Le Roux

Article paru en novembre 2017
Mis en ligne en juin 2023

Au bout du bout.
 
Lové au pied des montagnes, dans un amphithéâtre creusé par la Fonteaulière, Le Roux est un village discret. Ses maisons de hameaux en hameaux, animent les pentes, entre landes, sapinières et châtaigneraies. Aucune route d’importance ne les traverse. Pour aller à Le Roux, il faut en afficher la volonté, mais la récompense est vraiment au bout du bout du chemin.
 


Deux routes s’ouvrent pour gagner Le Roux. Depuis Montpezat-sous-Bauzon, on peut descendre au hameau du Villaret et suivre la petite route épousant le relief de la rive gauche du torrent de la Fonteaulière, le long de ses modestes gorges. Ou bien alors, pour jouir d’une vue plongeante, on suit la route en direction de Saint-Cirgues-en-Montagne. On prend rapidement de la hauteur au cœur d’un environnement de plus en plus minéral, magnifique, puis on tourne à gauche pour descendre sur Le Roux. Peu importe le chemin emprunté, ce qu’il faut c’est gagner l’extrémité de la vallée…
 
Les hommes d’autrefois devaient prendre leur temps pour étudier de manière instinctive leur environnement afin de placer leurs habitations de la meilleure façon possible, pour être le plus possible au soleil, tout en ne gaspillant aucune parcelle de terre cultivable. Ainsi Le Roux s’est petit à petit installé et développé dans un décor magnifique, un véritable amphithéâtre de châtaigniers et de rochers. Et en plus d’être beau, l’endroit était stratégique sur le passage entre la vallée du Rhône et l’Auvergne quand la route du col de la Chavade n’était même pas encore une idée. Sur les hauteurs du village on trouvait et on trouve toujours le point de passage le moins élevé pour atteindre le plateau : le col de la Marugier, aussi nommé col de Saint-Abeille. Bon nombre de caravanes de muletiers le franchissaient et, tout alentour, des chemins menant à ce col furent aménagés des lieux de culte, des hameaux et des châteaux dont il ne reste plus grand chose aujourd’hui.
 
Le territoire de la commune s’étage de sept cents à mille deux cent cinquante mètres d’altitude. Le bourg proprement dit accueille la nouvelle église, la mairie et un ancien moulinage métamorphosé en usine hydro-électrique. À peine cent mètres de dénivelée plus bas, derrière un repli du terrain, le hameau principal de Roux Bas, marque le confluent de la Fonteaulière et de la Vauclare. Encore cinquante mètres plus bas, le long du torrent, le hameau de l’Herm dresse ses maisons et son ancien four à pain restauré, offrant au regard, l’harmonie de sa légère voûte en pierres. Ce hameau se situe à l’entrée amont des modestes certes, mais magnifiques gorges de la Fonteaulière qui filent ainsi jusqu’à la sortie aval de Montpezat-sous-Bauzon. Il est à noter qu’au XVIIIe siècle, Le Roux était encore sous la dépendance de ce plus gros bourg. Aujourd’hui la petite commune affiche fièrement une certaine forme d’indépendance. Et cerise sur le gâteau, il faut prendre le temps d’admirer les témoignages nombreux de l’architecture traditionnelle. Dans chaque hameau, plusieurs maisons étonnent par leur forme, leur élégance et l’audace parfois des bâtisseurs d’autrefois. Ils avaient une telle maîtrise de l’usage de la pierre taillée. Regardons, admirons !
 
Bien sûr, les Romains sont passés par là. Par où ne sont-ils pas passés d’ailleurs ? Les traces d’un ancien temple gallo-romain, sans doute dédié aux sources de la Loire, et un autel à sacrifices en attestent… En dessous d’un château qui était érigé sur le rocher dominant le village, une ancienne église romane accueillait les fidèles de la vallée. Il n’existe plus aucun témoignage visuel de cette église et seul le nom du lieu, « le Serre de l’Église» s’y rapporte. Toutes ses pierres furent réemployées pour la construction de l’église actuelle. Même la cloche de l’ancienne église anime le clocher de celle d’aujourd’hui. L’église romane devenue trop petite ou en trop mauvais état, qu’importe, la décision fut prise le 9 avril 1804 de bâtir un nouvel édifice religieux. Il est vrai que la population du village ne cessait de croître à cette époque et le besoin d’une plus grande église devait se faire sentir. La nouvelle église reprit donc quelques lignes de l’architecture romane comme le chœur arrondi et le clocher à peigne, mais surtout, elle se montrait beaucoup plus vaste. Les habitants participèrent aux transports des matériaux en y consacrant presque deux mille journées, d’après un cahier reprenant l’ensemble des dépenses liées à ce chantier. Aucune économie ne fut négligée. La bénédiction de cette nouvelle église, dédiée à la Vierge, eut lieu le 18 août 1846. En 1879, c’est Saint Sylvestre qui devint le saint patron de la paroisse et de l’église sans que l’on se souvienne aujourd’hui de la raison.
 
Mais Le Roux est sans aucun doute plus connu d’une majorité de personnes, grâce à son tunnel que son église. Le tunnel du Roux, toute une histoire ! Il fut creusé pour permettre le passage de la ligne de chemin de fer devant relier Le-Puy-en-Velay à Niègles-Prades, aujourd’hui Lalevade-d’Ardèche. À l’issue d’un travail de forçat réalisé presque entièrement à la main, son creusement fut achevé en 1929. En revanche, comme on le sait, la voie ferrée ne vit jamais le jour. On découvre encore en contrebas de la route menant au tunnel les piliers des viaducs inachevés. À cause des ravages humain et économique de la première guerre mondiale et de la concurrence de la route, cette liaison fut oubliée et le tunnel déclassé en 1941. Comme il avait été creusé assez large, il fut fort logiquement transformé en tunnel routier, évitant ainsi aux automobilistes le passage par la route d’altitude. Mais au plus fort de l’hiver, quand souffle la burle, ses portes sont fermées versant Saint-Cirgues-en-Montagne et tout accès s’en trouve condamné. Ce tunnel relie les versants atlantique et méditerranéen de la Montagne Ardéchoise, passant ainsi sous la ligne de partage des eaux.
 
Mais avant de l’emprunter pour gagner des terres plus élevées, il ne faut pas oublier de faire une halte ô combien méritée au fil des hameaux sur les rives de la Fonteaulière. Le Roux est un village unique, et puis, ses habitants se nomment les Rossignols !
Texte et clichés : Bruno Auboiron