Brun Louis dit "L'Enfer"

Article paru en septembre 2014
Mis en ligne en juillet 2022

Cette sombre affaire criminelle survenue à Meyras, au cours de la Restauration (1826), a fortement marqué les esprits dans la région. Aujourd’hui encore, certains se souviennent de cet épisode tragique raconté par leurs aïeux de génération en génération, jusqu’à nos jours.
 

Un personnage troublant
Louis Brun (né sous le prénom de Jean-Louis et surnommé « l’Enfer » par ses comparses) tenait une petite auberge à Meyras, au carrefour des routes de Montpezat et de Burzet, au lieu-dit « l’Amarnier ». Le personnage est décrit comme peu avenant, petit, maigre, le front bas et l’œil mauvais. Une rumeur courait déjà à son sujet, l'associant aux agressions et aux divers actes de brigandage commis avec sa bande dans ce secteur des hautes Cévennes ardéchoises. La taverne avait très mauvaise réputation et il se disait que plus d'un voyageur s'y était fait détrousser. Le quartier l'Amarnier était devenu peu fréquentable si bien que beaucoup préféraient faire un détour plutôt que de se risquer le soir près des falaises d'Aulueyres où la Fontaulière tumultueuse et bouillonnante court en bonds capricieux jusqu'au confluent de l'Ardèche.
Après le meurtre de Laurent Souchon, en 1815 (à la suite d'une sombre affaire de règlement de comptes) puis de celui de Valentin Dufaux, en 1824 (qui l'avait dénoncé pour le crime précédent) et dont le corps fut retrouvé dans la rivière, au bas de la falaise d'Aulueyres, Jean-Louis Brun est interpellé en novembre de la même année en compagnie de ses complices : Jean-Vergne dit Mézilhac, Jean Volle dit Vinson, Lavastre, Grevier et Ollier. Tous sont incarcérés à la prison de Largentière. Jugés à Privas, ils sont condamnés aux travaux forcés pour vols tandis que Louis Brun, chef de cette bande de brigands, reconnu coupable des deux meurtres, est condamné à la peine capitale. Ses antécédents judiciaires, notamment la condamnation survenue, en 1792, pour des faits identiques de brigandage, ont sans doute lourdement influencé la décision des juges.

Le 2 août 1826, la guillotine est dressée sur les lieux de l'arrestation, en bordure de route au quartier l'Amarnier. Une foule impressionnante est venue voir la tête tomber dans le panier. Certains sont là depuis plusieurs jours et l’on ne trouve plus un coin de « fenaïre » pour se loger. Des journalistes sont venus de Paris pour commenter l’événement qui a fait grand bruit jusque dans la capitale. Lorsque le condamné monte à l’échafaud, la foule silencieuse entend la voix tonitruante de Brun qui lui crie :
« Vous tuez l’Enfer, mais vous gardez le diable ». Beaucoup y verront un présage à la sinistre affaire qui surgira à Lanarce quelques années plus tard, connue sous le nom de « L'auberge rouge de Peyrebeille ». Louis Brun était-il au courant des exactions commises par Pierre Martin à Peyrebeille ?
Beaucoup de gens dans la région sont restés persuadés qu’un lien étroit rapprochait les deux affaires. Le nom de Brun fut cité à plusieurs reprises au cours du retentissant procès de Peyrebeille à Privas, mais Jean-Louis Brun n’était plus là pour y être entendu. Personne n'a pu établir si les crimes commis par l'un n'ont pas été attribués à l'autre ou inversement.

Aujourd’hui encore, quelques habitants de Meyras se souviennent de cette affaire
Sur la ligne droite d'Amarnier, à gauche en montant vers Montpezat, Émile Vigne propriétaire du terrain, où se dressait l'échafaud, raconte l'exécution. Une foule immense s’y était pressée pour assister au spectacle. Dans le but de faire du sensationnel, les journalistes parisiens ont rapporté à tort que la populace ardéchoise avide de vengeance était venue se repaître du sang du condamné. C’était mal connaître l’esprit du moment où les gens venaient surtout pour se rassurer de la disparition de Brun, tant l’insécurité dominait dans les  hautes Cévennes Ardéchoises. Comme pour cacher ce lieu de sinistre mémoire, une épaisse haie de buis dissimule aujourd’hui les lieux de l’exécution aux regards des passants. Louis Dumas, habitant d'Amarnier, précisait que ce terrain où « la tête est tombée » est resté longtemps en friche de crainte d'une quelconque malédiction. L’emplacement supposé de sa tombe, dans le carré réservé aux brigands, au cimetière de Meyras est toujours inoccupé…
Le passant curieux remarquera, aujourd'hui encore, en direction de Saint-Pierre-de-Colombier, que la falaise d'Aulueyre est percée d'un orifice s'ouvrant au nord, à l'aplomb de la rivière. De croyances populaires et pour beaucoup, il s’agit là du débouché du tunnel prenant naissance sous l’auberge et qui permettait à Brun de jeter les corps de ses victimes directement dans la rivière. Le tunnel a été bouché, dit-on à la suite de travaux, lors de la construction de la nouvelle route de Burzet, mais il subsiste le sombre orifice qui alimente toujours les conversations.

Une paisible demeure et une sinistre taverne
L’auberge, dénommée l’Enfer en référence à son illustre propriétaire, est aujourd’hui une paisible résidence secondaire. De la sinistre taverne, le voyageur apercevra la porte de l’estaminet toujours au même endroit depuis son origine, s’ouvrant sur la route de Burzet. Dans la salle voûtée de l’auberge, le sol en pierres jointées résonne d’un étrange bruit qui sonne creux. Qu’y a-t-il sous les pierres usées ? S’agit-il seulement du tunnel conduisant à la falaise ? Monsieur Soler, l’ancien propriétaire, avait découvert dans le mur, dissimulée derrière une pierre savamment taillée une boîte contenant quelques bijoux. La maison cache-t-elle encore le trésor de Louis Brun ?
Apparemment les murs de cette maison n'ont pas livré tous leurs secrets…

Ma Bastide, votre magazine participera-t-il à une envolée d'engouement pour cette histoire ?
 
Texte et clichés : Henri Klinz