La mémoire ouvrière et patronale
Dès la porte de l’écomusée franchie, la visiteuse ou le visiteur plonge dans la réalité de la soie et de la mémoire des moulinages d’autrefois. La définition de l’activité du moulinage est de donner de la résistance au fil de soie en l’associant et le torsadant plus ou moins vite. Il se dit que le fil était alors plus solide que l’acier, mais lors de son travail il devait rester dans une atmosphère humide et la pénombre. Dans un moulinage le bruit était assourdissant et les conditions de travail des jeunes ouvrières et des enfants étaient pénibles. Mais avant de découvrir le cœur du métier, la visite commence par celle de la sériciculture.
Le plus grand moulinage français
Sous cette appellation se cache l’éducation des vers à soie ou bombyx du mûrier. Déjà pour Olivier de Serres, il ne s’agissait pas d’élevage mais bien d’éducation, tout comme pour Yves Paganelli, fondateur de l’Écomusée du Moulinage, car cette activité exigeait maints soins et attentions pour obtenir des cocons parfaits. Une seconde salle diffuse un petit film sur l’histoire et la réalité du métier de moulinier depuis son origine ardéchoise autour de 1700. « Le travail de la soie, arrivant de Chine, s’est développé en Italie avant de parvenir chez nous, précise Yves, fondateur et conservateur de l’écomusée. N’oublions jamais que l’Ardèche fut le premier département français en production de soie jusque dans les années soixante. Après, il y eut l’émergence des fils synthétiques et la concurrence étrangère. Certains moulinages ont su s’adapter, d’autres n’ont pas pu. » Ici à Chirols, sur le lieu même de l’écomusée, le moulinage Plantevin a poursuivi son activité jusqu’en 2008 après avoir été créé en 1854. Dans les années vingt, il était le plus grand moulinage français ; 300 filles, femmes y travaillaient.
L’écomusée a ouvert ses portes en 1988 sous l’impulsion de l’historien Yves Morel et du passionné Yves Paganelli. Après une longue période de rejet de cette histoire industrielle par les habitants des vallées ardéchoises, elle est aujourd’hui leur fierté, un pan de l’histoire locale dont ils se revendiquent. Pourtant, comme en témoignent les rouleaux d’écriture d’une petite salle, dont la scénographie met face à face les patrons et les ouvrières, la vie et le travail étaient durs dans les moulinages.
Venues de Marseille
« Les ouvrières passaient toute la semaine au moulinage, explique Yves. Elles ne revenaient dans leur famille que le dimanche. Elles cuisinaient ensemble, dormaient parfois à plusieurs par lit dans les dortoirs non chauffés, assuraient des horaires de travail à rallonge tout en étant payées une misère. » Leur travail consistait à surveiller les bobines de fil, les changer quand elles étaient pleines ou vides, faire des nœuds quand le fil cassait. Elles chantaient beaucoup et possédaient des codes selon les chansons pour s’alerter d’un bout à l’autre de l’atelier de l’arrivée du contremaître ou autre. Les seuls hommes employés étaient ces derniers.
Et il ne faut pas oublier l’importance de la religion. « Ici ont vécu et trimé 90 orphelines dans les années 1900 suite à un contrat entre le patron et les sœurs d’un orphelinat marseillais, souligne Yves. Certaines orphelines sont restées et se sont mariées et leurs descendants habitent toujours le village. » À la fin du XIXe siècle, à cause de la maladie du ver à soie, les mouliniers achetèrent du fil de cocons produits en Chine, au Japon et aussi au Brésil où des Chinois avaient émigré. Puis, avec la viscose la soie végétale a remplacé la soie animale. « De nombreux fils synthétiques ont mené au dernier fil moderne et élastique, le lycra, précise Yves. Le moulinage Plantevin a gravi toutes les marches du modernisme jusqu’au lycra, mais cela ne l’a pas empêché de sombrer. »