Article paru en mai 2017
Mis en ligne en juin 2023
Le lieu n'est pas anodin
Bâtie au sommet d'une colline alors dénudée, l'église de Payzac domine un panorama grandiose d'où l'on identifie à l'horizon les clochers de Joyeuse et de Notre Dame-de-Bon-Secours à Lablachère, ainsi que le rocher de Sampzon situé aux portes des gorges de l'Ardèche. Il apparait évident, que du haut de ce promontoire, le tintement de la cloche activée par les moines bâtisseurs, se faisait entendre jusque dans les coins les plus reculés de la paroisse. Cet emplacement dominant est complété par l'implantation stratégique du lieu, bordant alors le chemin emprunté par les pèlerins cheminant vers Notre Dame du Puy ou en route pour Compostelle. Parce qu'elle était également porteuse d’un grand nombre d’espoirs de tout un peuple venant y exercer un étrange rite sacré, l'église de Payzac jouissait d'une activité fébrile.
L’église
L'édifice est aujourd'hui un mariage harmonieux des styles roman et gothique. La partie romane est du XIIe siècle. Le cartulaire de l'abbaye bénédictine de St Chaffre-du-Monastier fait état des possessions de ce monastère en 1175. De cette période subsistent les magnifiques voutes en berceau de l'unique nef centrale et à partir de 1451 les croisées d'ogives venant coiffer les cinq autels latéraux nés de l'agrandissement. La qualité générale de la construction, ses arches en doubleau, sa protection par une couverture de lauzes de schiste expliquent l'état de conservation remarquable du bâtiment d'aujourd'hui.
A l'intérieur on retient les énigmatiques sculptures des chapiteaux historiés dont l'une des corbeilles remettrait en question les acquis de la Genèse. On y voit notamment, non pas Eve cueillant seule le fruit défendu sur l'arbre de la connaissance, mais le couple œuvrant en dualité aux prémices du pêché originel. Voici qui rétablit l'équilibre ! L'usure ayant fait son office, la représentation iconographique des autres sculptures demeure problématique. Mais l'on retrouve comme dans beaucoup d'églises romanes des motifs jumelés, affrontés ou inversés. Sur un autre chapiteau, un énigmatique personnage échevelé semble plonger vers un abîme imaginaire, supposé être une descente aux enfers. L'interprétation de ces scènes psychopathiques reste aléatoire. Si l’Église romaine a vu là une lutte constante entre le bien et le mal, dominée par un Dieu terrifiant à cette période, la réalité est aujourd'hui encore très incertaine.
L'agrandissement de l'édifice au XVe siècle apparait au travers des cinq chapelles gothiques, disposées de part et d'autre de la nef centrale et dont il subsiste les magnifiques arcs doubleaux. L'arc supérieur, de plein cintre, surplombant l'entrée de chaque chapelle est d'époque romane. Il est renforcé à partir du XVe siècle par un arc inférieur brisé, venant soutenir l'imposante toiture. Ces chapelles latérales supportent des croisés gothiques aux nervures finement ciselées viennent mourir avec élégance sur les piliers, ou s'assoient sur des culots décorés, portant le monogramme IHS (Jésus Hominum Salvator : Jésus sauveur des hommes) attribué au moine Franciscain Bernardin de Sienne. Ces chapelles sont nées de donateurs soucieux de disposer d'une sépulture familiale dans l'église. Elles étaient entretenues par leurs attributaires, dédiées à un Saint patron et recevaient des offices privés dont il subsiste les "piscines", niches aménagées dans les murs pour les ablutions de l'officiant. L'une de ces chapelles appartenait à la famille Vidal comme en témoigne une pierre commémorative de la chapelle sud-est, bordant le cœur, et portant la date du 10 juillet 1546.
Parmi le mobilier on retient : Une statue de St Pierre, prisonnier d'Hérode, dont un ange a brisé les chaînes, et qui porte cette légende : une piéta, tableau offert par Napoléon III au baron Chaurand, député de l'Ardèche et une toile de retable reproduisant la nativité, œuvre présumée du peintre belge Jean Englebert. La statue de la Vierge de Lourdes, œuvre du sculpteur Lyonnais Joseph-Hugues Fabisch, célèbre pour ses réalisations des statues de la Vierge de Lourdes après sa rencontre avec Bernadette Soubirous en septembre 1863, rencontre au cours de laquelle il s'est efforcé de reproduire la vision de la jeune bergère. L'ensemble est chaperonné par un Saint Pierre en bois doré du XVIIe siècle. Cette sculpture est disposée près de la tribune du chœur où une porte permettait autrefois aux moines d'entrer depuis leur prieuré mitoyen.
L'extérieur est agrémenté d'originalités. Sur le clocher-mur dressé au XVe siècle, une pierre gravée porte un texte bilingue (en patois et en latin) commémorant la réalisation de ce clocher par le maître d'œuvre : Jean Dendobos en 1411 ou 1441. Les murs gouttereaux, (murs latéraux, situés de part et d'autre de la nef centrale) d'origine romane, sont nettement visibles côtés nord et sud, dépassant de plus de 50 cm des couvertures latérales. Le mur, côté sud, ainsi que l'abside portent les marques des tâcherons qui ont taillé les pierres, identifiant ainsi leur travail pour une rémunération en conséquence. Face au portail d'entrée, sur le terrain de l'ancien cimetière, la chapelle funéraire de notre Dame des sept douleurs construite entre 1852 et 1865 est le caveau de la famille Chaurand. Cet édifice a été réalisé par l'architecte Lyonnais Pierre Bossan, auteur des basiliques de Fourvière à Lyon et de Lalouvesc.
Mais le point d'orgue de l'église de Payzac est incontestablement son aspect "merveilleux" hérité de l'époque romane, expliquant, entre autre, le rayonnement de son prieuré médiéval. Sur le mur extérieur, côté sud, à 1,20m environ du sol, s'ouvre dans l'une des pierres, un orifice de 15cm de diamètre. Si, comme l'explique Pierre Mélot, les murs de l'église romane primitive ont été "repoussés" afin d'élargir l'édifice et permettre l'adjonction des chapelles latérales, les pierres du mur gouttereau ont été utilisées en remploi, témoignant de la présence de la "pierre magique" sur le bâtiment originel du XIIe siècle. A cette période, les pèlerins en route pour le très Saint pèlerinage de Notre Dame du Puy, faisaient halte à Payzac (Payjacum). Ils trouvaient auprès du prieuré un hébergement afin de se reposer, de se restaurer et de se faire soigner. D'autant que la "pierre miraculeuse" attirait les fidèles. La tradition rapporte en effet que "les personnes venaient y glisser la main en prononçant un vœu dans l'espoir d'une guérison, d’une solution d'un problème familial, pécuniaire ou autre ". Cette pratique explique probablement le nombre de pratiquants dont les parents ont été inhumés à cet endroit, mais surtout par la présence de la Vierge Marie, médiatrice par excellence entre Dieu et les Hommes et dont la chapelle se trouvait, et se trouve toujours de l'autre côté du mur ".
Ainsi, l'église de Payzac catalysait-elle les espoirs d'un peuple miséreux mais profondément croyant, portant dans ses bagages des rêves qui l'aidaient à avancer.