Le Moulin de Marceau

Article paru en mai 2015
Mis en ligne en juillet 2022

Éloigné de toute habitation, sans aucune route d'accès, le moulin de Marceau est aujourd'hui encore, une énigmatique construction.  
 

Pour nous en parler, et vous raconter son histoire, nous avons rencontré son propriétaire, Christian Paladel, qui, un jour, a décidé de réhabiliter cet ancien moulin à grain, abandonné à la nature, quelque part du côté de Faugères.
L'originalité de cet ouvrage est incontestable, tant son architecture en est unique. Cette construction, sans âge, inconnue du public, est un véritable chef d'œuvre du patrimoine ardéchois. Sa présence dans ce lieu insolite suscite bien des interrogations.

La visite du moulin, au bord de la Douce, aujourd’hui répertoriée sous l'appellation Ruisseau des Embrussiers, est réservée à quelques-uns seulement. Ici, pas de route, pas de pancarte pour atteindre ce joyau. Une piste défoncée, praticable sur quelques mètres et seulement en 4x4 depuis le hameau de Bavancel, mènera les plus audacieux, en direction de cette magnifique mais étrange construction. C'est incontestablement le paradis des randonneurs et des amoureux de vraie nature. Loin des artifices et des éclats de la ville, ce moulin antique nous offre un voyage dans un autre temps où l'histoire des hommes se confond avec celle de la nature.

Abandonnée depuis des lustres à la végétation, recouverte de buissons et ensablée par la rivière, la construction était à peine identifiable lorsque Christian Paladel hérite en 2009 de son oncle « Marceau », de la ruine oubliée, là, dans un talweg. Aidé de son fils Cyril, il décide de réhabiliter l’ouvrage. Parmi l'impénétrable végétation, dans un premier temps, il est nécessaire de dégager le bâti de sa prison faite de ronces et de broussailles. Les matériaux sont transportés à dos d'homme. Peu à peu, dans la pureté du site naturel, l'espace s'éclaircit. La lumière envahit les lieux. Les formes se dessinent. Le moulin apparaît alors, sublimement beau, authentique, véritable livre de sciences et d'histoire.

La surprise est totale. Le moulin est ingénieusement construit en sous-sol, afin que les crues de la rivière glissent par-dessus la toiture sans risquer de l'emporter. Les ouvrages de protection et de fonctionnement sont exceptionnels au regard de l'époque à laquelle ils ont été bâtis. Les moulins n'étant jamais construits dans le lit de la rivière, c'est une béalière creusée à la main dans la roche de schiste sur près de 60 mètres qui amène l'eau depuis une écluse située à une centaine de mètres en amont. Le flux ainsi canalisé est régulé par une vanne, simple planche de bois. Cette écluse permet de remplir un bassin de rétention de près de 200 m3 construit au-dessus du lit de la rivière. Le bassin, vidé le temps d'un curage, a dû être fermé en eaux durant les premiers travaux. Mais c'était sans compter sur la famille de castors ayant élu domicile à proximité. Privés de leur « baignoire », les rongeurs se sont dès lors attaqués aux planches, grignotant le bois afin de remplir à nouveau « l'eau du bain ». Une planche a ainsi dû être remplacée à plusieurs reprises jusqu'à la réhabilitation du réservoir où notre famille castor peut dorénavant s’ébattre tranquillement. Cette retenue d'eau constitue une importante réserve permettant le fonctionnement du moulin en toutes périodes, même en cas de sécheresse. Christian Paladel a reconstruit la charpente du moulin et recouvert la toiture de lauzes afin d'en retrouver son aspect d'origine. Le sol dallé a été rajusté. Les meules aujourd'hui nettoyées sont en attente d'un mécanisme de bois bien précis, afin de reprendre leurs activités.

L'originalité de ce bâtiment réside dans son imposant volume, l'ingéniosité de sa construction et la qualité de son appareil en pierres de taille. On s'étonne de trouver dans ce lieu isolé un moulin si important, à deux niveaux : une « salle d'eau » en sous-sol recevant le contenu du réservoir (la piscine à castors !) et au-dessus une salle de travail. Deux jeux de meules composent le mécanisme ; d'une part des meules plates, formant un assemblage destiné à moudre le blé et les châtaignes et en obtenir la farine et d'autre part un deuxième jeu de meules dit moule-à-tout utilisé pour décortiquer les céréales. C'était donc une vaste activité qui se déroulait régulièrement ici, au moulin. Si l’on estime, à cette période, pouvant dater de l'ancien régime, les besoins journaliers par personne à un kilo de farine par jour, nul doute que l'activité y était importante. A moins que ce bâtiment ne fût relié à la «  grange monastique » située dans le vallon de Chabroulière (ou Chabrolière), à quelques centaines de mètres en aval. En effet, une seconde béalière bâtie en pierres de taille, prend naissance à proximité du moulin. Elle est située de l'autre côté de la rivière et s'étire sur près de 500 mètres, conduisant l'eau jusqu'à l'habitation des religieux. Ce canal permettait également l'irrigation des cultures autour de l'abbaye. Dans cette grange monastique, les pierres de grès sont taillées minutieusement par petites touches et jointoyées de la même façon que les pierres formant la voûte du moulin de Marceau. Le joint, de quelques millimètres seulement entre les pierres, est totalement uniforme. Quant à la nature des meules, en pierre de grès d'un seul bloc, leur origine est inconnue. Les grès avoisinants étant trop friables, elles ne peuvent provenir des roches alentours. L'histoire du moulin est donc toujours entourée d’énigmes. Une patente de 1825 fait état de la taxation du boulanger, et un acte antérieur à 1800 prend en compte les travaux autorisant l'ouverture d'une fenêtre dans le bâtiment déjà existant à cette période.

Le moulin de Marceau, en cours de réhabilitation, nous dévoile peu à peu son histoire et  nous raconte aussi celle des personnes qui le fréquentaient en des temps… lointains. Cette construction atypique bâtie dans un endroit isolé en pleine nature recèle encore bien des mystères !

En lui redonnant vie, Christian Paladel réveille sa mémoire et nous offre l’occasion de découvrir tout près de chez nous, à Faugères, une pièce d’exception.
 
Texte et clichés : Henri Klinz