L’élégance prédomine autour de l’église romane de St julien du Serre. Mais derrière ce charme discret, des interrogations demeurent pour tenter d’expliquer les énigmes de l’art roman qui habitent le superbe édifice.
Malgré une architecture de facture classique, quasi conventionnelle de la période romane, çà et là, de mystérieuses décorations retiennent l’attention. A la manière d’un "Da Vinci Code" d’étranges figurines et d’obscurs symboles accompagnent notre cheminement lors de la visite.
A peine arrivé, (le parking est tout proche) près de l’abside une première énigme surgit : le mystère du sixième pilier. Où se trouve le dernier pilier de l’extrémité nord de l’abside circulaire ? Aurait-il été "fondu " dans le mur de la chapelle dédiée à la Vierge Marie ? Peu probable ! D’abord parce qu’il n’apparaît même pas à l’intérieur de l’église et qu’ensuite, les bâtisseurs "contemporains" (1510) n’auraient probablement pas osé emmurer un tel vestige de l’art roman. Existerait-il une contre-cloison où un passage dissimulé derrière l’autel de la Vierge ? Il est impossible en l’absence d’examens techniques de répondre aujourd’hui à cette interrogation, mais nous verrons peu à peu, au cours de notre voyage sur la route des églises romanes (notamment à St Jean-de-Poucharesse) qu’il existe souvent au fond du chevet, une double-cloison derrière laquelle, se cachent bien des secrets.
Quant à la pierre de remploi que l’on aperçoit toujours depuis l’extérieur, sur l’arcature de grès entre le cinquième et le sixième pilier de l’abside, son symbolisme vient récemment d’être identifié par Gérald Gambier, spécialiste de l’iconographie romane. On y découvre "les ailes de l’âme", symbole du renouveau de la pensée chrétienne, qui va guider le cheminement théologique au cours des premiers siècles du second millénaire où une autre manière de penser se développe : l’Homme dans son aspect animal court vers la conversion et des ailes le poussent vers cette nouvelle vie dans laquelle le temporel est délaissé. Il s’enrichit de spiritualité pour gagner le ciel et son parcours le conduira à la vie éternelle. Ainsi la pierre sculptée de l’église de St Julien du Serre, apparaît aujourd’hui comme une école pédagogique de la nouvelle "Eglise" médiévale. Elle traduit à elle seule, l’esprit roman, même si Michel Joly laisse présumer que cette pierre pourrait être un vestige issu d’une église primitive d’avant l’an mille et figurant "deux paons héraldiques adorant la croix, motif venu d’Arménie ".
Le portail ouvert au nord, est d’une amplitude remarquable, porté par cinq voussures carrées reposant sur de solides tailloirs couvrant des chapiteaux ouvragés où l’on retrouve les thèmes du feuillage, de la femme-oiseau, et une énigmatique tête d’homme. L’intérieur, dont la restauration a été savamment menée, permet de découvrir la richesse des sculptures ornant les chapiteaux romans que l’on retrouve également à l’extérieur. Si leurs piliers engagés ont une fâcheuse tendance à s’incliner vers l’extérieur, c’est uniquement en raison du poids de la tribune ajoutée à la construction initiale au XVIII
e siècle et qui n’avait pas été pris en compte par les bâtisseurs du XII
e siècle. Au fil des ans, cette surcharge a exercé une poussée magistrale sur les murs gouttereaux. A leur sommet, les chapiteaux historiés se lisent de droite à gauche. La feuille d’acanthe et de manière générale le feuillage, symbole évocateur de la vertu y sont largement représentés. Une insolite scène de l’annonciation figure sur l’un des chapiteaux sans que l’on puisse expliquer pour quelle raison, l’ange Gabriel y est représenté assis ! St-Julien-du-Serre serait-elle la seule église romane de France, à posséder une telle représentation ? En face, le symbolisme de l’esprit roman apparaît à nouveau dans toute sa force. Deux hommes, des acrobates, se détachent nettement. Le sculpteur veut nous montrer nos vices et nous invite à travers ce symbole à une conversion intérieure ; le retournement. Plus loin apparaît une guivre (sorte de dragon, l’une des forces ennemies décrite dans l’apocalypse de St Jean) qui semble vouloir avaler un homme, dont il a déjà englouti une jambe, symbolisant la lutte de l’homme attiré vers le mal, et empêché dans sa conversion. Mais cette scène peut aussi être interprétée différemment comme le propose Marc Reynier : "l’homme s’échappe du monstre, symbole de l’enfer, pour aller vers le cœur de l’église, symbole du bien et de la vie éternelle ". Ailleurs, une Sirène, femme-oiseau immortalisant la tentation, se débat entre des lianes enchevêtrées du feuillage, symbole de vertu pour retrouver sa conscience et fuir son animalité.
A St-Julien-du-Serre, il en est ainsi des symboles romans, héritage des moines bénédictins de Cluny, la plus grande "Eglise" du monde à cette période, mais dont il ne reste plus aucune trace des enseignements. L’interprétation des sculptures lapidaires demeure encore énigmatique, même si "la composition des images religieuses n’est pas laissée à l’inspiration des artistes ". Derrière l’exécutant se cache un moine, véritable maître d’école en charge de l’enseignement des fidèles, usant de la pédagogie artistique pour faire passer le message de l’évangile à travers des symboles forts.
Outre les chapiteaux historiés qui font la singularité de l’église de St-Julien-du-Serre, des traces discrètes de litres funéraires apparaissent près de l’escalier conduisant à la tribune. Cette bande noire qui ceignait tout l’intérieur de l’édifice n’appartient pas à la période romane. Elle est estimée du XVII
e siècle. On y distingue encore les armes de la famille D’Ornano, dont Jean-Baptiste, célèbre maréchal de France, fut marié à Marie de Montlaur-Modène, marquise d’Aubenas. Sa veuve fit tracer la présente litre et inhumer son mari dans un somptueux caveau de l’église d’Aubenas.
Si l’église romane de Champagne fait office de référence dans l’aboutissement de l’art roman, St Julien du serre est en passe de lui ravir la première place, tant par la richesse de ses chapiteaux, que par les efforts consentis pour restaurer le monument, apportant des bouquets de fraicheur à la vieille dame qui porte bien joliment ses 900 printemps…
Marc Reynier
Marc Reynier est président de l’association des Amis de l’église de St Julien-du-Serre, président de l’Association de Route des églises Romanes du bassin de l’Ardèche, trésorier de La revue du Vivarais. Il organise la visite guidée de l’église de St Julien-du- Serre de mi-juin à mi-septembre, tous les samedis après-midi de 16h à 19h et au mois d’Août le mercredi également. Trois concerts en nocturne sont organisés également dans l’église ; le 1er samedi de Juillet, le 3ème dimanche de décembre (concert de Noël) et le 3ème au cours de l’été. L’association met également en place la crèche de Noël dont la physionomie se renouvelle chaque année.