Les fouilles archéologiques de la Gleizasse

Article paru en octobre 2017
Mis en ligne en juin 2023

Le site de la Gleizasse à Salavas renvoie l’image d’un étonnant kaléidoscope
dans lequel apparaît la naissance de l’Helvie,
depuis la période celtique jusqu'au tout début de l’époque médiévale.
 

Onze campagnes de fouilles menées entre 1978 et 1988 ont permis de recomposer cette période obscure de l’histoire au cours de laquelle les cérémonies païennes le disputaient aux cultes chrétiens sortis vainqueurs.
Au travail d’élévation des autels primitifs par des peuplades barbares, ont succédé deux mille ans plus tard, des chantiers de déblaiement de fouilles conduits par des hommes du XXe siècle, partis à la recherche des premiers.
 
Découvert accidentellement en 1977 à l'occasion du chantier de construction d'une villa, le site archéologique bordant la route de La Costette est connu sous le nom de "la Gleizasse". De ce mot issu du bas-latin on retient le terme "gleize" modification phonétique du mot église et l’augmentatif provençal "asse" donnant une impression de grandeur.
La région a connu son ascension au cours de l’époque gallo-romaine, et son apogée à la période romane dont les vestiges sont les plus importants.
Le site archéologique de la Gleizasse comprend deux zones distinctes et distantes de 250 m l'une de l'autre : d'une part un cimetière du Haut Moyen-âge bordant la voix Antonin le Pieux comprenant 11 tombes organisées sur trois rangées, aujourd'hui disparu, et d'autre part, les vestiges de deux églises romanes encadrant un mystérieux édifice.
Ce dernier chantier de fouilles mérite une attention particulière en raison de la richesse des informations qu'il nous transmet. Les deux églises étrangement construites à 2 mètres d'intervalle et dont les portes s'ouvrent en face à face, sont nommées Saint Julien et Saint Jean. Pourquoi deux églises si rapprochées ? L'idée la plus souvent retenue soutient l'hypothèse selon laquelle l'église St Jean, était seulement destinée à accueillir les pèlerins de passage, tandis que l'église St Julien de construction plus élaborée, était destinée au culte des habitants locaux. Cette hypothèse s'illustre notamment avec la découverte dans l'église St Jean d'une coquille St Jacques percée en pendentif, ainsi que d'un bourdon de pèlerin.
 
Dans le cœur de l'église Saint Julien, (située au nord), subsiste une mystérieuse pierre carré d'1 m de hauteur et 50 cm de côté, que les spécialistes n'ont pu ni dater, ni identifier : mausolée, autel païen ? Autour de cette anonyme construction primitive apparaît un autre bâti : peut-être une église paléochrétienne et supposée construite entre les IIIe et Ve siècles.
 
Au cours de cette période de christianisation un nouveau culte va s'imposer sur les lieux d'adoration des temples païens, chassant les premières croyances, tout en y maintenant la nouvelle population convertie. Il ne subsiste de cette époque uniquement les fondations des deux églises et quelques pans de murs apparents. Puis le site est abandonné, probablement saccagé lors des invasions dites "barbares" germaniques qui déferlent sur l'Europe. Les Wisigoths venus s'établir dans le grand quart sud-ouest de la Gaule vont laisser en Helvie, y compris à La Gleizasse, quelques vestiges de leur passage qui subsistent au travers de sculptures de style Wisigothique tandis que non loin, l'empire romain va occuper la place et couvrir à son tour le site de ses constructions éclatantes.
 
Les fouilles effectuées à l'intérieur de l'église St Julien vont mettre à jour deux sarcophages dont l'un contenait un squelette accompagné d'une pièce de monnaie romaine frappée à Lyon. La présence de cette pièce de monnaie dans une tombe suppose l'existence d'un culte emprunté à la mythologie grecque dans laquelle le défunt doit payer un tribut afin que son âme s'élève dans un monde meilleur. L'autre sépulture contenait également un squelette et une pièce de monnaie romaine frappée à Nîmes. Cette pièce portait l'effigie de l'Empereur Auguste (63 av J-C / + 14 apr J.C). A la fin du XIXe siècle, le Dr Francus signalait également à cet endroit, la découverte de pièces de monnaie à l'effigie de l'Empereur Claude (- 10 à + 54 apr J.C). L'un de ces sarcophages, quelque peu dégradé, est toujours présent dans l'ancienne nef de l'église St Julien.
L'église St Jean, située au Sud, offre une singulière particularité. Une des pierres du mur extérieur a été utilisée en réemploi. Elle se situe au bas de l'angle extérieur nord-ouest où elle est aujourd'hui en partie masquée par un cheminement en bois qui dénature quelque peu le site. Il s'agissait initialement d'une stèle funéraire gallo-romain estimée du IIIe ou du IVe siècle et portant l'inscription : "D (is) M anabus) Viventia O.. julia pientisime Vixit annos XVII me(n)sis VI (ou VII) que Mme Andrée Météry a traduit par : "Aux dieux Manes, Viventia O…, pour sa fille très respectueuse. Elle a vécu 17 ans et 6 (ou 7 mois) ". Les "manes" étaient, dans la mythologie romaine des bons esprits symbolisant l'immortalité de l'âme après la mort, un culte réservé aux défunts.
 
Le chantier de fouilles a permis de dégager encore plusieurs couches successives faisant apparaître une tombe d'enfant en lauzes de schiste et un couvercle de sarcophage en calcaire, décoré d'une rosace de style Wisigothique, estimé du Ve ou VIe siècle. Puis le site sera réutilisé pour des sépultures du Haut Moyen-âge (du Ve au VIII e siècle).
Les églises romanes de St Julien et de St Jean, ont été bâties à la fin du XIe siècle, sur les lieux mêmes des anciennes églises paléochrétiennes. Mais les nouvelles constructions sont légèrement décalées de quelques degrés sur le même axe et parfaitement orientées est-ouest. Les inhumations s'y sont poursuivies tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des deux églises et il subsiste toujours dans les profondeurs du sol, côté est, trois hauteurs de sépultures recouvertes par un talus herbeux. A l'occasion des travaux de construction, ces dernières années, d'un mur de soutènement, les ossements apparaissaient à l'air libre…
 
Les vestiges d'une ancienne chapelle latérale placée sous le vocable de Ste Anne, construite au XVe siècle, côté nord de l'église St Julien, sont toujours visibles. Cette chapelle n'a jamais été fouillée entièrement.
Les églises St Jean et St Julien ont été détruites au début des guerres de religion (vers 1562) et leurs ruines sont tombées dans l'oubli. Peu à peu l'eau de pluie ravinant la colline a entraîné la terre, recouvrant le site historique. La campagne de fouilles organisée par la S.E.R.A.H.V (Société d'Etude et de Recherches Archéologiques et Historique de Vagnas), sous la direction du Dr Maurice Laforgue puis de Mr Robert Helmling, a duré plus de 10 ans. Le site de la Gleizasse est aujourd'hui dépouillé de son mobilier afin d'en assurer sa protection. Les principales pièces sont offertes au regard des visiteurs, dans la "salle d'exposition" du village.


La salle d'exposition
Située au centre du village, sous le château, ce "musée" installé dans une ancienne chapelle du XVIIe siècle, au décors inhabituel, regroupe une grande partie du mobilier mis à jour sur le site archéologique de La Gleizasse. Une curieuse exposition des divers types de sépultures trouvées sur le site y sont présentées dans un univers indéfinissable. Une visite hors du commun…
Ce lieu d'exposition (gratuit) se maintient grâce aux efforts conjugués d'une association de bénévoles " Les amis de l'histoire de la région de Vallon " soutenue par la municipalité de Salavas. La découverte de la salle d'exposition s'accompagne de visites du village organisées par les membres de cette association au cours de l'été, les mardi, mercredi et vendredi (2h15 environ)

Sources :
- Carte archéologique de la Gaule de Joëlle Dupraz et Christel Fraisse
- Ardèche terre d'histoire de Michel Riou et Michel Rissoan
- Voyage dans le midi de l'Ardèche de Charles-Albin Mazon
- Commentaire sur le village de Salavas par Guy Péters
Texte : Henri Klinz
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