Émerveillement d’autant plus profond que cette discrète église possède un privilège exceptionnel, celui de détenir d’authentiques vestiges picturaux de l’art roman, des peintures de plus de mille ans…
Si la tendance est aujourd’hui le retour à un appareil en pierres de taille nues, les églises romanes se distinguaient par l’apposition d’un crépi intérieur recouvrant la pierre. Dans des absides aux fenêtres en plein cintre, des peintures aux couleurs rutilantes éclataient en feu d’artifice embrasé par la lumière du levant baignant les autels. Bleus d’Azurite, rouges cochenille et jaunes d’or sublimaient chevets et coupoles couvrant également statues et piliers. Le XIIe siècle roman voit apparaître des bleus, clairs et lumineux qui "ne font plus couple avec le vert comme c’était souvent le cas dans la peinture du haut Moyen-âge, mais avec le rouge."
Le bleu, finalement choisi par les grands abbés de Cluny, après avoir déterminé si la lumière visible est ou non immatérielle, deviendra la couleur des cieux, de la Vierge puis des Rois. Plus que la chromatique, c’est la symbolique qui l’emporte. Le rouge devient à la fois symbole de grâce (la langue rouge de feu tombée sur les apôtres à la Pentecôte - le sang du Christ, etc.) et de malédiction (le dragon de l’Apocalypse dont le corps est rouge comme le feu des enfers et par ricochet la couleur du diable–Ap. XII, 3-4). Le jaune symbole de puissance divine (les rayons du soleil), devient l’image de la richesse spirituelle (bordure d’or soulignant les auréoles).
Pour peindre, l’artiste utilisait soit la méthode dite "à la grecque" que l’on reconnaît à ces motifs bordés de traits épais (le plus souvent rouges), tracés sur un fond dur et sec. L’artiste trace d’abord la silhouette, séparant chacun des éléments de son dessin, puis remplit ensuite les vides. Les couleurs sont plus franches, peu nuancées, limitées à quelques primaires seulement. Les pigments sont tirés des minéraux ou des végétaux comme la guède, par exemple produisant un bleu tendre.
Ou bien l’artiste travaille "dans le frais", sur un enduit à la chaux encore humide. Il dispose de quelques heures, avant que le mélange constitué de chaux vive et de sable fin ne durcisse. C’est la technique utilisée pour constituer une fresque. Les pigments se mêlent alors au support encore humide et y pénètrent en profondeur. Cette œuvre est réalisée par morceaux successifs constituant des pièces juxtaposées les unes à côté des autres. Au final, l’ensemble raconte une histoire qui se lit de gauche à droite contrairement aux symboles sculptés sur les corbeilles historiées des chapiteaux.
L’association des deux méthodes est aussi utilisée simultanément. C’est le cas ici. L’artiste a humidifie le fond déjà sec, mais seulement à l’endroit où il travaille et sur un espace réduit. Cette "détrempe" permet d’affiner les détails et de réaliser une œuvre plus soignée.
Le "collage", également utilisé pour les peintures murales est une technique obtenue par l’association de jaunes d’œufs mélangés aux pigments. Pour le dessin, les règles de la perspective ne sont pas respectées, mais le plus souvent la taille des personnages traduit leur importance. Ces personnages sont généralement ceux de la bible et le Christ y est souvent représenté (notamment au centre du chevet ou sous la coupole) en pied ou en majesté.
L’église de St Jean de Pourcharesse détient quelques étonnants vestiges de cette époque. C’est en poussant la porte, alors que le regard embrasse le chœur qu’apparaît l’étonnante énigme : par quel mystère l’abside circulaire est-elle contenue dans un chevet à plan octogonal que l’on voit à l’extérieur ? La création du nouveau retable a nécessité la mise en place d’une contre-cloison en arc de cercle masquant les peintures d’origine et identifiées, il y a quelques années seulement.
En 2010, Vincent Ollier, restaurateur d’art à Jaillans (26), entreprend l’étude et la préservation de ces peintures qui sont présentées aujourd’hui en fac-similé à l’intérieur de l’église. Les originaux ont été soigneusement protégés.
Sur l’enduit primitif, deux anges affrontés couvrent le chevet. Sur le côté gauche de l’abside apparaît Saint Michel archange. Sa représentation traduit l’importance de l’église de St Jean de Pourcharesse, rappelant que le puissant messager de Dieu (que l’on dit apparu au Mont St Michel, puis à Jeanne d’Arc) est présent à deux reprises dans la bible. Mais c’est au final, lorsque viendra la fin des temps que "Celui qui est comme Dieu" mènera le dernier combat contre Lucifer. Le mal y est ici représenté sous la forme d’un dragon terrassé. St Michel entreprendra alors la pesée des âmes afin de diriger les êtres vers le royaume des cieux, ou au contraire, vers le monde des ténèbres. Sur la peinture millénaire on distingue nettement le corps enlacé du dragon, les ailes de l’archange, ainsi que les plateaux de la balance nécessaire à la pesée des âmes. Étrangement l’archange vainqueur, ne porte pas sa légendaire armure. Habituellement représenté dans le statuaire en guerrier, il porte la tenue militaire uniquement pour l’ultime combat. Ici, il est vêtu d’une toge passée sur l’épaule gauche, rappelant avant tout, sa fonction d’archange. Son regard semble affublé d’un curieux strabisme dessiné dans une orbite dite "en feuille", caractéristique des postures de la période romane. Face à lui, apparaît un autre ange, vêtu du même costume, stylisé dans le même apparat. Mais l’absence d’attribut ne permet pas de l’identifier. A une période plus tardive, un autre peintre a seulement ajouté au dessin sacré un livre ouvert dont seule la couverture aux inscriptions érodées est lisible par l’assistance. On remarque également que les traits du visage sont plus fins, peut-être s’agirait-il de l’archange Gabriel, associé à St Michel, lors du récit mentionné dans "le livre de Daniel".
Les fac-similés de ces peintures sont exposés dans l’église de St Jean de Pourcharesse, offerts à nos regards, sous les airs bienveillants d’un troisième ange, cette fois-ci sculpté sur le culot de la voûte de l’abside latérale et jouant de la cornemuse pour égayer notre visite…
Portrait :
L’Association des Amis de l’Église de St Jean de Pourcharesse, présidée depuis sa création en 1996 par Danielle Basilevitch, a pris en quelque sorte le relais de la Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de l’Ardèche, qui avait participé à sortir l’église romane de l’oubli. Elle compte 130 membres adhérant au projet de protection, de restauration et de promotion du monument ; à son actif, entre autres, le remplacement du "mouton" de la cloche, la restauration de la tribune, l’accès au clocher, la création et la pose de vitraux, la restauration du retable.
L’association organise également au cours de l’été des concerts de musique philharmonique dans l’église.