Borne

Article paru en février 2017
Mis en ligne en septembre 2022

Au cœur d’une nature qui a su rester sauvage, à neuf cent cinquante mètres d’altitude, à l’adret dans les gorges de la Borne, entaillant profondément le massif du Tanargue, le petit village de Borne sommeille paisiblement. S’il n’y avait la beauté du site et surtout les ruines altières de son château, qui ferait le détour ? Et pourtant…Si vous saviez !
 

Difficile de ne pas tomber sous le charme de ce village accroché à la pente, quand on le visite pour la première fois. L’église au milieu de son cimetière, une quinzaine de maisons le long de deux ou trois chemins, plus loin comme tenues en équilibre contre le rocher, les ruines d’un château, et enfin, tout en contrebas, l’eau claire et pure, l’eau sauvage et froide de la rivière. C’est ainsi que se présente Borne.
Autrefois nommée Saint-Sauveur-des-Bornes, la révolution française lui légua le nom de Borne qu’elle conserva. Mais est-ce la rivière qui a donné son nom au village ou l’inverse ? Les uns évoquent la présence d’une borne milliaire posée par les Romains, les autres parlent de la forme évocatrice du rocher dans une boucle de la rivière rappelant une borne : rien n’est certain en ce domaine. Et puis finalement, on a envie de dire, quelle importance ?

La Borne prend sa source à la Croix de Bauzon, vers mille-quatre-cent-vingt mètres d’altitude et se laisse glisser jusqu’au hameau des Chambons. À partir de ce point, elle s’est creusée une gorge, très difficile d’accès, léchant le pied du rocher où trône l’ancien château de Borne et filant vers son rendez-vous lointain avec la Méditerranée, en entaillant sans concession, le massif du Tanargue. Son eau pure et claire invite à la baignade au creux des nombreux trous entre les rochers, paradis des truites. Mais attention, elle est froide, glaciale même !
Petite anecdote : le territoire de la commune situé sur la ligne de partage des eaux hésite entre l’Atlantique et la Méditerranée, car le Masméjean autre affluent, file vers l’océan. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Borne, c’est aussi quelques hameaux, dont le Mas de Truc et son clocher de tourmente pour guider les voyageurs perdus dans la burle, le Bez avec sa célèbre auberge et… sa chapelle, l’ancienne abbaye Notre Dame des Chambons. Cette dernière, juste à l’entrée des gorges, occupa une place privilégiée dans l’histoire de la commune. En effet, c’est ici que fut fondée en 1152 cette abbaye cistercienne des Chambons. Les premiers moines venaient de l’abbaye de Sénanque, et ils avaient pour les guider Dom Pierre, ancien moine de l’abbaye de Mazan. D’importants dons firent du domaine de cette abbaye un lieu d’influence, avec lequel il fallait obligatoirement compter. La vente des propriétés et des biens de Notre-Dame-des-Chambons, le 4 juillet 1791 par les révolutionnaires, précipita sa ruine. Aujourd’hui, seuls quelques pans de murs se dressent encore timidement et tristement dans le hameau, pleurant leur splendeur passée.

Quelques kilomètres en aval, dans une boucle de la rivière, un rocher imposant semble juste tolérer la présence des vestiges de l’ancien château, accrochés à son flanc. Cette tour des seigneurs de Borne attire irrésistiblement le regard. Ses vieilles pierres connurent des moments délicats quand, en 1254 à la suite d’un conflit entre le seigneur du lieu et celui de Randon, ce nid d’aigle fut attaqué par les troupes du sénéchal de Beaucaire sur ordre de Saint-Louis (Louis IX), au profit du second belligérant. Le 25 mars 1321, le seigneur de Randon vendit le château à l’abbaye des Chambons… Aujourd’hui la tour ruinée, mais ayant encore belle allure, ne surveille plus que le vol des éperviers et des milans et les caprices de la Borne qui circule à ses pieds. Là, un pont franchit le cours d’eau. Il dut être maintes fois rebâti, mais le fut pour la dernière fois en 1972. Les différents ponts cédèrent souvent sous l’effet des crues de la Borne, dévalant en furie le long de ses gorges. Celui sur le dos duquel on passe désormais est la copie du précédent, une œuvre de Jean Gleyze en 1866.

De la terrasse de la tour, la vue est imprenable sur le village et son église du XIXe siècle. La vie s’écoule paisiblement au fil des quelques maisons. Un historien du cru évoqua dans un ouvrage paru à la fin du XIXe siècle la légende qui a fait naître le village, en ce lieu oublié.
« Au tout début du Ve siècle, la fille du gouverneur d’Alba-la-Romaine devenue l’épouse du gouverneur de Javols (capitale du pays des Gabales, approximativement le Gévaudan), fuyant les invasions barbares, se serait réfugiée avec sa fille, dans une grotte située sur le territoire de l’actuel village… Elle y aurait été retrouvée, quelques années plus tard, par des hommes en armes envoyés par son père, les recherchant toujours. Ces même hommes trouvant la région à leur goût, se fixèrent sur place et créèrent le village. » Si la légende est belle, nous ne savons pas grand chose de la réalité de la naissance de Borne. Et c’est bien aussi de garder ce voile de mystère qui enveloppe tout le secteur des gorges de la Borne, du château ruiné, de la cloche de tempête du Mas de Truc, du village endormi… Sans bruit, immergez-vous dans ce paradis de nature, ne dérangez rien et vous percevrez un bout de ce mystère.
Texte et clichés : Bruno Auboiron