le dimanche et les jours fériés de 14h à 18h30.

Texte et clichés : Bruno Auboiron