Dans un petit hameau bordé de vignes et de prairies,
plus près de Vogüé que de Rochecolombe dont elle dépend,
se cache une bien discrète église romane.
Pureté et sobriété expliquent peut-être l'émotion qui nous étreint, en poussant la porte de "l'une des plus petites églises romanes de la chrétienté". Dès l'entrée, le regard embrasse l'ensemble, faisant naître une certaine confusion, un sentiment étrange d’où se dégage une incomparable atmosphère propice à la méditation. Contenu sous des voûtes de plein cintre, l'esprit roman est ici à l'apogée de sa spiritualité.
L'église de Sauveplantade (1) est sans aucun doute l'édifice le plus authentique restant en Vivarais. Le plan de masse, l'organisation architecturale, les sculptures médiévales, tout est resté intact depuis le XIe siècle, période de sa construction.
Une nef centrale à deux travées est prolongée par une abside semi-circulaire en cul-de-four aussi large que profonde (2,65m) et deux absidioles caractéristiques des constructions bénédictines. La fenêtre centrale de l'abside, parfaitement orientée au levant, se distingue par un double ébrasement évasé autant à l'extérieur qu'à l'intérieur, constituant une pièce d'architecture unique. Le petit appareil de calcaire aux pierres grossièrement taillées, caractéristique du style lombard, qui termine l'ensemble de la construction, est typique du XIe siècle. L’abbé Chapuis, curé de Vogüé, situe cette construction entre les années 1025 et 1050.
L'église aurait été édifiée sur les fondements d'un premier édifice érigé au VIIe siècle par un couple de riches propriétaires terriens (Aginus et Pétronille) qui l'aurait offert à l'évêque de Viviers. Le prélat en aurait ensuite confié la charge à l'abbatiale de Cruas. De la période primitive subsistent deux colonnes latérales circulaires aux fûts galbés, aux astragales irrégulières, positionnées à la croisée du transept et sommées de deux chapiteaux dont les sculptures retiennent l'attention. Il est bien difficile de déterminer la date de ces chapiteaux. Pour certains observateurs ils sont de style wisigothique, mais la pureté des lignes et la parfaite géométrie des motifs laisseraient présumer d'une période plus tardive. La représentation sur leurs corbeilles de plusieurs rouelles (que le spécialiste Gérald Gambier décrit comme la représentation symbolique du Christ), si caractéristiques de l'époque romane, conforterait cette seconde hypothèse. Étrangement, le support ne semble pas provenir des environs immédiats de l'église, la pierre accuse en effet une teinte jaunâtre inhabituelle. La table d'autel située dans l'abside droite et supportant aujourd'hui la statue de "Joseph à l'enfant" daterait également de l'époque primitive. Cette pierre, plate et rectangulaire, se distingue par un chanfrein sculpté d’un feuillage en rinceau. Cette table d'autel n'est pas sans rappeler celle qui garnit l'église de Cruas, plus travaillée. Le mur nord, toujours aveugle dans l'architecture romane, porte les traces de deux portes, probablement les vestiges du passage des moines depuis le prieuré voisin, permettant aux religieux d'entrer dans l'église sans passer par les extérieurs, en débouchant ainsi sur une probable tribune en bois, comme dans l'église de Payzac. Enfin, de magnifiques arcs doubleaux de plein cintre et un arc triomphal, point d'orgue de l'architecture romane, supportent l'ensemble, dont la coupole sur trompes, située à la croisée du transept, permet de glisser d'une construction carrée à un rehaussement octogonal plus étroit, pour accueillir la charge du clocher. Le premier étage de ce clocher présente de belles arcades géminées à fines colonnettes datant également de l'époque romane et posées en appui sur des chapiteaux inversés. Ce type de construction, peu usité, constitue une singularité en Vivarais.
En revanche, si le mobilier n'appartient pas à l'époque romane, sa description appelle quelques commentaires savoureux. La stèle ou le mausolée dédié à Jupiter et qui se trouve au fond de l'église aurait été mis à jour vers 1906 par le comte de Vogüé, demeurant alors à Rochecolombe et propriétaire de l'immense territoire qui couvre aujourd'hui les cinq communes alentours (2). Cette pierre serait un monument élevé par Lucius Valerius Martius en dévotion au Dieu suprême de l'Olympe (L'abbé Nougier ayant ainsi traduit les inscriptions (JOVI OPTIMO MAXIMO : A Jupiter très grand très bon…). Elle fut retrouvée dans un jardin plutôt éloigné de Sauveplantade pour être ramenée dans l'église. La stèle, érodée dans l'angle inférieur gauche transporte une curieuse légende : des mamans seraient venues marteler cette pierre afin d'en recueillir quelques fragments ajoutés dans les biberons de leur bébé pour les rendre plus… forts.
Le baptistère, décrit comme "un monument extrêmement précieux ", taillé dans un seul bloc rappelle "les coutumes conduites jusqu'au XIIIe siècle en Vivarais, au cours desquelles l'enfant était entièrement immergé le jour de son baptême". Les huit pans composant les bordures pourraient alors être interprétés comme le symbole liturgique du renouveau : dans l'arche, il est dit que huit personnes seulement ont survécu au déluge… Les spécialistes de l'art roman suggèrent que ce baptistère pourrait provenir de l'église primitive. Toujours à l'entrée de l'édifice, le bénitier est constitué d'une colonne romaine dédiée à l'Empereur Aurélien, surmontée d'un bassin en pierre jaune pouvant provenir de St Paul-Trois-Château, où l'un des de Vogüé était évêque.
Etrangement, le grand tableau restauré, de facture naïve, installé au fond de la nef rappelle que l'église est placée sous le vocable de St Pierre aux Liens, mais ici, c'est St Pierre apôtre qui y est représenté, avant son incarcération à Jérusalem. Si le coq illustre le reniement, les clés symbolisent l'ouverture des portes du paradis. Mais, à Sauveplantade, une autre histoire entoure l'église : les chaînes de Pierre, récupérées dans son cachot, ont été refondues et transformées en clés. Celles-ci auraient circulé dans toute la chrétienté, vénérées pour leur pouvoir de guérison. Sauveplantade aurait possédé l'une de ces clés, ramenée de Rome "par un riche et pieux pèlerin gallo-romain, Aginus, fondateur de Sauveplantade, qui pourrait avoir été ce pèlerin ". L'abbé Chapuis, curé de Vogüé, précise qu'une "clé guérisseuse", était détenue par l'un des habitants. C'était une pièce "formée d'une tige recourbée à l'extrémité, de façon à former un sceau assez informe et muni d'un manche en bois". Cette clé portée au rouge sur la braise était posée sur la tête des chiens susceptibles de véhiculer la rage… Le pauvre animal était ainsi marqué comme l'était autrefois les forçats.
Dans l'abside de droite, une pierre tombale rappelle l'inhumation en ce lieu de Pierre de Vogüé (1390/1469), capitaine du Roi pendant la guerre de cent ans, bailli du Vivarais. A ses côtés repose Antonin de Vogüé, peut-être son petit-fils, décédé en 1506. Le premier aurait fait construire le pont de pierre à deux arches situé à l'entrée du village et achevé seulement 200 plus tard, affublé d'une charpente métallique toujours existante. La cavité faisant office de crypte, est susceptible d'abriter également les dépouilles des trois religieux à l'origine de la construction de l'église, mais aucun renseignement ne circule sur ces vénérables moines bâtisseurs demeurés anonymes.
Le statuaire de l'église de Sauveplantade se distingue notamment par une vierge en majesté, teintée d'or et installée sur un socle surélevé afin d'éviter son pillage, ainsi qu'une statue de Saint Roch ayant animé l'histoire de l'église. Au cours de l'été 1884, une épidémie de choléra aurait frappé la région. Le curé de Sauveplantade fait alors le vœu d'ériger une statue de St Roch (guérisseur) sur le clocher de l'église si le village était épargné par la pandémie. D'après l'abbé Clovis Dupuy, historien local de Saint Germain, Sauveplantade fut épargné par la maladie. En remerciement, la statue du saint protecteur fut érigée sur le clocher de l'église mais abattue par la foudre en 1962. Le service des bâtiments départementaux s'opposa à sa réinstallation sur le clocher afin de ne pas dénaturer la construction originelle. Comme quoi…
Quant à la croix de bois qui orne le mur nord, il s'agirait d'un crucifix porté en procession par les pèlerins, comme l'attestent les supports de draperies équipant cette grande croix et rappelant les cérémonies de la "Confrérie du vénérable St Sacrement " qui existait déjà à Sauveplantade en 1680.
Sous le silence des voûtes romanes, un simple feuillet semble attendre au coin du maître autel. On y lit une poignante "Prière aux touristes" véhiculant au fond du cœur des sentiments étranges qui ne manqueront pas de vous impressionner.
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