Les Tapisseries de Vallon-Pont-d'Arc

Article paru en octobre 2015
Mis en ligne en juillet 2022

Emprisonnant la salle des mariages de la mairie de Vallon-Pont-d’Arc de leurs fils de soie et de laine, les tapisseries d’Aubusson, collection unique, évoquent la vie de Godefroy de Bouillon lors de la première croisade et la prise de Jérusalem.

Tout commença par un cadeau de mariage. En 1742, Jean-Baptiste d’Hautefort de Lestrange, baron de Montréal, seigneur de Jonnas, épousa Henriette Julienne Merle de Lagorce, à Largentière. Pour combler sa future épouse, qui avait l’habitude de vivre entourée de tapisseries en son château familial de Salavas, cet homme de haut lignage passa commande d’une série de tapisserie auprès de l’atelier Jacques Dorliac de la Manufacture Royale d’Aubusson (Creuse) pour décorer les murs austères de son château à Montréal. Cinq grandes fresques et deux entrefenêtres plus modestes composent cette collection unique au monde et dont l’intérêt patrimonial est sans égal. « Ce thème de la croisade et de Godefroy de Bouillon fut choisi par ce noble personnage en mémoire de ses ancêtres qui s’illustrèrent en Terre Sainte et de sa grand-mère maternelle descendante directe de Pons de Balazuc, chroniqueur de la première croisade », explique Thierry Mosnier, spécialiste de cette collection. D’autres tapisseries évoquant les travaux des champs et les quatre saisons furent également commandées. « L’intérêt de cette collection, poursuit notre guide, est qu’elle est la plus complète répertoriée en France et à l’étranger portant sur l’histoire de Godefroy de Bouillon. » Et le rêve de Thierry Mosnier homme passionné et surtout passionnant serait de pouvoir exposer cette collection d’une façon digne de son intérêt et de lui adjoindre celle, certes plus modeste, mais sur le même thème, se trouvant en dépôt au musée Jacques Cœur de Bourges (Cher). Un vœu qui se réalisera peut-être ; en tout cas Thierry Mosnier s’y emploie.

Depuis 1770, ces tapisseries sont au château de Vallon-Pont-d’Arc, devenu mairie par la suite, apportée par la fille aînée du couple à l’occasion de son propre mariage avec le comte de Vallon. Cinq ans plus tard au décès de cette dernière en couches, les tapisseries furent décrochées, enroulées et rangées au garde-meuble du château. Involontairement bien conservées, elles nous sont parvenues en très bon état après deux restaurations en 1882 et de 1947 à 1952. Aujourd’hui, elles sont accessibles au public. Et cerise sur le gâteau, à l’occasion, Thierry Mosnier se fait un plaisir de guider la visite, l’émaillant d’anecdotes et de faits réels puisés dans son inépuisable connaissance.

« La richesse de cette collection est multiple, commente-t-il, enthousiaste. La guirlande de fleurs s’enroulant autour d’une tige de jonc, la fraîcheur des rouges et des bleus, couleurs issues de l’usage de colorants organiques naturels comme la cochenille, le pastel ou encore l’indigo, tandis que les jaunes et les bruns ont pâli avec le temps. » Cet intérêt n’avait d’ailleurs pas échappé à Jules Ollier de Marichard, inspecteur de l’instruction publique et des Beaux-Arts qui dressa un inventaire complet de cette collection. Ce travail inspira son classement, le 11 novembre 1881, par Jules Ferry au titre des « Richesses de l’Art et de la France » et aussi enclencha le processus de la première restauration. Pourtant en regardant attentivement les scènes tissées, les imperfections ne se cachent pas. Perspectives et proportions aléatoires à l’image du timbalier de la grande tapisserie, plus grand que son cheval, des parties entières floutées par manque de maîtrise du détail… La liste serait longue pour chaque tapisserie, mais ces imperfections s’expliquent aisément. Les tapisseries furent tissées après la révocation de l’Édit de Nantes. La grande majorité des liciers (tisserands), alors protestants, furent contraints à la fuite vers des pays plus amicaux, à l’image de l’Allemagne par exemple. Les ateliers d’Aubusson, pour lesquels affluaient les commandes, durent embaucher une main-d'œuvre peu qualifiée, ne maîtrisant ni le dessin, ni le tissage. Et difficulté supplémentaire, ces tapisseries étaient tissées à l’envers alors les ouvrières ne pouvaient que constater le résultat de leur travail une fois l’œuvre achevée !
Ainsi, les tapisseries de Vallon-Pont-d’Arc ne se contentent pas de raconter l’histoire ancienne de Godefroy de Bouillon, elles évoquent celle plus récente des guerres de religion ajoutant encore un niveau de lecture à ce patrimoine magnifique. « Ces imperfections font aussi le charme de la collection, plaide Thierry Mosnier, et puis elles ne nous empêchent pas d’admirer tant de personnages célèbres au milieu d’autres totalement imaginaires, tirés de poèmes chantés, de l’Italien Torquato Tasso (1544 / 1595) dit le Tasse, nommé La Jérusalem délivrée. En les admirant, on pénètre un livre d’histoire baroque aux pages illustrées et grandes ouvertes. »
Visite guidée des tapisseries exposées dans la salle de mariage
En quelques tableaux tissés, l’histoire de Godefroy de Bouillon et de la première croisade en Terre Sainte.
Première tapisserie (2,80 x 1,50) : l’archange Gabriel annonce les volontés de Dieu
Deuxième tapisserie (2,80 x 2,90) : Pierre l’Ermite argumente devant Tortose
Troisième tapisserie (2,80 x 3,49) : Clorinde intervient auprès du sultan Aladin
Quatrième tapisserie (2,80 x 3,10) : l’enterrement du chevalier Dudon de Comps
Cinquième tapisserie (2,95 x 4,87) : Godefroy de Bouillon blessé sous la muraille de Jérusalem
Sixième tapisserie (2,85 x 2,95) : le combat d’Argant
Septième tapisserie (2,87 x 2,75) : la greffe en fente d’un arbre fruitier (cette dernière ne fait pas partie de la collection précédente, mais était de la même propriété…)

Visite aux horaires d’ouverture de la mairie et possibles le week-end sur réservation.

Ancien château comtal
1 place de la résistance
07150 Vallon-Pont-d’Arc
04 75 88 02 06
 
Texte et clichés : Bruno Auboiron