Le château oublié de Charay

Article paru en novembre 2016
Mis en ligne en juillet 2022

Délaissé par les historiens, ignoré des écrivains, le château de Charay situé à l'entrée du village de La Souche est aujourd'hui une coquette résidence que se partagent plusieurs propriétaires. Mais le plus étonnant se cache dans ses environs immédiats. Des maisons voisines dissimulent des éléments d'architecture de nature à reconsidérer l'importance originelle de ce château

L'approche de ce château se révèle une entreprise passionnante. Pourtant, l'affaire se complique dès le début, car il existe peu d'écrits relatifs à son existence. Les seuls documents faisant référence à l'historique de ce château sont des commentaires réalisés à partir du manuscrit rédigé par François Armandès, prieur du canton. S'ajoutent à l'absence d'informations, des difficultés liées à l'orthographe du nom "Charay" que l'on trouve écrit sous de multiples formes (Charray, Charaix, Charais…) mais que toujours l'on prononce "charaïlle". Enfin, une confusion est souvent faite avec l'abbaye de Charay, monastère de moines Augustins, situé sur le versant nord de l'Escrinet, près de Privas. Cette erreur est d'autant plus difficile à déceler que des religieux issus de l'abbatiale de Charay (près de Privas) se sont également installés au château de Charay... à La Souche.
À en croire Charles-Albin Mazon, la famille Charay habitait déjà Aubenas en 1486. Le document d'origine déclinant la généalogie des Seigneurs de Charay mentionne également l'existence du château de La Souche vers 1535. À cette période, Guillaume de Ginestoux (écrit aussi Ginestous), Seigneur de La Bastide près de Jaujac, fait construire l'actuel château sur un domaine acheté à Jean de Charaix, Seigneur de Saint Lager, Procureur de la communauté de La Souche. La famille de Charaix serait apparentée à la noblesse de Vogüé à la suite d'un mariage célébré en 1460 ou 1461 entre Giraud de Rochessauve, Damoiseau, Seigneur de St Laurent-sous-Coiron et Philippa de Vogüé, fille de Pierre de Vogüé, Seigneur de Rochecolombe. De cette union naquit Jeanne, mariée à Jean de Charaix qui vendit le domaine de La Souche à Guillaume de Ginestoux.
Guillaume de Ginestoux appartient à une ancienne famille de la noblesse cévenole, originaire de la région de Sommières dans le Gard, qui s'est illustrée dans le métier des armes. Certains de ses membres se sont, hélas, fait remarquer lors des persécutions des huguenots, recueillant pour leur zèle, les compliments du Roi Soleil.
Henri, l'un des fils de Guillaume, fut abbé au prieuré de Charay (l'abbatiale construite sur le versant nord de l'Escrinet, près de Privas). Ce religieux prit en charge la perception des dîmes et se révéla être un percepteur avisé. Cette bonne connaissance de la monnaie ne l'empêcha pas de se faire abuser, achetant à prix fort élevé, un denier de Judas, "un des trente deniers de Judas, rapporté, dit-on de Palestine ".

À la suite de diverses alliances, le château de Charay passa aux mains de la famille Gigord, originaire du Dauphiné. Cette branche s'éteignit en 1755, laissant deux filles entrées par mariage dans la maison de La Rivoire, propriétaire du marquisat de La Tourette près de Vernoux. La lignée des Seigneurs de Charay aurait disparu définitivement lors des dernières alliances avec la famille de Goys à la fin du XVIIIe siècle. À la révolution, le château de Charay fut vendu en divers lots et, aujourd'hui, comme si l'histoire n'était qu'un éternel recommencement, quatre propriétaires se partagent la demeure. Le château construit à La Souche est en fait, une place forte à deux tours. La mémoire collective rapporte qu'il fut bâti sur des fondations en bois, des troncs de châtaigniers retrouvés couché, dans les fouilles en témoignent. Au dire de certains maçons, ce mode de construction n'est pas incompatible avec les lois de la physique, tant que le bois est maintenu trempé, il conserve toutes ses propriétés de robustesse. Il se détériore dès lors qu'il est mis à sécher. Cela n'est pas une fable, preuve en est la conservation des pieux des maisons lacustres datant du néolithique retrouvés au fond des lacs (à Charavines par exemple).
Revenons à notre demeure... La grande tour située au nord, côté village, (Denise Reynaud, occupante actuelle du château, a bien voulu nous en communiquer la photographie), mesurait trois mètres de plus à l'origine, faisant ainsi office de donjon parcouru par un escalier central en colimaçon. Malmené et démembré au cours de la Révolution française, le château de Charay était quasiment en ruine lorsqu'il fut racheté au cours du siècle dernier. La restauration de cette tour a été entreprise et réalisée dans les années 1985 par les soins de Lucien Rochette, (voir Ma Bastide Nos 199 et 200), l'un des actuels ayants droits. Il a engagé des travaux importants de restauration tant à l'extérieur qu'à l'intérieur où il ne subsiste quasiment plus aucune trace des habitations de l'époque... Le copropriétaire a reconstruit également une seconde tour, sur les fondations d'origine. Plus petite que la première, elle se situe au sud à proximité des habitations principales. On devine aujourd'hui sur la façade principale une ancienne porte en ogive, encadrée de belles pierres de taille, savamment ajustées. Une échauguette, probablement modifiée, occupe l'un des angles de la bâtisse et des linteaux d'origine, en grès dur, et aux teintes verdâtres, encadrent quelques ouvertures dont les compléments du bâti ont été réalisés en granite par des tailleurs de pierre de la région du Puy.

Ce château est aujourd'hui une demeure confortable installé au cœur du hameau éponyme. De dimensions modestes, le château de Charay n'a pas retenu l'attention d'écrivains contemporains qui l'ont exclu de leurs ouvrages et de leurs inventaires sur les châteaux du Vivarais. Pourtant, la visite des habitations environnantes soulève bien des interrogations et permet d'imaginer un domaine féodal s'étendant bien au-delà des quatre murs reliant les deux tours. À ce titre, la maison Cahors, située à quelques centaines de mètres du château, cache aujourd'hui encore quelques curiosités d'architecture permettant une corrélation entre les deux bâtiments. L'actuelle cuisine de cette demeure serait probablement l'ancienne chapelle. Au sous-sol, dans l'une des caves aux portes cintrées en ogive, se dessine une splendide cheminée en grès dur dont la clé de voûte porte l'inscription "1671 Jean Armandé ". Visiblement l'apostrophe laissé en suspend, laisse supposer que l'auteur de l'inscription n'a pas eu suffisamment de place sur la pierre pour y graver le nom d'Armandés, dans sa totalité. Des chapiteaux supportant autrefois des voûtes sont encore visibles dans les recoins de la pièce. Dans le mur, un énorme bacha semble supporter une partie de la construction.  Serions-nous ici, dans la maison du prieur et la chapelle du château ? Les écrits anciens font état de "la chapelle de Charay offerte en donation ", et on peut remarquer qu' il n'est pas fait mention du château...

Quelques centaines de mètres plus loin, au quartier de la Croze, la maison Charbonnier dispose d'une immense cheminée quasi identique, de même style que celle existant dans la maison Cahors. Cette cheminée porte la date de 1610. On y devine parmi les symboles garnissant les jambages, la sculpture d'une croix des Templiers. Coïncidence historique où simple fait du hasard, car curieusement, la généalogie des familles propriétaires du château de Charay, fait état de quelques fils, devenus moines-soldats dans l'ordre des Chevaliers de Malte. Dans ce même quartier, la maison Rousseau dispose également d'une surprenante pièce située en sous-sol et dont la date de construction n'a pu être établie. Cette pièce est connue des gens du village sous le nom de "la salle des gardes"…
Ainsi tout laisse à penser que le château de Charay dont il ne subsiste aujourd'hui en apparence que l'appareil principal, s'étendait bien au-delà des limites actuelles de la forteresse. Quant au prieur François Armandès (1713/1808), auteur de la précieuse monographie de la paroisse de La Souche, il semble appartenir à une très ancienne famille du lieu, dont le supposé Jean Armandès habitant La Souche, en 1610. Cette famille est encore présente aujourd'hui en Ardèche, en la personne, entre autres, du Docteur Patrick Armandès, médecin généraliste acupuncteur à Aubenas, descendant du fief de Charay.
Le docteur Patrick Armandès 
"Je suis bien l'un des descendants de la famille Armandès de La Souche. Cette famille pourrait être d'origine espagnole. Le premier Armandès venu à la Souche, au cours du XIIIe ou du XIVe siècle, était probablement un marchand ambulant, commerçant en drap. Il s'est installé à La Souche, donnant la lignée que vous connaissez. Le premier prêtre à La Souche était également un Armandès en 1456. Il appartenait à la maison Vernet. Au cours de la Révolution Française la famille s'est réfugiée dans la région de Largentière, au quartier du Ginestet. Quant à moi, j'étais médecin à Aubenas où j'ai exercé de 1981 à 2013. Je suis actuellement à la retraite à Rosières où je réside dans la maison de mes aïeux."

Alain Leynaud artisan maçon, domicilié à La Souche depuis 2004 
"J'assure les travaux d'entretien et de restauration du château de Charay depuis 5 ou 6 ans, ne travaillant que dans les constructions anciennes.  J'ai entendu dire que le château actuel aurait été déplacé vers 1600. Le château initial se situant autrefois, un peu plus haut…"

Vous en conviendrez avec nous, à La Souche, bien des énigmes demeurent !


 
Sources 
Histoire de la paroisse de  La Souche, par le prieur Armandès. - Notice historique sur l'ancienne paroisse de Jaujac de Charles-Albin Mazon. - Les châteaux historiques du Vivarais de Benoît d'Entrevaux. - L'armorial du Vivarais de Benoît d'Entrevaux.
 
Texte et clichés : Henri Klinz