On se souvient des cours de géographie où l’on nous apprenait très sérieusement que la Loire naissante avait trahi la mer Méditerranée au sud et fait demi-tour au nord pour rejoindre l’Océan Atlantique ?
Mais le jeune fleuve n’est pas responsable de ce changement de cap. Non, à l'origine, la Loire subissait les caprices du volcanisme ardéchois puis avec l’érection du Suc de Bauzon, un infranchissable barrage naturel lui imposa de dévier son lit pour dire adieu au sud… Le Suc de Bauzon, voilà un site unique. Prenons le temps de le découvrir à pied, en empruntant le sentier aménagé et ponctué de panneaux signalétiques. Suivez-nous !
Sous l’œil goguenard du Suc de Bauzon, nous commençons par accompagner la Loire en direction du sud et tout à coup, sans prévenir, le sol se soulève sur les premières pentes du Suc de Bauzon. N’ayant d’autres choix, la toute jeune Loire s’incline et fuit vers l’ouest puis le nord, vers l’océan Atlantique. Nous la laissons filer, vivre sa vie et dessiner une tout autre géographie que celle qui aurait pu être sans le caprice d’une montagne… Enfin, son eau n’est pas tout à fait perdue pour la mer Méditerranée, car à quelques mètres de ce point se trouve un des puits, d’une centaine de mètres de profondeur, qui permit pendant la première moitié du XXe siècle, le creusement des galeries offrant à l’usine électrique de Montpezat-sous-Bauzon, l’eau nécessaire à son fonctionnement ; de l’eau soustraite à la Loire pour l’offrir à l’Ardèche, soustraite à l’Atlantique pour l’offrir à la Méditerranée… D’ailleurs pendant toute la randonnée, on va flirter avec les deux versants sur la ligne de partage des eaux.
Tournant le dos à la Loire, nous nous enfonçons dans la forêt à la découverte de sapins blancs majestueux dont l’âge atteint pour certains d'entre eux, quatre cents ans. D’ailleurs, Colbert, ministre de Louis XIV en visite dans la forêt de Montpezat, aurait déclaré que les sapins d’ici valaient bien ceux qu’il avait commandés en Franche-Comté pour la construction de ses navires de guerre. C’est vrai que les arbres se dressant face à nous ont fière allure. Et bon nombre de leurs congénères, coupés en basse sève par vent du nord et en lune montante, sont encore en place, comme poutres maîtresses des planchers et charpentes des vastes fermes du plateau. Des arbres de moindre valeur étaient aussi transformés au cœur de la forêt, en charbon de bois. Il ne reste rien de cette activité autrefois intense.
La montée est agréable en sous-bois. Le chant des oiseaux nous accompagne, le bruit régulier du pic, vert ou épeiche, rythme la marche. Ainsi, sans même s’en rendre compte, nous arrivons sur la crête, la véritable ligne de partage des eaux. En ce lieu, il se raconte qu’autrefois les "faschinayres", sorcières en patois, se réunissaient pour mener grand train avec le Diable en personne, les soirs de pleine lune… On peut en sourire, mais dans les siècles passés, bon nombre de femmes seules, veuves, ou dites "simples", furent accusées de sorcellerie et brûlées vives. Il fallait bien trouver des coupables à des maux que personne ne pouvait expliquer, comme la peste ou la famine.
Ce qui ne relève pas de la légende, c’est la présence sous le couvert protecteur des bois de Bauzon du "roi des brigands". Claude Duny, à la veille de la Révolution française était vénéré par les fugitifs, brigands et autres parias de toutes sortes, réfugiés dans la forêt. Même les paysans, souffrant de taxes excessives et d’injustice, étaient prêts à les rejoindre à la moindre occasion. Sous ses ordres, cette troupe détroussait les voyageurs et les muletiers fréquentant les chemins creux de la forêt. Ce roi sans couronne mourut d’une mauvaise fièvre dans un cachot de la prison de Privas, quelques jours avant sans exécution. Nous pouvons le faire revivre en prenant place quelques instants sur le trône sculpté à sa mémoire, installé à l’orée de la forêt…
D'ici, la vue est belle sur le sillon brillant de la Loire et le village de Rieutord. Entièrement reconstruit après le grand incendie, au printemps 1865, ce bourg s’étire le long de l’étroite vallée.
Encore un petit effort et la boucle est bouclée. Auparavant, il est bon de se rappeler que les sentiers que nous venons de suivre l’étaient quotidiennement autrefois par le facteur du village. Chaque jour, il parcourait près de quarante kilomètres, et allait de hameau en hameau. C’est ce que nous apprend le dernier panneau d’information croisé juste avant de revenir sur le bord de la Loire, et de se mettre les pieds dans l’eau pour un repos bien mérité… en pensant aux facteurs de jadis, aux brigands et à cette Loire... qui trahit la Méditerranée !