Il faut gagner le bout de la vallée après avoir franchi l’imposant verrou rocheux, là où le Lignon se fraye un chemin minéral. Il faut s’arrêter juste avant le pont et les premières pentes du col de la Croix de Bauzon. Alors juste là, on est arrivé à La Souche.
Village discret de la vallée du Lignon, trop souvent effacé au profit de son voisin Jaujac, La Souche attire et sait retenir. Ses maisons s’effilent au long de la route, en rive droite de la rivière à l’ubac ; les bonnes terres au soleil étaient consacrées aux cultures. Il ne fallait pas en perdre le moindre arpent. L’église domine son petit monde de toitures et seules les maisons des nombreux hameaux éparpillés dans la vallée et au hasard des pentes boisées échappent à cette surveillance divine. Ici la vie est dynamique, les habitants attachés à leur cadre de vie. Ici on sait accueillir. Ils sont nombreux ceux des villages voisins, voire même des vallées voisines à venir au bord du plan d’eau du bourg quand le cours du Lignon est stoppé pour une pause estivale. Les enfants et leurs parents sont ravis de l’aubaine, seules les truites y trouvent à redire !
De tout temps le Lignon, affluent de l’Ardèche dont la source se trouve sur les hauts de la commune, a connu la fréquentation humaine. Les traces antérieures au Moyen-Age se perdent dans l’oubli, mais à partir du XIIe siècle, la communauté villageoise s’enracine durablement ici. Elle est restée catholique pendant les guerres de religion, évitant ainsi les horreurs des dragonnades qui se sont déroulées dans certaines communes voisines… Si la folie des hommes n’a pas trop impacté la vie du village, en revanche, les colères de la nature lui ont causé de grands dommages. Les crues du Lignon, pendant le XIXe siècle, sont encore dans les mémoires. 1840, 1856 et surtout 1890 : cette année-là, au mois de septembre, les eaux emportèrent vingt-trois maisons dont la mairie et l’école, déposèrent des blocs de granit de plusieurs tonnes au milieu des champs cultivés, causant la perte irrémédiable de précieuses terres agricoles. Par la suite, il y eut d’autres crues, mais elles n’eurent pas autant d’effets néfastes. Le relief abrupt de la vallée occasionnant un fort ruissellement où l’eau peut rapidement prendre de la vitesse est sans aucun doute la cause de la violence des crues.
Le Rocher d’Abraham, le sommet de Méjean, le mont Gros et le mont Aigu, tous culminent entre mille trois cent et mille cinq cent mètres d’altitude. Ils façonnent le paysage, ne laissant que peu de place aux surfaces plates, d’ailleurs pour ainsi dire pas, à part l’étroit fond de la vallée. Alors les hommes ont aménagé la montagne en une succession de faïsses où ils cultivaient de quoi vivre et plantèrent de nombreux châtaigniers. Mais comme partout en Cévennes, l’exode rural provoqua l’abandon des terres les plus ingrates ou les moins faciles d’accès. Petit à petit les murs des terrasses s’effondrèrent, l’usure de l’oubli et de l’érosion. Les maladies des châtaigniers et du ver à soie enfoncèrent le clou du départ des habitants vers les villes. Comme une lueur dans le noir, les terres de la commune continuent pourtant d’accueillir l’une des dernières transhumances locales. Chaque année, quelques centaines de moutons gagnent à pied les herbages généreux du Tanargue pour y passer l’été et redescendent dès les premiers froids revenus.
Outre le centre du village s’étirant le long de la route principale menant à la Croix de Bauzon, La Souche se décline en une trentaine de hameaux ou maisons isolées et certains, situés haut sur les pentes des montagnes, se trouvent très éloignés de la vie locale. Le plus important est celui de Saint-Louis, presque au fond de la vallée au pied du Tanargue. Il peut être fier d’accueillir une église depuis 1871. En revanche, il pleure la perte de ses deux écoles, l’une publique et l’autre privée. Mais revenons au cœur du village.
Pas de monuments exceptionnels ici. L’église Saint-Sauveur, du XIXe siècle, et l’école rebâtie après la crue de 1890 ne présentent pas une architecture particulière. Seul le château de Charay, édifié au XVIe siècle, aurait pu attirer le regard, mais il fut détruit pendant la révolution française et il n’en reste qu’une maison forte s’articulant autour d’une tour, seul vestige de château initial. Les bâtiments épousant la pente, les montagnes si près à les toucher du doigt, l’eau toujours menaçante mais tellement indispensable, la nature si présente : c’est cet ensemble qui donne à La Souche son caractère bien trempé et fait son succès. Quand on vient ici, on ne peut rester indifférent à l’atmosphère du lieu, et on y revient.