Outre le fait que la maison Veyrenc fut érigée sur les vestiges du château vieux, celle-ci possède un magnifique escalier de pierre et de fer forgé, inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Un escalier aérien aux lignes pures et fines. Nous y reviendrons plus loin.
La maison Veyrenc est nommée ainsi en référence à son propriétaire de la fin du XVIe siècle, Michel Veyrenc, décédé en 1593. Aujourd'hui, peu d’indices extérieurs témoignent de la richesse patrimoniale, se cachant derrière les murs du n°8 de la rue Jourdan, à deux pas de la place du château.
"Nous ne connaissons pas grand-chose de la vie de Michel Veyrenc, nous annonce Alain Chevalier, l'actuel propriétaire de la plus grande partie de cette maison, dans sa partie noble. Comme nous ne savons presque rien du château vieux, probablement érigé avant le XIe siècle, mais sans trace écrite". Le château vieux, dit château de Taulignan, était un château de confort pour cette famille qui quittait provisoirement ses terres trop rudes du plateau, pour passer l’hiver à Aubenas. Seules quelques pierres en bas des murs actuels et une élégante porte romane bouchée, donnant sur la cour intérieure, qu’Alain Chevalier a dégagée pour mieux l’admirer, semblent pouvoir être attribuées à l’origine du château. On ne sait même pas où se situait l’entrée du château vieux…
La famille Taulignan, à laquelle Aubenas doit sa très belle maison aux gargouilles, comptait parmi la noblesse locale. L’un de ses membres fut aide de camp de Jeanne d’Arc au XIVe siècle. Rien ne précise à quelle époque les Taulignan abandonnèrent le site. Il fallut attendre l’arrivée de Michel Veyrenc au XVIe, pour attester du passage de ce vaste bien immobilier de la noblesse à la bourgeoisie locale.
"Par héritage, la famille Barthélemy, notaires et avocats principalement, obtint la charge de cette maison, poursuit Alain Chevalier. Elle la possédait encore, en 1670 quand explosa la révolte de Roure, une fronde antifiscale qui dura d’avril à juillet. La maison connut bien des dégradations à cette occasion." Des rixes opposèrent entre ces murs vénérables les Gardes Suisses et les révoltés. "On peut imaginer qu’on tira au canon sur la maison depuis le château neuf, estime Alain Chevalier, car l’escalier principal fut entièrement détruit. Les Barthélémy étaient influents sur Aubenas, cousins de la famille de Vogüé, ils firent donc bâtir ce nouvel et magnifique escalier encore en place aujourd’hui." Les Barthélemy vivaient dans cette maison à temps plein, alors qu'ils étaient par ailleurs propriétaires d’autres biens. Le confort de cette maison considérable pour l’époque serait jugé dérisoire sur l’échelle des exigences actuelles !
"Pour vivre heureux, vivons caché ", adoptant cette ligne de conduite, les Barthélemy et la maison Veyrenc traversèrent sans dommage la période troublée de la Révolution française.
De nouveau par mariage, la maison Veyrenc échoit au comte de Sampigny. Résidant en son château près de Privas, cet homme délaissa son bien albenassien. Nous sommes au XIXe siècle, période du classicisme où il n’était absolument pas envisageable de vivre dans une résidence sans jardin. Encore une fois, en 1869, au gré d’un mariage et d’un héritage, la maison passe dans les mains de trois frères et sœurs, dont l’un est le chambellan de l’Empereur d’Autriche. Cette fratrie dédaigna cet héritage plus encombrant que satisfaisant. Aucun d’entre eux ne se trouvant en gêne d’argent, ils bradèrent la maison en la vendant en lots pour qu’elle disparaisse au plus vite de leur paysage immobilier. "À partir de cette date, artisans et commerçants s’y installèrent, précise Alain Chevalier. D’autres divisions et d’autres ventes suivirent entre la partie résidentielle et les communs qui furent transformés en habitations. Le patrimoine de cette maison a connu un siècle d’appauvrissement par manque de moyens des propriétaires, à consacrer à l’entretien d’un bien si vaste."
En 1970, Maurice Prinsard, un charpentier, se prit de passion pour cette maison et commença une restauration de grande ampleur et de qualité. Il sauva les plafonds à la française et surtout le bel escalier classé de la cour intérieure. Il est à noter que l’abbé Charray, autre figure locale, soutint Maurice Prinsard, au moins moralement, en se rendant régulièrement sur le chantier. "Rien ne fut simple pour cet homme, nous confie Alain Chevalier. Il dut faire des expositions dans la cour intérieure pour soutenir financièrement le travail entrepris. En 1978, la restauration de l’escalier fut nominée au concours de "chefs-d'œuvre en péril." Et puis les difficultés ne furent pas que financières, il dut combler la citerne de deux cents mètres cubes sous la cour, l’eau nauséabonde y stagnant représentait une gêne pour les habitants du quartier."
Arrivant de Madagascar, Alain Chevalier et son épouse souhaitent s'installer en France et comme les racines familiales plongeaient dans la terre albenassienne depuis si longtemps, ils n’hésitèrent pas après la visite de la maison Veyrenc. Eh oui, une fois encore le charme opéra. "J’aime les vieilles pierres, mais quand nous avons acheté cette maison, nous ne connaissions rien de son histoire. Alors dès que nous sommes arrivés, je me suis immédiatement mis en quête d’éléments. Et il y a encore tant à chercher et à trouver", conclut Alain Chevalier.