L'Auberge sanglante de Peyrebeille

Article paru en juillet 2016
Mis en ligne en juillet 2022

Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Peyrebeille nous parle. D'abord au travers de la lourde atmosphère émanant des vieilles pierres de cette authentique demeure, mais aussi de manière plus artificielle lorsque les images du film de Claude Autant Lara "L'Auberge rouge"(1951), nous reviennent en mémoire. On y retrouvait avec plaisir un Fernandel hilarant dans la fameuse scène du moine recevant en confession à travers une grille de barbecue les aveux de la femme de l'aubergiste repentie.

Nous y sommes à Peyrebelle, face à l'auberge. La réalité nous frappe en plein visage. Les témoignages de l'histoire viennent bousculer notre conscience, pour nous rappeler qu'un drame, cruel, s'est déroulé ici, en 1833. Cette sinistre affaire pleine de mystères, de zones d'ombre et d'incertitudes nous interpelle. Et si les aubergistes étaient innocents. Oui voilà ce qui se dit, se chuchote ici, plus de deux siècles plus tard.

Il est difficile d'imaginer, aujourd'hui, le cadre dans lequel s'est déroulée cette histoire. Au début du XVIIe siècle, Lanarce est une petite bourgade du plateau ardéchois, la dernière étape avant Pradelle, et avant de s'aventurer dans l'immensité désertique du plateau ardéchois, battu par le vent... la burle. L'hiver, la malle-poste ne circule que quelques jours, lorsque la burle soufflant en rafale, n'a pas obstrué de ses congères géantes, la piste habituellement poussiéreuse. Par beau temps, quelques diligences s'avancent péniblement jusqu'à l'Auberge qui se dresse au milieu de la lande. Les équipages fatigués après l'ascension du col de la Chavade font halte ici, et les grandes portes de bois s'ouvrent doucement pour laisser entrer les convois. Tandis que les voyageurs fourbus pénètrent dans la grande salle, les chevaux regagnent les boxes le temps d'un bon repos. Dans la cuisine, Marie Breysse, la tenancière, fait cuire une soupe au lard dans un chaudron brûlant installé au centre du foyer de la cheminée. Les voyageurs s'approchent du feu, à la recherche d'un peu de chaleur.

Que s'est-il passé dans cette auberge entre 1805 et 1830 pour que l'histoire retienne ainsi, cet épisode tragique ? La rumeur fait état de voyageurs détroussés par les aubergistes, de l'assassinat de plusieurs personnes, enfin le mendiant Chaze, caché dans la grange, va déclarer devant les juges à Privas avoir assisté au meurtre d'Enjolras, un habitant de la région dont le corps est retrouvé au bord de l'Allier, la rivière proche. Les aubergistes Pierre Martin, son épouse Marie Breysse et leur commis de ferme Jean Rochette, dit "le mulâtre", sont arrêtés, incarcérés à Largentière, puis guillotinés le 2 octobre 1833, sur les lieux présumés de leurs crimes, le roi Louis-Philippe ayant refusé de leur accorder sa grâce.

Aujourd'hui, un monolithe dressé tout près de l'auberge, flanqué d'une croix de St-André, peinte en rouge, marque l'emplacement où les têtes des trois condamnés ont roulé dans le panier. L'auberge, dont la façade reste semblable à celle de l'époque, est devenue un lieu de visite très prisé. C'est dans un décor rustique qu'une voie caverneuse semblant surgir au travers des murs, conte par le détail les vols et les meurtres commis dans cette maison.

Mais qu'en est-il exactement ? De multiples ouvrages littéraires ont traité de cette affaire. La rumeur publique de l'époque et l'avalanche de plus d'une centaine de témoins s'exprimant en patois ont embrouillé l'affaire d'autant que les juges, parlant, eux, le français, ne percevaient pas tout des explications et autres commentaires. Deux éléments ont sans doute emporté leur conviction : la fortune inexpliquée, amassée par les aubergistes et le témoignage de Chaze, le mendiant resté introuvable durant tout ce temps, mais apparu spontanément le jour du procès, afin de témoigner à l'audience du meurtre d'Enjolras. En l'absence de preuves matérielles et scientifiques, il paraît bien difficile aujourd'hui de démêler les fils de cette funeste énigme judiciaire. "L'intime conviction", en l'absence de preuves matérielles probantes, reste le seul guide susceptible d'éclairer quelque peu notre jugement. La visite des lieux contribue à entretenir le doute et fait osciller les plateaux de la balance tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Le contexte de l'époque reste un élément déterminant, des faits similaires étant survenus quelques années auparavant un peu plus bas dans la vallée. L'aubergiste de l'Amarnier, Brun Louis dit "l'Enfer", accusé de vol et de meurtre sur ses clients, est guillotiné à Meyras le 2 août 1826. Montant dignement à l'échafaud dressé au quartier des plots, Louis Brun aurait prononcé comme dernières paroles : "Vous tuez l'Enfer, mais vous gardez le diable !". Nombreux sont ceux qui pensent qu'il avait percé le secret de Peyrebeille dont il fréquentait les patrons. Ses dernières paroles avant de mourir ont-elles influencé les juges en charge du procès des aubergistes de Peyrebeille survenu sept ans plus tard ?
Auberge de Peyrebeille
07660 Lanarce
(RN 102, route du Puy, à 6 km après le village de Lanarce)
Texte et clichés : Henri Klinz