L'Affaire Conty - 3ème partie

Article paru en septembre 2017
Mis en ligne en juin 2023
Dans ses numéros de mai et de juin, MA BASTIDE vous a offert un aperçu de l'affaire Conty, vécue de l'intérieur. Et c'est face à vos nombreuses réactions et devant l'affluence de vos témoignages, que notre magazine, après la pause estivale, a décidé de revenir plus en détail sur le sujet, afin de vous rapporter des faits inédits. Non pas de manière romancée, mais d'après des témoignages réalisés sous serment devant le juge d'instruction, des examens techniques et balistiques, des rapports d'experts, des éléments de preuves matérielles, des rapports de police, des confidences de magistrats et d’avocats, etc.… tels qu'ils ont été amassés par le gendarme Klinz au cours de sa contre-enquête.
 
L'enquête judiciaire (Première partie)
 
Au soir du 24 août 1977, lorsque l'alerte fut diffusée sur les fréquences de la gendarmerie, l'effervescence était à son comble. Les effectifs en repos furent rappelés, des moyens aériens et le concours de la gendarmerie mobile viennent appuyer la gendarmerie départementale. L'agression sur les gendarmes de Joyeuse et la mort de Cyprien et de Roland Malosse à Pont de Labeaume avaient occasionné un véritable séisme parmi la population.
 
Le lendemain soir, au journal télévisé, le présentateur Gérard Holtz annonçait à l'écran, alors en noir et blanc, la tuerie survenue la veille dans le département. La presse parisienne s'emparait de l'affaire en titrant : "Les tueurs fous de l'Ardèche". Le calme de l'actualité estivale offrait aux médias l'occasion de rameuter leurs effectifs dans le département. Derrière le fer de lance de la télévision, Paris-Match, Détective, Europe 1, RTL, etc. …ainsi que la presse étrangère, venaient s'abreuver au drame ardéchois.
 
En coulisse, Police et Gendarmerie s'activaient sous les directives des états-majors de Lyon et de Montpellier, pilotés depuis Paris. Mais l'affaire avait dès le départ, pris une vilaine tournure. Les officiers et gradés de gendarmerie, peut être mal préparés à de tels évènements, nageaient en pleine panique. Dans l'affolement, personne n'avait pensé à informer le Procureur de la République, seul directeur de la Police Judiciaire (1) dans son département. Le haut magistrat, prévenu le lendemain après-midi seulement, décida, à titre de représailles, de dessaisir la Gendarmerie et de confier l'enquête à la Police Nationale. Ce fut pour l'institution militaire un énorme camouflet. La gendarmerie, qui venait de perdre l'un des siens et pourtant, seule compétente en milieu rural, était écartée de l'enquête. La panique était telle chez les militaires, que même dessaisis de l'affaire, des gendarmes non informés par leur hiérarchie continuaient de poursuivre des investigations sur le terrain, et de réaliser des actes de procédure devenus caducs…
 
Pendant que la gendarmerie "lavait son linge sale", des inspecteurs venus des Services Régionaux de Police Judicaire (SRPJ) de Lyon, de Montpellier et de l'Antenne d'Avignon convergeaient vers l'Ardèche, bientôt appuyés par leur unités parisiennes d'interventions : l'Office Central de Répression du Banditisme (OCRB), ainsi que la célèbre Brigade de Recherches et d'Intervention (BRI), plus communément appelée L'antigangs et qui deviendra plus tard le RAID.
 
La tâche était immense. Les policiers devaient travailler sur plusieurs sites à la fois : les inspecteurs des SRPJ investiguaient à Villefort (lieu du hold-up initial) - à St André-Lachamp (lieu de fusillade avec les gendarmes) - à Pont de Labeaume (lieu du meurtre des Malosse) et se déplaçaient au fur et à mesure des renseignements vers Chanéac (lieu d'implantation de la communauté néo-rurale de Pierre Conty), puis St Julien-Chapteuil (lieu de découverte des armes et du véhicule abandonné), et plus tard dans la Drôme (lieu de passage de Pierre Conty ainsi que de son lieutenant). Pendant ce temps, les gros bras de l'OCRB et de la BRI battaient la campagne à la recherche des fuyards. La psychose dans la population ardéchoise était telle, que "la bande à Conty " était signalée partout, nécessitant chaque fois le déplacement des superflics. Ils intervenaient sur chacun des appels, de jour comme de nuit, car tout le monde disait avoir vu passer les malfaiteurs dans l'Ardèche, également en Lozère et dans la Haute Loire où une importante opération de ratissage nécessitant près de 150 gendarmes s'était déroulée sans succès. La nuit suivante un fourgon circulant tous feux éteints, signalé à la limite de l'Ardèche et la Haute-Loire également, mobilisa des effectifs importants : fausse piste !
 
Quelques-uns de ces policiers d'élite avaient pris pour base la brigade de Gendarmerie de Joyeuse pour en faire un lieu de regroupement. Le soir, de retour de mission, ils déposaient leurs armes dans l'armoire forte de la brigade, mais le râtelier n'y suffisait pas. Le nombre d'armes que possédaient les inspecteurs était tel qu'il fallait les entasser à même le sol. Chaque policier portait deux révolvers à la ceinture. La police détenait déjà des armes non commercialisées et fabriquées spécialement à leur intention : fusil à lunette avec visée nocturne, fusil sur affut posé en appui sur une portière de voiture, permettant de tirer en rafale au cours d'un dépassement, etc…
 
Ce déploiement de force et l'arrivée massive des journalistes dans les campagnes augmentaient encore le climat de psychose. Un temps (ayant appris le meurtre des Malosse, agriculteurs comme eux), les paysans se barricadèrent chez eux, le fusil posé la nuit au pied du lit.
 
La première mission des enquêteurs fût de recueillir les indices matériels trouvés sur chacun des sites (Villefort, Charrus, Niègles, ect..), et de regrouper les auditions des principaux témoins en vue d'asseoir les éléments de l'enquête et de retrouver la trace des fuyards. Mais ce fut le vide. Personne ne reconnut les malfaiteurs et les enquêteurs ne disposaient d'aucun indice matériel pour débuter les recherches dans telle ou telle direction. Ce fut la découverte d'une paire de lunettes de soleil, retrouvée sur le siège de la 204 volée à Jean-Baptiste dans la montée du col de la croix de Millet et abandonnée sur les lieux de la tuerie à Niègles, qui lança les enquêteurs sur la piste des fuyards. Une empreinte digitale exploitable apparaissait sur le verre intérieur droit, laissée au moment où l'un des malfaiteurs avait promptement retiré ses lunettes avant d'ouvrir le feu sur les Malosse. Il fallait rapidement "faire parler" cette empreinte avant de se lancer sur la piste des fayards. L'objet fut transporté au laboratoire de police scientifique de Montpellier où un technicien identifia l'empreinte comme appartenant à un certain Pierre Conty, né en 1946 et demeurant à Chanéac (Canton de Saint Martin de Valamas -07). La chasse à l’homme était lancée…
 
A suivre : L'affaire Conty - 4ème partie.​​​​​​​
 
(1) Le terme Police Judicaire désigne à la fois les missions d'investigations en vue de rechercher les auteurs de crimes ou délits ainsi que les personnels chargés de ces missions. Police et Gendarmerie sont placées sous l'autorité du Procureur de la République, "directeur " de la police judiciaire. Les fonctionnaires de la Police Nationale et les militaires de la Gendarmerie agissent selon les directives du Procureur de la République et rendent compte de leurs investigations à ce magistrat.
Texte : Henri Klinz
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