François-Léonce Verny

Article paru en février 2016
Mis en ligne en juillet 2022
Cela se passait à la fin du XIXe siècle et le Japon, ce pays lointain, honore toujours et chaque année la mémoire de cet homme. Indirectement François Léonce Verny influença l’histoire et l’organisation du Japon moderne. Cet ingénieur hors pair, né à Aubenas et décédé à Pont-d’Aubenas, fit de l’arsenal de Yokosuka un exemple dont s’inspirèrent les autorités nippones pour donner naissance au Japon d’aujourd’hui…

Pour bien comprendre le parcours étonnant et exceptionnel de François-Léonce Verny, que ses descendants nomment plus sobrement Léonce Verny, il faut avant tout se pencher quelques instants sur la situation politique et sociale du Japon au milieu du XIXe siècle. Face à l’installation et au prosélytisme des Jésuites, les seigneurs japonais influents de l’époque opposèrent un blocus de leur île. Tout commerce était condamné ou strictement réglementé et interdiction était faite de construire des bateaux de plus de trente-six tonneaux, l’équivalent actuel d’un gros chalutier. Ainsi l’isolement du Japon était garanti, ce qui n’empêchait pas sa société d’avancer. Ce furent les Américains qui imposèrent aux seigneurs tenant le pays entre leurs mains, d’ouvrir les ports aux échanges commerciaux. Les tensions étaient très fortes, et conscients de la menace réelle d’un conflit qui naîtrait de leur refus, ces seigneurs acceptèrent et un premier port se développa dans la baie de Tokyo, à Yokohama. À noter qu’au milieu du XIXe siècle, les vers à soie du Japon étaient indispensables aux filatures ardéchoises puisqu’il était le seul à résister à la pébrine, maladie causée par un champignon et décimant les élevages. Avec cette ouverture au monde, le Japon voulut posséder rapidement un arsenal et sa propre flotte navale… Parallèlement, de nombreux entrepreneurs français s’étaient installés au coeur de la concession étrangère de Yokohama, justifiant bientôt l'installation d'une Légation de France. Voilà planté le décor.

Léonce Verny, puisque c’est ainsi qu’il convient de le nommer, est né à Aubenas, dans une maison près de l’actuelle place du Champ de Mars, le 2 décembre 1837, d’Amédée Verny, famille originaire de l’Hérault, et de Thérèse Blachier. Les liens familiaux de ses ancêtres s’entremêlent entre les usines de draps, les filatures et les papeteries. Un arbre généalogique assez complexe en témoigne. Mais n'étant pas l’aîné de la fratrie, il ne suit pas le chemin des usines familiales. Après quatre années à l’école des Jésuites à Aubenas, un précepteur lui apprit à domicile. Puis il gagna un lycée lyonnais et prépara Polytechnique. Enfin, il intégra l’école brestoise du Génie Maritime. "Léonce n’était sans doute pas un élève exceptionnel, mais il était au-dessus de la moyenne, explique Alain Chevalier, son arrière-petit-fils. Il sut tirer profit de ses études pour suivre la voie maritime, car la construction navale était en pleine révolution à cette époque, avec l’arrivée de l’hélice et de la machine à vapeur." Les bateaux n’hésitèrent plus longtemps entre la voile et le moteur, et Léonce Verny accompagna cette mutation.

Son passage à l’arsenal de Brest en 1860 fut remarqué, s’occupant des machines à vapeur, du réglage des boussoles, de l’aménagement de l’école des mousses, de la paie des ouvriers, de la réception générale des marchandises. Bref, un ingénieur à tout faire et habile en tout. " Il fut un exemple remarquable de la qualité de sa formation, poursuit Alain Chevalier. À Polytechnique on le met au rang des grands anciens." Deux années plus tard, ses compétences reconnues le poussèrent jusqu’en Chine, à Ning-Po. Il fut chargé de la construction de quatre canonnières destinées à aider le gouvernement chinois dans sa lutte contre les révoltes le long des fleuves, au sud de Shanghai. Sa mission fut un succès et ses supérieurs l’encensèrent.

Plus tard, un accord entre le Japon et la France lui fit pousser plus loin vers l’est, son voyage en Asie. Toujours missionné, il fut chargé d’imaginer et de réaliser un arsenal dans la baie de Tokyo. Il fut alors détaché de la Marine française pour être placé sous la responsabilité des autorités japonaises. Il trouva le site, rédigea en quelques semaines un avant-projet, organisa le chantier. Il sut surtout s’entourer d’une quarantaine collaborateurs compétents. L’aventure débuta en 1865 et quatre ans plus tard, l’essentiel de l’arsenal était en fonctionnement. " Yokosuka est véritablement né des travaux de Léonce Verny, affirme Alain Chevalier. Avant ce n’était qu’un village, aujourd’hui c’est une ville de 450 000 habitants. Même l’empereur du Japon, qui ne sortait pas beaucoup en public, vint visiter le chantier de l’arsenal en 1872. Et si des interprètes étaient présents, on suppose que Léonce Verny avait appris la langue." Les innovations dans les méthodes employées pour la construction de cet arsenal furent citées ultérieurement dans les cours du Génie Maritime, preuve que Léonce Verny était l’homme de la situation. Durant sa présence, il formera également les premiers ingénieurs nippons, assurant la naissance de l’industrialisation locale dont on connaît aujourd’hui le résultat…

L’influence du travail mené par cet homme sur l’organisation du Japon moderne fut considérable. Il fut à l’origine du service des Eaux et Forêt local, notamment pour ses besoins d’approvisionnement en bois. Il introduisit le système métrique, l’horloge pour rythmer les journées de travail. Il fut à l’origine des Ateliers du Gouvernement à Yokohama et y installa la première fonderie. Il fit ériger six phares pour baliser la baie de Tokyo. Il va même introduire l’usage de la brique de construction au Japon... De l’arsenal originel, il ne reste que quelques bassins ; le site ayant été bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais la mémoire de Léonce Verny, vivace, perdure toujours sur place. À son retour du Japon, Léonce Verny se retrouve sans projet d’envergue, aucune mission ne lui fut confiée. Il réalisa quelques audits dans les usines lyonnaises fournissant la Marine, rien de bien excitant pour un "bâtisseur" tel que lui. Il démissionna de la Marine. Il prit la direction des "Mines de Roche-la-Molière et Firminy" dans la Loire et y restera dix-huit ans. Dans ce domaine d’activités, il y développa une politique industrielle fortement teintée de paternalisme. Il siégea à la Chambre Commerce de Saint-Étienne et reçoit la Légion d’honneur après avoir été fait au Japon, Grand Officier de l’Ordre du Soleil Levant… Il prit sa retraite à Pont-d’Aubenas en 1895, soutiendra efficacement la construction de l’église, proche de sa propriété et décèdera le 2 mai 1908.
Ainsi s’achève l’histoire de cet homme de génie, oublié, méconnu ici, mais honoré chaque année au mois de novembre en grande pompe autour de sa statue trônant sur le port de Yokosuka.  
 
A ses côtés
Dans cette aventure japonaise, Léonce Verny ne fut pas seul, il fut entouré de collaborateurs précieux. Son jeune cousin, Émile de Montgolfier, l’accompagnait en qualité officielle de comptable, mais en réalité il remplit parfaitement le rôle du photographe. Si les plaques de verre de centaines d’images du Japon en devenir, semblent s’être égarées à Annonay, les tirages papier, aujourd’hui fort heureusement numérisés, témoignent du travail et de la vie quotidienne autour de l’arsenal et de Yokosuka. Son principal adjoint était César Thibaudier. Ingénieur de talent, il fit une belle fin de carrière à l’arsenal de Brest, et devint son beau-frère. Un autre ingénieur du Génie Maritime, Émile Bertin, lui succéda sur place, un peu plus tard. Et aussi à ses côtés,  le docteur Paul Savatier qui, hormis ses compétences en matière de médecine, était tout autant un botaniste de renom. Il effectua une étude sur la flore du Japon avant de devenir, dans les années 1880, le premier explorateur de la flore de Patagonie.
 
L’eau Verny au Japon
L’eau de source qui fut autrefois captée pour les besoins de l’alimentation en eau du chantier de l’arsenal, est aujourd’hui mise en bouteille et commercialisée sous le nom "Eau de Berny", le "V de Verny" étant un lettre absente de l’alphabet japonais.
 
Pour tous renseignements 
Alain Chevalier
chevalier.alain.jme@gmail.com
 
Texte et clichés : Bruno Auboiron