C’est la nuit que le château d’Aubenas est le plus spectaculaire, lorsque la clarté de la lune scintille sur son toit verni et que sa silhouette de géant se découpe en ombres chinoises, déchirant le ciel indigo. Les hautes murailles grises se colorent alors de teintes brunes où danse une palette de nuances couleur pain brûlé. «Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, murs noircis par les ans… ». Ces mots de Lamartine lui semblent destinés. Dans le silence de la nuit, semblable à une sentinelle attentive, il parait veiller sur la ville endormie.
Presque tout a été écrit sur le château d’Aubenas, de Jean Charay à Michel Riou, l’honorable citadelle a été autopsiée de la citerne au donjon. Mais ici le temps fait un pied de nez à l’histoire et comme par magie les années ravivent la rustique bâtisse pour lui offrir un bouquet de jeunesse et des lendemains qui chantent. Ce sera encore le cas dans l’avenir, la singularité de la ville d’Aubenas étant de posséder des châteaux en perpétuelle mutation.
« Des » châteaux ? Mais oui ! L’imposante citadelle que l’on peut admirer aujourd’hui n’est que le quatrième château de la ville, un jeunot datant de la fin du XIIIème ou du début du XIVe siècle !
1 – Le château des Taulignan de la Barres, appelé « Château vieux » édifié au XIIe siècle par les seigneurs de Taulignan alliés des Montlaur et venus de Lozère. (1) Le bourg primitif était situé à une centaine de mètres de là, dans l’actuel quartier du Barry. « C’est eux qui sont à l’origine de la ville ». Il ne subsiste rien du bourg castral originel et de cette première forteresse, hormis (peut-être) une tour et sa porte romane visible depuis la cour intérieure de la maison Veyrenc et dont le propriétaire Alain Chevalier montre également quelques piliers de voûtes, vestiges possibles de l’ancien édifice. Pierre-Yves Laffont, professeur d’histoire et d’archéologie médiévale à l’université de Rennes 2 nous désigne seulement sur sa carte l’emprise supposée du « Château vieux » ainsi que celle du bourg castral fortifié, bâti en croissant de lune autour de cette forteresse dominant les falaises sur l’Ardèche. Le castel abritait sa propre chapelle, dédiée à St Pierre et bâtie dans le secteur de l’actuel magasin « La vie Claire ».
2 – Le château des Géorand, (plutôt une maison forte) ayant appartenu à la famille Ithier de Géorand. Lors de la construction du carmel des Bénédictines au XVIIe siècle, la marquise d’Aubenas n’aurait retrouvé de cette maison qu’un « chazal » (tas de pierre). Plutôt que du « chazal » il subsiste près de son emplacement, les ruines du carmel (détruit à la Révolution) dont les pans de murs aux larges embrasures que l’on distingue très nettement depuis la rive gauche de l’Ardèche. L’espace aujourd’hui rénové présente un cadre agréable, une sorte de parc intérieur offrant une vue étonnante sur la vallée.
3 – Le château des Montgros (plutôt une maison forte) se situait au bout de la Rue Ste Claire, à son intersection avec la Rue du Château vieux. Il subsiste à son emplacement une maison renaissance dite Maison Gallimard. Marc Gauer, précise dans son « histoire et généalogie de la famille Montgros » que le seigneur Raymond (ou Rémond) de Montgros demeurait déjà à Aubenas vers 1380. Au XVIIe siècle la maison fut réaménagée afin de servir de couvent aux sœurs Clarisses. Du bâtiment il subsiste les vestiges du portail d’entrée.
4 – Le château des Montlaur (le donjon). En prenant possession de la colline d’Aubenas, les seigneurs de Montlaur, co-seigneurs d’Ucel, ont marqué leur territoire de l’étonnant donjon actuel même s’ils résidaient à Pont d’Aubenas (sur les bords de l’Ardèche afin d’encaisser les droits de passage).
Située sur la route joignant Viviers, siège de l’évêché, au Puy, lieux d’apparition de la vierge, Aubenas prend un essor considérable à la fin du XIIIe siècle (Aubenas et Annonay sont les deux principales villes du Vivarais). Le castrum comprend alors une cité élargie abritée derrière une ligne de remparts (au passage actuel du boulevard Gambetta). Le côté sud de la chapelle des martyrs (adossée à l’église actuelle) ferme la muraille. De cette période subsiste une seule porte (la porte des chantayres) que l’on peut découvrir à l’entrée du Faubourg Gambetta. La citadelle quant à elle se distingue par son donjon primitif carré dont les murs avoisinent 2 mètres d’épaisseur alors que l’étendard flotte à 26 mètres de hauteur. Mais le château n’avait pas l’aspect qu’il présente aujourd’hui. C’était un véritable château fort féodal avec ses murailles crénelées, ses douves sèches et son pont-levis. L’aspect général du château actuel est une construction du milieu du XVIIIe siècle. Elle est l’œuvre du baron d’Aubenas Charles-François-Elzéar de Voguë qui aménagea les appartements et fit ouvrir les ouvertures, notamment la porte d’entrée actuelle. Bien que ses fonctions militaires de lieutenant général le maintiennent à Strasbourg pendant près de 14 ans, il prend le temps d’aménager les appartements du premier étage et notamment les vastes salles (où dormit Charles de Gaulle venu rencontrer le maire de Vals, Paul Ribeyre, tour à tour ministre de la santé, de la justice, du commerce et de l’industrie). En quittant les lieux le général a « oublié » ses brosses à cheveux que l’on peut aujourd’hui contempler en exposition dans une vitrine. Ces salles aux meubles de style (dont l’actuelle salle des mariages) sont garnies des divers portraits des propriétaires successifs du château ainsi que des œuvres du sculpteur Marcel Gimond. A l’extérieur, la toiture en tuiles vernissées aux décors élégants, de style bourguignon, est l’œuvre des d’Ornano.
Si les Montlaur de Coucouron (que l’on trouve également écrit Montlor) furent les premiers « grands seigneurs » propriétaires du château, les d’Ornano en ont été les plus célèbres.
Le marquis Jean-Baptiste d’Ornano, élevé au rang de maréchal, nommé précepteur du duc d’Orléans, frère du Roi, suspecté de conspiration contre Louis XIII fut emprisonné et mourut dans sa cellule du château de Vincennes (on le dit aussi empoisonné dans son cachot sur les ordres de Richelieu). Sa veuve, Marie de Montlaur-Modène, marquise d’Aubenas, fit construire le mausolée de marbre noir transféré de l’église St Laurent au Dôme St Benoit où il se trouve aujourd’hui. Les statues de marbre blanc représentant les défunts époux à genoux et qui couvrent le magnifique tombeau furent décapitées au cours de la Révolution. La tête de la statue de la maréchale fut retrouvée en 1837 sous un siège du confessionnal de l’église. Quant à la tête de la tête de la statue du maréchal d’Ornano, une légende court : elle serait cachée dans une maison d’Aubenas. Comme le précise L’abbé Charay, la légende populaire fait état d’une récompense offerte par la municipalité à quiconque ramènerait les restes de la célèbre statue…
L’actuel château a échappé aux destructions des guerres de religions et au vandalisme populaire de la Révolution Française, ce qui explique son parfait état de conservation dû également aux efforts des municipalités successives. Mais demain une profonde mutation s’annonce…
Portrait.
Pierre-Yves Laffont est Maître de conférences en Histoire et Archéologie médiévales. Ce natif de Lyon, mais dont la famille paternelle est originaire de Borée et qui a des attaches à Sainte-Eulalie, a effectué ses études à Lyon. Après avoir occupé des postes dans les universités de Clermont-Ferrand et du Mans, il enseigne actuellement à l’université Rennes 2. Ses recherches, notamment dans le cadre de sa thèse soutenue en 1998, l’ont amené à travailler sur l’aristocratie et ses châteaux en Vivarais du Xe au XIIIe siècle. Ce travail a donné lieu à deux livres (« Atlas des châteaux du Vivarais, Xe-XIIIe siècles » ; « Châteaux du Vivarais. Pouvoirs et peuplements en France méridionale du haut Moyen Âge au XIIIe siècle » parus en 2004 et 2009), à de nombreux articles dont certains dans des revues ardéchoises ainsi qu’à diverses conférences grand public. Il travaille actuellement sur un tout autre sujet, puisque depuis 2014 il a entrepris l’étude archéologique de la ferme de Clastre à Sainte-Eulalie, ferme au toit de genêt, classée Monument Historique et propriété de l’association LIGER.