L'arrivée de l'électricité en Ardèche

Article paru en mai 2015
Mis en ligne en juillet 2022

Les premiers grands réseaux de distribution d’énergie électrique n’apparaissent en France que vers 1920, et… toute l’histoire de l’électrification tient en moins de 20 ans. Enfin, c’est du moins ce que les experts de l’époque espéraient.
 

Dans les faits, la situation est plus nuancée. Un clivage apparaît en effet dès le début de l’électrification entre les villes et le monde rural isolé, naturellement plus en retard. Ainsi en Ardèche, certaines petites bourgades, telle St Andéol-de-Berg, devront attendre l’été 1956 pour bénéficier de l’électricité.
En réalité, le département de l’Ardèche se heurte dès l’apparition de la nouvelle force énergétique à deux problèmes majeurs : l’économie de marché et sa capacité de production.

Avant l’arrivée de l’électricité, la majeure partie des maisons ne disposait que d’un seul point fixe de lumière, installé généralement dans la cuisine, parfois dans le salon, pour les demeures bourgeoises. Cette lampe située au plafond, appelée « lampe à gaz » était alimentée par une bouteille de gaz butane munie d’un détendeur conduisant le fluide jusqu’au plafonnier par un tube de cuivre. Chacun devait craquer une allumette pour éclairer la flamme en prenant soin de ne pas détériorer le fragile manchon qui permettait d’obtenir une lumière blanche au centre de la pièce. Dans le reste de l’habitation était utilisée la célèbre lampe « pigeon », posée mais néanmoins plus mobile, alimentée au pétrole et dont la flamme était protégée par un tube de verre. Pour des besoins plus fonctionnels et transporter la lumière la lampe-tempête était privilégiée.
Cet équipement était plutôt utilisé pour les déplacements de nuit, pour le travail en extérieur ou par les paysans lorsqu’ils devaient par exemple, se rendre à l’étable pour la traite. C’est dire la révolution occasionnée par les premières installations électriques en 110 volts dans les habitations où il suffisait d’appuyer sur un commutateur pour obtenir la lumière ! Dès lors, des tubes métalliques gris, pliables, dans lesquels se logent les fils électriques entourés de papiers goudronnés ou de toile, serpentent le long des murs jusqu’à la « tabatière » de porcelaine blanche. Dans les campagnes, une mutation considérable apparaît : le courant triphasé permet dorénavant de faire tourner des scies à bois, sortant de l’esclavage les célèbres scieurs de long.

En matière d’électrification, on parle d’un ensemble indissociable comprenant : la production, le transport et la distribution de l’énergie. Dès son apparition sur l’économie de marché, l’électricité devient une marchandise avec sa notion unitaire de kw/h au même titre que le litre, le kilo, le mètre cube, etc. Son commerce, basé sur l’offre et la demande, s’appuie sur une notion d’économie élémentaire : la fabrication d’une marchandise ne peut perdurer qu’à condition d’être vendue à un nombre suffisant d’acheteurs. Par ailleurs, l’écoulement de cette marchandise doit s’effectuer sans discontinuité du fait que le courant alternatif ne peut être stocké. Le nouveau marché entre le producteur et le consommateur demande un investissement important. Outre la création des équipements industriels pour les centrales (turbines, générateurs, etc.), la réalisation d’un réseau de distribution demande un investissement humain considérable. Les poteaux, initialement en bois, sont dressés à la main à l’aide de chèvres, à travers tout le département jusqu’au sommet des montagnes. Les câbles sont tendus à l’aide d’un treuil. L’outillage est le plus souvent transporté à dos d’homme. Les entreprises sont insuffisantes d’autant que l’investissement financier doit faire appel à de gros capitaux issus de sociétés importantes qui n’existent pas en Ardèche au début de l’électrification. Ainsi, dès le début du XXe siècle, le département accuse un retard important, retard qui s’accroît encore lors des interruptions occasionnées par les deux conflits mondiaux survenant en plein développement industriel.

Par ailleurs, la capacité autonome de production d’électricité est médiocre. Malgré des régimes torrentiels, les rivières ont un débit faible et irrégulier. Les usines hydroélectriques n’ont en Ardèche qu’une puissance inférieure à 200 cv, nettement insuffisante pour électrifier correctement tout le département. Il faut donc acheter le courant électrique aux départements voisins, notamment à celui de la Loire.
Face à une telle situation, les autorités réagissent. L’État s’engage et encourage les sociétés à investir. La CNR (Compagnie Nationale du Rhône) dresse des usines sur le grand fleuve, c’est le cas par exemple à Beauchastel où l’unité de production équipée de six turbines est toujours si active. Des particuliers se lancent également dans la production et la vente d’énergie à partir de microcentrales installées sur les petites rivières. Certains cantons comme Burzet font office de pionniers en la matière et Montpezat devient figure de proue du développement économique industriel en matière d’électricité.

En moins d’un siècle, le département de l’Ardèche donné perdant dans la bataille de l’électricité a comblé son retard et a devancé les autres départements. L’énergie nucléaire (avec l’unité de Cruas-Meysse) venant en complément, le département de l’Ardèche est aujourd’hui excédentaire, produisant trente fois plus d’électricité qu’il n’en consomme.
 
Texte et clichés : Henri Klinz