La mystérieuse relique de Sablières

Article paru en mars 2017
Mis en ligne en septembre 2022

De-ci, de-là quelques églises de la campagne ardéchoise cachent des merveilles d'art sacré. Pour en témoigner,
une piéta de Charles Desvergnes au Roux, une peinture murale inspirée de Murillo à Gravières,
une toile de Joseph Fabisch offerte par l'Empereur Napoléon III à Payzac, etc.
 

Et à Sablières le trésor est d'une autre nature, car dans l'église romane du village, une mystérieuse Vierge noire pose bien des interrogations. En France, près de deux cents Vierges noires habitent des lieux sacrés sans que l’on ne puisse exactement déterminer l'origine de cette étonnante iconographie, que l'on dit rapportée des croisades. Souvent de style byzantin, ces statues de la "Vierge à l'Enfant " sont étroitement liées à l'art roman apparu entre le Xe et le XIIe siècle en Europe de l'ouest. Dans le Vivarais d'autrefois, on retrouve çà et là quelques-unes de ces statues polychromes, à Pont de Labeaume, Lalouvesc, St Romain d'Ay, Cornas, etc. La Mère et l'Enfant y sont représentés le visage et les mains "noircis". Ce terme « noirci » ressort de textes anciens, pour illustrer un phénomène naturel de dégradation du carbonate de plomb utilisé au Moyen-Age, pour colorer les statuettes de bois. La céruse de l'époque avait tendance à se foncer avec le temps, jusqu'à devenir presque noire. Et c’est cette teinte qui se serait ainsi transmise naturellement comme référente, au cours du temps. Cette première hypothèse de dégradation du carbonate de plomb affectant la couleur originelle, est suivie d'une seconde hypothèse qui a prévalu pour la statue de la Vierge du Puy dont les lessivages successifs auraient entraîné une modification de la fibre du bois. De manière plus pragmatique, une troisième hypothèse fait état des emplacements réservés à ces statues, disposées en vénération près des cierges allumés dans les églises. Au fil du temps, le noir de fumée aurait recouvert la Sainte Dame. Mais dans ce cas, comment expliquer que la noirceur n'ait affecté que le visage et les mains ? Des esprits éclairés, alliant histoire et ethnologie, osent une autre probabilité au risque de heurter quelques sensibilités : pour certains, l'histoire de la Bible se situant au Moyen-Orient où les peuplades sémites étaient dominantes, rien d'étonnant à ce que les croisés aient ramené de Terre Sainte l'image d'une femme au teint mat... La tradition aurait fait le reste.

Dans le style byzantin, la Vierge est souvent représentée couverte d'une cape pyramidale, enveloppant de sa protection son enfant dont la tête apparaît, sortant du manteau. Il n'existe en fait aucune trace d'une "Vierge noire" dans les écrits liturgiques à l'exception de l'adaptation poétique, quelque peu controversée pour ces termes (à peine) érotiques du "Cantique des cantiques" figurant dans l'Ancien Testament, dont un texte latin "nigra sum sed formosa" se traduirait par " je suis noire mais belle ".
Revenons chez nous. Ainsi donc, à Sablières une Vierge noire occupe la chapelle droite de l'église romane. Mais paradoxalement son effigie ne trône pas sur l'autel habituellement consacré à la mère de Jésus. Ici, la statue en bois polychrome, estimée du XVIIe est aujourd'hui, pour sa protection enfermée dans une "cage" métallique suspendue au mur ! Faut-il voir au travers de ce style "byzantin" et dans le fait que l'église de Sablières aurait été construite par "des esclaves Sarrasins" (dont un camp de prisonniers était implanté à Rosières), une représentation des églises orientales ?

Nul doute, que depuis des siècles, cette Vierge à l'Enfant, ait fait l'objet d'une profonde vénération et que jusqu'au XXe siècle, la statue en elle-même, n'ait posé d'interrogation particulière. Mais l'usure du temps est venue modifier la structure du bois, révélant aux yeux d'observateurs avertis quelques mystérieuses marques.
Ainsi, Dominique Dupraz, conservateur des antiquités et des objets d'art du département - vice- président fondateur de l'Académie des sciences, des arts et des lettres de l'Ardèche, écrit à ce sujet :"(…) Un détail exceptionnel mérite d'être signalé : sur le devant de la statue, au niveau du corps de l'Enfant, se distinguent des fentes et des traces de chevilles. Jean de La Laurencie suggère qu'il pourrait s'agir là d'un reliquaire que personne n'a encore osé forcer."
L'examen de cette statue accusant 10 kg à la pesée pour 76 cm de hauteur, révèle effectivement sur le devant une fissure régulière de forme ovoïde pouvant dissimuler un réceptacle. Les bordures du "couvercle" jusqu'alors soigneusement camouflées ont maintenant une fâcheuse tendance à s'écarter du corps de l'ouvrage au fur et à mesure du vieillissement de la fibre de cellulose. Les deux emplacements des chevilles, situées de part et d'autre de la fermeture du manteau se devinent, mais sont plus difficiles à discerner. Il y a fort à parier qu'elles apparaîtront davantage avec le temps. Sous les pieds de l'enfant un redan faisant saillie et corps avec le "couvercle, s'accorde à merveille avec la bordure de l'autel de l'Assomption où la Vierge était autrefois exposée (situé sur le côté gauche de l'église, bordé d'un retable ouvragé venu de l'abbaye des Chambons, à Borne). Il n'existe pas de texte connu permettant d'identifier l'origine exacte de cette statue, ni même d'identifier la relique probablement contenue à l'intérieur. Le conservateur des objets d'art de l'Ardèche parle "d'un objet exceptionnel ". Aujourd'hui encore, la Vierge noire de Sablières abrite son énigmatique secret.
 
Sources
- Vierges noires Vivaroises de Roland Comte.
- Histoire du Vivarais par Jean Régné.
- Souvenir de l'Ardèche d'Ovide de Valgorge.
- Vierges noires de Sophie Cassagnes-Brouquet.
- Les églises romanes oubliées du Vivarais de Claudiane Fabre-Martin.
 
Texte : Bruno Auboiron, Henri Klinz
Clichés : Henri Klinz