C’était le temps des inventions
Du chaudron en ébullition de la Révolution industrielle où savants, ingénieurs et techniciens ont jeté leurs connaissances, jaillissent les extraordinaires découvertes qui vont révolutionner la société du XIXe siècle. Le nouveau système économique jusqu’alors basé sur l’agriculture et l’artisanat s’appuie maintenant sur l’industrie et le commerce. L’ardéchois Marc Seguin en participant à ce gigantesque essor industriel va inscrire son nom dans l’Histoire de France et du monde.
Cet ingénieur de talent effectue deux découvertes majeures favorisant le progrès historique qui s’annonce. D’une part il invente la chaudière tubulaire qui augmente considérablement la puissance de la locomotive puis d’autre part, il jette sur les fleuves aux endroits jusqu’alors infranchissables, des ponts favorisant les échanges commerciaux. Des ponts d’un genre nouveau, appelés « suspendus à câbles ». Des ponts existaient déjà, suspendus à des chaînes et à des barres, mais ils étaient chers et surtout fragiles.
Sa première découverte lance le boom du chemin de fer à vapeur et ne s’éteindra qu’entre 1960 et 1970 avec l’électrification et la diésélisation des machines. En revanche, la réalisation des ponts suspendus se développe formidablement dans le temps: aujourd’hui encore les plus grands ponts du monde témoignent de son génie.
Marc Seguin né le 20 Avril 1786 à Annonay est l’aîné d’une fratrie de quatre garçons. Il devait porter en lui les gènes du génie, car il est le neveu des frères Etienne et Joseph de Montgolfier inventeurs du premier ballon à air chaud. Père de 19 enfants (issus de deux mariages !) ce passionné de technique, chercheur en élasticité des métaux est un travailleur assidu.
Marc Seguin a marqué de son empreinte la formidable aventure du rail.
Après des études brillantes il crée avec ses frères une Société Industrielle lui permettant de lancer ses deux découvertes: la première passerelle suspendue sur la rivière Cance près d’Annonay et la chaudière tubulaire à tubes de fumées pour les locomotives à vapeur.
Pour cette dernière réalisation, l’anglais George Stephenson avait réalisé une première locomotive à vapeur dont la vitesse n’excédait pas 6 km/h. Marc Seguin révolutionnant le système a l’idée de faire traverser l’eau de la chaudière par des tubes où circulerait l’air chaud récupéré du foyer, augmentant ainsi la quantité de vapeur. Sa première machine fabriquée dans les ateliers de Perrache à Lyon est un échec. Mais le deuxième engin sorti en juin 1830, construit avec son frère Camille, donne des résultats très prometteurs. La nouvelle « loco » dont la chaudière est équipée de 43 tubes de 4 cm de diamètre est 6 fois plus puissante. Le 1er octobre 1832, il ouvre la première ligne de voyageurs entre St Etienne et Lyon dont le parcours est effectué en 5 heures, grâce au procédé Seguin.
Ce principe technique d’accroissement de la vaporisation sera appliqué à l’ensemble des locomotives sur tout le territoire national ainsi qu’à l’étranger et durera jusqu’à la disparition des machines à vapeur dans les années 1960.
Il fut également chargé de l’éclairage au gaz de la ville de Lyon en 1823.
Et chargé aussi de la gare d’eau de Perrache, et avant que Marc Seguin n'entreprenne d'amener le chemin de fer jusqu'au centre de Lyon, la presqu'île entre le Rhône et la Saône était dans un état d'inachèvement et d'insalubrité difficile à concevoir.
En attendant, la nouvelle ère qui s’annonce a grandement besoin de communiquer pour favoriser les échanges. L’ingénieur ardéchois fortement inspiré par les ponts de liane vus en Asie se lance dans la réalisation des ponts qu’il décrit lui-même « en fil de fer». Après la passerelle expérimentale de 18 mètres sur la Cance à Annonay achevé en 1825, il construit sur le même principe, la passerelle St Antoine à Genève, puis un deuxième pont est installé sur la Galaure, près de Saint-Vallier dans la Drôme, le troisième sera celui beaucoup plus conséquent, reliant Tournon à Tain-l’Hermitage.
En 1841, Marc Seguin avait, avec ses frères, bâti plus de 75 ponts
S’il fallait illustrer le principe des ponts suspendus, le pont du Teil en serait l’exemple pédagogique par excellence. Au Teil, la violence du courant et l’instabilité des fonds ne permettaient pas de construire des piles dans le lit du fleuve. Par ailleurs, aucune poutre au monde ne serait assez résistante pour assurer une portée de 235 mètres. En conséquence près des deux rives deux piles sont bâties dans le lit du Rhône sur lesquelles s’élèvent deux pylônes à 18 mètres de hauteur. Sur ces deux pylônes sont lancés deux câbles qui prennent appui sur les deux berges où ils sont fixés à des culées. Les câbles serrés à l’aide d’écrous géants pour assurer la tension de l’ouvrage suivent le même principe que le réglage des freins d’une bicyclette. Sur les deux câbles en berceau descendent alors les suspentes qui viennent porter le tablier paraissant à peine posé sur les deux piles, flotter dans l’air.
Ce savoir faire en ingénierie a été appliqué à Andance dès 1827 où le pont suspendu est actuellement le plus vieux pont routier encore en service. Il en est de même pour le rustique pont du Robinet à Viviers assis sur un tablier de bois, mais aussi à La Voulte, à Fribourg, en Italie, en Espagne. Si aujourd’hui le Golden Gate Bridge de San-Francisco est connu de tous avec ses 1280 mètres de tablier suspendu, il fait pâle figure à côté du pont d’Akashi (Japon), le plus long pont « en fils de fer » du monde. Le tablier à 6 voies de circulation atteint 1991 mètres. Chaque pylône est équivalent à une tour de 102 étages. Lors du dramatique tremblement de terre de Kobé en 1995 dont l’épicentre était situé entre ses deux piles, le tablier n’a bougé que d’un mètre ! Marc Seguin serait fier de ces réalisations.
Le brillant ingénieur ardéchois décède à Annonay le 24 février 1875 après une vie consacrée à la recherche et à la réalisation de ses travaux. Outre la construction de la chaudière tubulaire et des ponts suspendus il s’est intéressé également à l’usage des tunneliers et a mené les premières expériences sur les piles de pont en béton coulé dans l’eau. Le nom de cet éclectique inventeur est inscrit sur la liste des 72 noms mentionnés sur la tour Eiffel. Face au Trocadéro, son nom est en tête de liste comme l’avait demandé Gustave Eiffel. Et comme si la nature donnait aux génies la postérité, ses petits-enfants Louis et Laurent inventent à leur tour en 1907 les fameux moteurs rotatifs Gnome qui équiperont par milliers d’exemplaires les avions à hélice inscrivant à leur tour leurs noms sur une nouvelle page de l’histoire du siècle suivant.