L'année 2017 marque le 40ème "anniversaire" de l'affaire Conty. Pour la jeune génération cette histoire n'évoque rien ou alors par le récit des anciens, mais pour leurs parents et grands-parents, le nom de Pierre Conty rappelle un douloureux fait divers survenu au cours de l'été 1977 et toujours présent dans les mémoires, dont celle du jeune gendarme, Henri Klinz, sorti sain et sauf d'une des fusillades, miraculé même, peut-on avancer.
Pour MA BASTIDE, Henri Klinz, rescapé de la fusillade de St André-Lachamp, nous rappelle le déroulement des faits et livre ici quelques étonnantes révélations obtenues après 35 ans d'une contre-enquête discrète, réalisée en marge de l'institution judiciaire.
La violence des tueries, l'importance des moyens mis en œuvre pour retrouver les auteurs, les résultats décevants, le silence des autorités et surtout le voile obscur qui a plané sur cette affaire ont contribué à entretenir dans l'esprit du grand public, un climat malsain de suspicion.
L'affaire débute à Villefort (48) le 24 août 1977. Trois individus Pierre Conty, Stéphan Viaux-Péccate et Jean-Philippe Mouillot braquent l'agence du Crédit Agricole de Villefort. Ils ont repéré les lieux deux jours auparavant et sont armés d'un pistolet-mitrailleur, d'un révolver et de plusieurs fusils. Les deux premiers individus pénètrent dans l'établissement tandis que le troisième homme attend dehors, au volant d'une Citroën DS de couleur noire, volée la veille à Anduze. Ils agissent à visage découvert, le foulard posé tant bien que mal sur leur face ayant une fâcheuse tendance à glisser… Les deux malfaiteurs dérobent 51.172 francs de l'époque, soit près de 8.000 euros. Ils agissent sans violence et après avoir enfermé le personnel de l'agence dans les toilettes, ils quittent tranquillement les lieux à bord de la DS en direction de l'Ardèche. Ils n'ont qu'une idée : rejoindre leur tanière au hameau de Rochebesse, à Chanéac, près de St Martin de Valamas. C'est là qu'ils habitent au sein d'une communauté à vocation agricole qui fera beaucoup parler d'elle, regroupant des néo-ruraux anarchistes, politiquement très engagés. Les relations de voisinage entre ces jeunes "hippies" et les agriculteurs alentours se sont vite dégradées. Les deux générations sont entrées en conflit, car les nouveaux venus se sont approprié des terres réputées abandonnées argumentant que… " La terre appartient à celui qui la travaille ".
On retient du braquage du Crédit Agricole de Villefort deux anecdotes. L'un des malfaiteurs, face au maigre butin va s'exclamer : "On a été mal renseigné !" (Personne ne posera jamais la question de savoir qui les a renseignés ?) et le caissier qui, probablement dans l'affolement, va déclarer lors du vol des billets dans son tiroir caisse : " Ne prenez pas ceux-là, ils sont marqués, c'est bon qu'à vous faire prendre ! "…..
C'est sur le chemin du retour par les petites routes tortueuses des Hautes-Cévennes ardéchoises que l'affaire dérape. Il est presque 17 heures. Pierre Conty et Stéphane Viaux-Péccate se sont séparés du troisième homme qui les rejoindra bien plus tard. Ils espèrent se débarrasser de la DS encombrante dans le secteur de St André-Lachamp, près de Joyeuse. C'est un endroit très isolé, désertifié, au relief accidenté, l'endroit idéal pour y abandonner discrètement leur voiture. Mais dans le chemin étroit qui descend dans le hameau isolé de Charrus, Conty et son lieutenant croisent incidemment une patrouille de gendarmes à bord de leur Estafette, mais ces derniers ignorent les événements survenus dans le département voisin. Les malfaiteurs décident de se frayer un passage en éliminant les témoins. Une fusillade éclate. Le jeune gendarme Dany Luczak, venu de l'Escadron de Gendarmerie Mobile de Bellay, en renfort pour l'été à la brigade de Joyeuse, est atteint d'une rafale de pistolet-mitrailleur à l'abdomen. Le gendarme KLinz, quant à lui, doit la vie à Stéphan Viaux-Péccate qui le tient un instant en respect mais décide de l'épargner en le laissant partir. En fait, ce militaire ignore que Pierre Conty a tenté de tirer une seconde rafale de pistolet-mitrailleur dans sa direction pour l'abattre mais la septième cartouche vient d'exploser dans la chambre, enrayant l'arme du tueur, sauvant ainsi miraculeusement la vie d'Henri, notre jeune gendarme. Les malfaiteurs dérobent les pistolets des deux militaires et prennent la fuite à bord de leur DS noire.
Ivres d'adrénaline, les malfrats n'ont plus qu'une idée : rejoindre au plus tôt leurs familles à Rochebesse pour y trouver du secours et prendre la fuite. La fusillade de Charrus qui pourtant n'a duré que quelques secondes va déclencher l'alerte et déployer des barrages sur les routes ardéchoises. Conty roule à tombeau ouvert, emprunte les petites routes désertiques passant par Ribes, Rocles, Joannas, pour déboucher à Rocher où il entame l'ascension du col de la croix de Millet, via Prunet, pour tenter de redescendre par l'autre versant vers Jaujac. Dans la montée du Col de la croix de Millet, la DS noire tombe en panne d'essence, Conty place alors la voiture en travers de la chaussée et avec Viaux-Péccate, attendent la prochaine voiture pour se l'accaparer. C'est Jean-Baptiste qui, au volant de sa 204 Break blanche, rentrant tranquillement de Rocher, en fera les frais. Le conducteur est intercepté sous la menace du pistolet de Conty et conduit dans le bas-côté de la route, sous les fourrés où il sera abandonné, sain et sauf, mais non remis de ses émotions. Les deux compères repartent par Jaujac et se dirigent vers Pont de Labeaume ou un drame affreux va se dérouler.
Débouchant sur la RN 102 à Pont de Labeaume, plus d'une heure après la fusillade avec les gendarmes, Pierre Conty et Stéphan Viaux-Péccate tentent de rejoindre La Bastide-Sur-Besorgues en tournant à droite après le Pont de Rolandy, afin de se faufiler dans la vallée de la Fontaulières, puis se glisser ensuite dans la vallée de la Bourges. Mais les gendarmes ont dressé un barrage à l'autre bout du pont. A la vue des képis, Conty réalise un spectaculaire demi-tour au frein à main, sur la chaussée, à l'entrée du pont et repart en direction de Pont-de-Labeaume où les deux malfaiteurs tentent de fuir par la petite route de Niègles. Sur cette route très étroite, ils entrent en collision avec la voiture de Roland Malosse (fils) accompagné de Michel Veyrenc, habitant tous les deux le village. Derrière eux, Cyprien Malosse (père), arrive en voiture, revenant de relever ses casiers de ruches. Conty abat froidement Cyprien Malosse et son fils de plusieurs balles dans la tête, tandis que Michel Veyrenc parvient à leur échapper. Les deux malfaiteurs dérobent la voiture d'une des victimes, et regagnent leur fief de Rochebesse qui deviendra l'épicentre de divers rebondissements judiciaires.
Des moyens considérables pour l'époque seront mis en œuvre pour tenter de retrouver les fuyards malgré quelques "couacs" dans la répartition des effectifs sur le terrain (les militaires de l'Escadron de Gendarmerie Mobile de Bourg St Andéol, demandés en renfort vers 19 h, seront en place à partir de minuit seulement !). Dans les départements limitrophes, des patrouilles sont lancées sur les axes principaux et secondaires, un hélicoptère venu de Bron, participe aux recherches. Des unités d'élites, notamment l'OCRB (Office Central de Répression du Banditisme) et la BRI, (Brigade de Recherches et d'Interventions), venues de Paris prennent pied à Joyeuse et à Privas pour se lancer sur la piste des fuyards.
Pour l'heure Pierre Conty et son complice vont bénéficier de l'appui des néo-ruraux de la communauté de Rochebesse, dont "Pierrot" est le leader. A peine arrivé, Stéphan Viaux-Péccate, après avoir changé de vêtements, souillés du sang des victimes, se fait conduire à la gare SNCF de Valence, regagne Paris afin d'y récupérer de l'argent dans son appartement, redescend en train à Marseille et s'envole pour l'Afrique du Nord avant de rejoindre le Mali. Il sera interpellé plus tard, en Hollande, alors qu'il revient en Europe pour tenter de retrouver Pierre Conty qui a quitté la France. Quelques mois plus tard, Jean-Philippe Mouillot va se constituer prisonnier à Paris. Quant à Pierre Conty sa destination restera à jamais inconnue des enquêteurs et de la justice jusqu'à ce que plus de 30 ans plus tard, le gendarme rescapé de la fusillade de Charrus, Henri Klinz, ne parvienne à recomposer son itinéraire de fuite et à retrouver sa trace…
Le gendarme Dany Luczak décède des suites de ses blessures, 28 jours plus tard, à l'hôpital de Montpellier. Il est inhumé au cimetière de Cabannes (13) où réside sa famille.
Le 20 mai 1980, un étrange procès à fort retentissement médiatique et aux multiples rebondissements s'ouvre à Privas. Jean-Philippe Mouillot est condamné à 5 ans de prison. Stéphan Viaux-Péccate défendu par quatre avocats dont Robert Badinter futur ministre de la justice, écope de 18 ans de réclusion criminelle (il en purgera 12). Le principal intéressé Pierre Conty, resté introuvable, est condamné à mort par contumace.
Mais le jugement de Privas n'avait pas apporté de réponses satisfaisantes aux interrogations des Ardéchois qui percevaient un étrange malaise enveloppant cette affaire. L'intervention de familles aisées et influentes, les noms de personnalités politiques évoqués sous le manteau, des procédures judiciaires antérieures classées, le silence des autorités, ramenaient inlassablement les mêmes questions : Pierre Conty a-t-il bénéficié de protections ? Qu'est-il devenu ? Est-il encore vivant ?
Un grand vide occupait désormais l'espace et l'affaire avec le temps aurait dû en rester là, recouverte du voile de l'oubli. Mais six mois plus tard des événements aussi violents qu'imprévus venaient relancer le mystère Conty, bousculant l'ordre établi. L'affaire allait désormais échapper aux autorités ardéchoises prenant avec le terrorisme international et les attentats de Paris un nouveau visage.
Et comme l'Histoire est faite d'une succession d'événements…
A suivre : L'affaire Conty - 2ème partie.