Le calvaire des champs

Article paru en décembre 2015
Mis en ligne en juillet 2022

Parmi les milliers de calvaires dispersés sur toute la planète, celui de Prades est, de loin et sans chauvinisme aucun, le plus beau… Cependant ne vous méprenez pas sur nos propos ! Cette beauté-là, n'est ni l'expression du flamboiement de l'art sacré, ni issue de l'artificiel scintillement des oriflammes. Elle est ailleurs, accessible uniquement par les chemins intérieurs conduisant à la réflexion et la paix de l'âme.
 

Le portail métallique franchi, dès son entrée dans le sanctuaire, le visiteur est plongé dans une atmosphère étrange, propice à la méditation. De modestes oratoires, disséminés sous les ombrages et sobres jusqu'à l'austérité  conduisent aux deux principaux édifices, l'église de la Croix glorieuse et la superbe "petite chapelle", connue sous le vocable de Notre Dame des sept douleurs.
L'actuel calvaire de Prades est apparu en 1858 sous la direction des pères Basiliens. Un calvaire primitif existait déjà au milieu du XVIIe siècle, bâti entre le ruisseau du Salindre et celui de Farge. Les congrégationnistes de Saint Basile, en regroupant les divers oratoires autour d'une première petite chapelle, dessinèrent le nouveau chemin de croix, tel qu'il apparaît aujourd'hui. La chapelle initiale fut remplacée par un vaste édifice consacré par Monseigneur Delcusy, évêque de Viviers, le 14 septembre 1865. Cette date deviendra le jour anniversaire de la fête de la Croix glorieuse, regroupant en nombre les pèlerins, au calvaire. La comtesse d'Antraigues ayant obtenu de Rome une relique de la vraie croix en 1775, l'adoration du lieu n'en fut que plus intense. L'église de la Croix glorieuse, dénommée "la grande chapelle" est un édifice de style gothique, aux couleurs baroques, dont l'extérieur fait actuellement l'objet de travaux de rénovation, conduits par l'association " Les amis du calvaire". A l'intérieur, des peintures multicolores, hélas très endommagées, ornent l'ensemble des murs, couvrant les colonnades de fresques en trompe l'œil, en imitation de marbres. Les tableaux d'origine représentant les prophètes et les apôtres et qui faisaient l'admiration des visiteurs ont été remplacés provisoirement par des statues, attendant leur prochaine destination. On reconnait les quatre évangélistes identifiables à leurs attributs symboliques, tels qu'ils ont été décrits dans la vision du prophète Ezéchiel. Dans la chapelle latérale qui lui est consacrée, une imposante statue de Saint Joseph, le torse dévêtu, accroche le regard. Mais la pièce la plus exceptionnelle est de toute évidence un gisant du Christ reposant sur son linceul, au pied du maître autel. De son visage transfigurant, émane une impression forte, mélange de compassion et d'admiration.

A l'extérieur, 36 oratoires (au lieu des 14 d'un chemin de croix traditionnel) nous permettent de déambuler sous les ombrages des chênes et des lauriers. L'espace broussailleux, sans alignement ni bordure, confère à ce parc des aspects sauvages, aux allures bucoliques. Dans les niches taillées, des oratoires, les représentations des diverses étapes de la Passion du Christ ont été remplacées par un même crucifix posé sur une stèle de fonte portant une épitaphe : J-C présenté au peuple, J-C renvoyé devant Pilate, J-C renvoyé à Hérode, J-C mené chez Caïphe "….
Ces quelques mots tant bibliques qu'historiques rappellent en outre, les principales phases du procès du Christ dans les territoires occupés (déjà). Le décor répétitif, loin de mener à la lassitude, conduit au contraire l'esprit vers des pensées plus mystiques. Les oratoires en pierres grises, couverts de dalles de granit savamment ajustées, nous plongent lors de la visite, dans une atmosphère de recueillement et de méditation. L'absence de décors fastueux favorise cette démarche intérieure qui, de station en station, ouvre les âmes et les cœurs. L'éclairage diffus, tamisé par les ramures des grands cèdres bleus du Liban, amplifie cette atmosphère de paix, à peine troublée par les bruits émanant du village voisin. Là, chacun y trouvera un instant de quiétude, loin des préoccupations du quotidien. Au centre du promontoire, trois grandes croix occupent l'espace, dressées devant une belle Pieta d'une teinte discutable. Au sud, un bâtiment ancien accueillait autrefois les pèlerins venus de destinations lointaines. Il fut un temps, un lieu de rassemblement pour la jeunesse qui assistait à des représentations théâtrales, à une époque où les paroisses, sensibles à l'avenir des jeunes gens, occupaient les esprits à de saines activités.

En bordure du plateau, une petite chapelle dédiée à Notre-Dame des sept Douleurs, toujours ouverte, accueille les visiteurs. Cet édifice est un ravissement. Derrière sa façade de grès tendre se cache un petit trésor d'architecture et d'élégance. Des piliers engagés portant des chapiteaux sculptés soutiennent des arches croisées de belle facture. L'autel repose sur des piliers en marbre finement taillés. Un puits de lumière situé au-dessus diffuse une lueur permettant de contenir l'ensemble dans un éclairage naturel, et mettant également en valeur les sculptures murales garnissant le chœur, œuvre de l'artiste Martine Dierzé. Et aussi, dans l'angle gauche, une statue de la Vierge en bois doré du XVIIe siècle, a remplacé la grande Vierge blanche remisée pour un temps dans la grande chapelle. Cette statue en bois, autrefois promenée sur un brancard au cours des possessions religieuses, est une invitation à la prière et au recueillement. On peut supposer que cette Vierge en bois doré se substitue à celle, originelle représentant la Sainte Vierge portant les sept poignards, symbolisant les souffrances de son fils rédempteur et ayant laissé son nom à cette petite chapelle.
Le calvaire de Prades n'est ni une "boite à touristes", ni une invitation à un voyage artistique où l'on admire des œuvres artificielles pouvant être exposées dans certains musées. Ce lieu de prière pour les uns ou de méditation pour les autres, est avant tout un sanctuaire, un lieu d'élévation spirituelle. Il permet également aux âmes blessées de venir méditer et de puiser dans leur fort intérieur, la force nécessaire qui leur permettrait de vaincre ceraines souffrances.
 
Sources :
- Le calvaire de 1650 à 2012, travaux de Jean-Pierre Joffre.

- Promenade autour de la montagne Ste Marguerite de Lucien Avenas.
Divers :
Outre la cérémonie du Vendredi Saint et de la procession organisée à 15h ce jour là, la fête de la Croix Glorieuse de déroule maintenant le dimanche le plus près de la date anniversaire du 14 septembre.
Texte et clichés : Henri Klinz