La bête du Gévaudan

Article paru en janvier 2017
Mis en ligne en juillet 2022

Un animal, à l'origine de nombreuses agressions mortelles, a donné lieu à la légendaire bête du Gévaudan, tour à tour loup, animal étranger, bête curieuse et même loup-garou…
 

A force de chalouper d'un esprit à l'autre et de déambuler dans les couloirs du temps, l'histoire de la bête du Gévaudan est devenue un mythe. Et pourtant ! Cette affaire authentique est survenue dans tout le Gévaudan, (aujourd'hui la Lozère) entre 1764 et 1767. On dénombre une centaine de victimes en moins de trois ans. L'événement prit une telle importance que malgré le peu de moyen de communication à cette période, les différents épisodes de cette histoire se sont répandus dans toute la France, dépassant largement nos frontières et nécessitant même l'intervention du Roi Louis XV. La première victime de la bête féroce est ardéchoise. Il s'agit d'une jeune fille de 14 ans, originaire de St Etienne-de-Lugdarès, nommée Jeane (avec un seul "n") Boulet (que l'on trouve aussi écrit Bouler) habitant le hameau des Hubacs à quelques kilomètres à l'est du village. L'acte de décès dressé par le curé de la paroisse de Masméjean, mentionne (sic) :" L'an 1764 et le premier juillet a été enterrée, Jeane Boulet(r) sans sacremen ayant été tuée par la bête féroce, présans Joseph Vigier et Jean Reboul". Il s'ensuit une série d'agressions par un animal que les témoins décrivent comme un gros loup s'attaquant principalement aux femmes et aux enfants, parfois isolés, parfois en groupe. L'animal souple et audacieux n'hésite pas à sauter les murs d'enceinte des fermes jusque sur le devant de leur porte. Parfois, il se tient à l'écart des habitations, afin d'épier ses proies et lorsqu'il est repoussé revient plus tard à l'attaque. On le dit "de la taille d'un "veau" portant un pelage sombre marqué d'une raie noire sur l'échine.

La férocité de l'animal est d'une telle notoriété que les journaux de l'époque, français d’abord, puis étrangers diffusent largement la nouvelle de cette affaire, dénonçant l'insécurité régnant dans la Province du Gévaudan et jusqu'à la périphérie des Provinces voisines, aujourd'hui la Haute-Loire, le Cantal et jusque dans l'Aveyron. L'échec d'une première compagnie de Dragons commandée pour neutraliser l'animal, exaspère le Roi de France qui dépêche sur place Robert François-Antoine de Beauterne, son porte-arquebuse. Accompagné d'une poignée de bons chasseurs, aidé de chiens, il organise plusieurs battues afin de traquer la bête. Après plusieurs tentatives infructueuses, le sous-lieutenant de l'armée du Roi tue, au mois de septembre 1765 près de St Julien-des-Chazes (48) un "gros" loup, formellement reconnu par des témoins et identifié comme étant la bête du Gévaudan. Heureux de son exploit, François-Antoine rentre à Paris, mission accomplie. Le Roi, satisfait entérine l'affaire désormais couverte de son autorité. Il n'est plus question de parler de la bête du Gévaudan.

Mais les agressions se poursuivent, notamment au cours de l'hiver 1766. Un vieux chasseur expérimenté, Jean Chastel, reprend alors la traque et tue au mois de juin 1767, un animal décrit également comme étant un "gros" loup. Comme ce fut le cas pour la première dépouille, le corps de l'animal fait l'objet d'une autopsie pratiquée par le chirurgien de Saugues (48) décrivant un "canidé". Il s'ensuit un rapport détaillé toujours existant rédigé par le notaire Royal. Les témoins rescapés des attaques antérieures identifient également l'animal qui présente par ailleurs des cicatrices laissées par quelques bergers l'ayant blessé au couteau. Après la mort de ce deuxième "loup", on ne déplore plus de victime dans le Gévaudan, ce qui laisse à penser que Jean Chastel est bien le tueur de la bête féroce.
L'histoire aurait pu en rester là si, des années plus tard, des écrivains n'étaient pas venus compléter leurs récits d'éléments troublants venant épicer l'affaire. Des témoignages décrivent en effet le corps de certaines victimes retrouvées dévêtues, la tête séparée du tronc. D'autres écrits mentionnent une certaine impunité de l'animal pourtant atteint de plusieurs coups de fusils au cours des battues, mais qui se serait relevé. Dès lors, toutes sortes d'hypothèses vont alimenter les récits. Certains avancent celle d'un animal exotique dressé par l'homme pour mener des attaques et dont le corps serait protégé par une peau de sanglier en guise de carapace, comme cela était de mise à l'époque pour équiper les chiens de guerre, (cette hypothèse servira de trame au célèbre film de Christophe Gans, sorti en 2001 "le pacte des loups"). Le nom des fils Chazel est ainsi évoqué, comme le sera également celui de Jean-François-Charles de Molette, comte de Morangiès, que l'on désigne comme étant leur commanditaire. D'autres auteurs font état de rites sadiques sans qu'aucun élément ne vienne attester l'affaire.

La mémoire collective a conservé globalement l'image de la bête du Gévaudan, comme étant celle d'un loup cruel. Cependant, depuis une dizaine d'années, les études réalisées par des spécialistes font apparaître de manière formelle, qu'à ce jour et depuis les temps les plus anciens, l'histoire de l'humanité ne rapporte aucun fait d'attaque d'homme imputable au loup, ni en solitaire, ni en meute. Le loup mangeur d'homme n’est qu'un mythe. En l'absence de preuves irréfutables, l'hypothèse la plus sérieuse et aujourd'hui retenue, demeure celle d'un canidé hybride, issu d'un croisement entre un loup et un chien (peut-être un mastiff ou un mâtin de Naples) pouvant expliquer le comportement de l'animal et sa description morphologique, appuyée par la présence d'une rayure noire courant sur l'échine.
L'histoire de la bête du Gévaudan n'en reste pas moins un fait authentique mettant en scène un animal particulièrement féroce, jamais vraiment identifié.

 
 
La fontaine
A St Etienne-de-Lugdarès, sur la place du village, une fontaine enveloppée d'un nuage de brume artificielle, représente l’animal. L'ouvrage est une réalisation des sculpteurs Gauzy et Loillier. Cette fontaine porte une plaque commémorative en hommage à la première victime, Jeane Boulet, l'enfant du
village tuée le 30 juin 1764.
De Marvejols à Saugues, d'Aumont-Aubrac à Auvers, l'ancienne province du Gévaudan est peuplée de statues figurant la bête.

Portrait
Originaire de Paris, arrivée à St Etienne de Lugdarès en 2008, Brigitte Issad assure la fonction de secrétaire de mairie. Elle est régulièrement saisie de demandes de renseignements sur Jeane Boulet, dont elle conserve religieusement une copie du registre décadaire du XVIIIe siècle, où à la page 116 ; il est fait mention du décès de la première victime ardéchoise de la bête du Gévaudan.
 
Sources
- "La bête du Gévaudan" ouvrages de  Michel Louis - François Fabre - L'abbé Pourcher.
- "Sur les traces de la bête du Gévaudan" de Bernard Soulier
 
Texte et clichés : Henri Klinz