Village discret au fil de la Dorne.
Depuis le col de Mézilhac pour descendre au Cheylard, on traverse inévitablement Dornas, mais comme souvent, rapidement, trop pour y prêter véritablement attention. Il suffit pourtant de s’arrêter sur la place, à l’écart de la route principale, et de partir à pied au long des petites rues pour découvrir un village paisible et charmant.
La Dorne, la rivière façonne le paysage depuis si longtemps que sans elle tout serait tellement différent. Elle prend sa source à l’est du Rocher des Baux à plus de mille trois mètres d’altitude sur la commune du Chambon, près du Gerbier. Elle irrigue le territoire verdoyant de la commune de Dornas avant de se perdre dans les eaux de l’Eyrieux au Cheylard, après avoir perdu presque mille mètres de hauteur, ce qui rend son cours vif et escarpé par endroit. D’ailleurs son nom viendrait de « duire » signifiant torrent ! Certes, nous sommes loin ici, du relief tourmenté des torrents alpins, mais en certains endroits, la Dorne montre son caractère fougueux. Pour s’en convaincre, il suffit de se poster sur le pont du Salin à l’entrée du village, juste à l’aval du plan d’eau de la Gandole aménagé pour les plaisirs nautiques. Là, les rochers furent et sont toujours sculptés et polis par l’eau charriant avec force, les pierres. Ces marmites de géants sont magnifiques. Et il est dit aussi qu’au fond de son lit, la Dorne charrie de l’or !
Au-delà de l’aspect naturel de cette rivière donnant au paysage sa force, la présence de l’eau permit aux hommes de développer une économie artisanale salutaire en complément des traditionnels travaux des champs. Des moulins furent bâtis sur ses rives. Leurs roues puisaient dans l’eau, la force motrice nécessaire à l’action des meules. Grand Dornas, Taboury, Giraud, Les Salins comptaient au nombre de ces moulins oubliés aujourd’hui. Puis fleurirent les moulinages. Dornas en accueillait six, le long de la Dorne. Le moulinage de Noirols embauchait vingt ouvrières, celui du Château trente, Les Salins soixante, le Bourg vingt, La Chèze vingt-cinq et celui du Grand Dornas trente. Bien sûr, comme partout ailleurs en Ardèche, ces moulinages employaient une main d’œuvre principalement féminine qui logeait toute la semaine sur le site. Ce travail pénible offrait un complément de revenu à des familles de paysans, réussissant parfois seulement qu’à ne survivre sur leurs terres, en terrasses. Et puis il y eut aussi l’eau minérale aux vertus reconnues, « La Châtelaine » exploitée pendant des années et dont le captage et les bâtiments d’embouteillage existent encore.
L’origine de ce village reste floue, bien que la présence du vieux pont soit attestée en 1348. Il en est de même pour le modeste château de Dornas dont l’origine et l’histoire se sont perdues dans la mémoire collective du village. La tour de l’Oustal et quelques maisons bâties avec des pierres de réutilisation, et des vieux linteaux surtout, attestent de l’ancienneté de l’occupation locale, mais rien de plus. On sait que Dornas, nommé ainsi depuis le XIXe siècle, s’appelait Dornassio au XVIe et Dornassou au XVIIe. En fait peu d’éléments à notre disposition pour établir l’historique du village.
Dornas, c’est bien sûr un bourg charmant en rive droite de la Dorne, mais c’est aussi tout un réseau de hameaux au sein d’une nature verdoyante et généreuse : Noirols, Eyriac, Combezon, Grand Dornas, Le Cros et Molines pour n’en citer que quelques-uns. Les deux derniers furent rattachés à la commune seulement au XIXe siècle. Et à Molines, il faut aller voir le four à pain, restauré par les habitants du hameau en 2004.
Le bâtiment le mieux documenté du village reste l’église. En réalité trois édifices religieux se succédèrent à Dornas. Il y eut tout d’abord la vieille église dont l’histoire a retenu peu de chose à part son emplacement à l’ouest du Grand Dornas sur une hauteur surplombant la vallée de la Dorne. Le lieu-dit se nomme d’ailleurs toujours La Vieille Église. Il n’en reste rien aujourd’hui, en ruine depuis les guerres de religion, la population de Dornas étant alors presque exclusivement protestante.
Sa reconstruction au milieu du XVIIe siècle impliqua aussi son déplacement sur le site actuel du village ; l’accès en était plus aisé et le lieu plus peuplé et plus actif économiquement. Le site choisi présentait l’avantage d’accueillir déjà le château. Cette nouvelle église fut bâtie par des maçons venant du Limousin et parcourant la France à la recherche de travail. Il se dit que la façade de la nouvelle église fut érigée avec les pierres de l’ancienne, descendues en leur temps à flanc de montagne. Elle était de style roman avec son clocher à peigne. Quand les hameaux du Cros et de Molines furent rattachés à Dornas en 1852, cette église devint trop petite et vers la fin du XIXe siècle, elle devint même dangereuse. Les cloches furent descendues du clocher pour être installées sur un portique en bois dressé à côté de l’édifice menaçant ruine.
La construction de la troisième église créa de vives tensions entre le curé et l’administration laïque et même entre les habitants pour des questions d’argent et de politique, d’influence locale. Mais en 1901 l’église neuve fut tout de même inaugurée, une solution dut être trouvée. Toutefois, son clocher dut attendre 1927 pour être érigé et recevoir les cloches quittant enfin leur portique en bois… Et depuis, elle veille toujours sur ce village discret.