En amont de la vallée de l’Ibie, le paysage est large et la vue porte loin sur les lignes douces des modestes hauteurs la dominant. La vigne, la lavande et quelques autres cultures envahissent cet espace aux formes tranquilles. Après le village de Saint-Maurice-d’Ibie et le hameau des Salelles, la vallée devient minérale. Le calcaire s’impose et dresse des barrières infranchissables le long de la rivière. L’eau claire et fraîche court sur les dalles calcaires et parfois s’arrête un temps au cœur d’un bassin. « L’Ibie a creusé la trentaine de kilomètres de son lit dans le plateau des Gras, explique Georges Rolayer, naturaliste et géologue. La vallée de cet affluent de l’Ardèche est couverte par une végétation méditerranéenne et de nombreux sites remarquables la ponctuent à l’image du Trou de la Lune ou de l’arche du Ranc de l’Arc. » Le Trou de la Lune est sans doute le lieu le plus fréquenté de cette magnifique vallée. Il doit son nom au trou, dont la forme rappelle bien sûr celui de la lune, présent dans l’un des rochers surplombant le bassin d’eau claire. La retenue artificielle donnant naissance à une petite cascade était autrefois celle de l’ancien moulin de la Noé.
Entre l’amont et l’aval de l’Ibie, le village de Saint-Maurice-d’Ibie est une étape incontournable lors de la découverte de cette vallée. À l’origine les maisons se sont regroupées autour du prieuré Saint-Maurice, puis ont longé le vaste pré communal en rive gauche de l’Ibie. De petites ruelles se faufilent entre les vieilles maisons en galets roulés et passent sous des arcades voûtées sur lesquelles sont aménagées quelques terrasses… La première mention de ce village remonte à 1106, quand l’évêque de Viviers céda le prieuré à l’abbé Bégon de l’abbaye Sainte-Foy de Conques en Aveyron. Cet acte de cession précisait qu’un monastère devait être fondé à Saint-Maurice-d’Ibie.
Aujourd’hui, il est bien difficile d’imaginer l’aspect ancien de ce prieuré. Les ravages des guerres de religion et les aménagements dus à la croissance considérable de la population, environ un millier d’habitants au début du XIXe siècle, contre deux centaines aujourd’hui, ont profondément modifié le site. De l’ensemble primitif, il ne reste sur l’église actuelle que le mur sud et le portail roman en plein cintre. Contre la porte rouge de l’édifice religieux, on peut lire : « Les colonnettes latérales qui supportaient les voussures ont disparu. Le porche est surmonté d’un chrisme (ndlr : symbole chrétien formé des deux lettres grecques Χ (chi) et Ρ (rhô) souvent accompagné des lettres α (alpha) et ω (oméga)) entouré d’une fine torsade. Curieusement les lettres grecques, alpha et oméga sont inversées. Sur le contrefort extérieur une inscription lapidaire encastrée porte, semble-t-il, l’épitaphe d’une pierre tombale. Un autre fragment sert de marche à l’escalier de la tribune. » A l’intérieur de l’église, dont la nef romane fut agrandie entre 1828 et 1834, on peut admirer la demi coupole peinte de médaillons naïfs datés des XVIIe et XVIIIe siècles. Contre la porte d’entrée, on découvre un bloc de marbre blanc d’une belle taille. Il fut retrouvé en 2004 sous le socle de la statue de la Vierge située sur la place de l’église. Selon les explications des spécialistes, il s’agirait d’une table d’autel datant de l’origine de l’église.
Un peu plus en aval, avant que le minéral prenne le pas sur le végétal le long de l’Ibie, se dressent les maisons du hameau des Salelles. Les restes d’une villa gallo-romaine attestent d’une ancienne exploitation des terres agricoles de cette vallée. À l’ombre des murs des maisons, des couradous, ou terrasses couvertes d’arcades, des passages voûtés et de nombreux escaliers extérieurs animent les vieilles pierres. L’architecture locale trahit une ancienne activité liée à l’élevage du ver à soie. Au hasard d’une flânerie dans le hameau, on croise encore une chapelle, deux fours à pain et à l’écart des maisons, marqué par la présence d’un haut cyprès, un petit cimetière protestant… Depuis longtemps le hameau des Salelles est rattaché à la commune de Saint-Maurice-d’Ibie.
De retour en pleine nature sur le bord de la rivière, dont le débit diminue fortement en été, nous rencontrons des cavaliers. Ils viennent de la ferme équestre tout proche pour une sortie à la journée.