L'Ecomusée du Moulinage

Article paru en juillet 2024
Mis en ligne en juillet 2024

La mémoire ouvrière et patronale

Dès la porte de l’écomusée franchie, la visiteuse ou le visiteur plonge dans la réalité de la soie et de la mémoire des moulinages d’autrefois. La définition de l’activité du moulinage est de donner de la résistance au fil de soie en l’associant et le torsadant plus ou moins vite. Il se dit que le fil était alors plus solide que l’acier, mais lors de son travail il devait rester dans une atmosphère humide et la pénombre. Dans un moulinage le bruit était assourdissant et les conditions de travail des jeunes ouvrières et des enfants étaient pénibles. Mais avant de découvrir le cœur du métier, la visite commence par celle de la sériciculture.
 
Le plus grand moulinage français
Sous cette appellation se cache l’éducation des vers à soie ou bombyx du mûrier. Déjà pour Olivier de Serres, il ne s’agissait pas d’élevage mais bien d’éducation, tout comme pour Yves Paganelli, fondateur de l’Écomusée du Moulinage, car cette activité exigeait maints soins et attentions pour obtenir des cocons parfaits. Une seconde salle diffuse un petit film sur l’histoire et la réalité du métier de moulinier depuis son origine ardéchoise autour de 1700. « Le travail de la soie, arrivant de Chine, s’est développé en Italie avant de parvenir chez nous, précise Yves, fondateur et conservateur de l’écomusée. N’oublions jamais que l’Ardèche fut le premier département français en production de soie jusque dans les années soixante. Après, il y eut l’émergence des fils synthétiques et la concurrence étrangère. Certains moulinages ont su s’adapter, d’autres n’ont pas pu. » Ici à Chirols, sur le lieu même de l’écomusée, le moulinage Plantevin a poursuivi son activité jusqu’en 2008 après avoir été créé en 1854. Dans les années vingt, il était le plus grand moulinage français ; 300 filles, femmes y travaillaient.
L’écomusée a ouvert ses portes en 1988 sous l’impulsion de l’historien Yves Morel et du passionné Yves Paganelli. Après une longue période de rejet de cette histoire industrielle par les habitants des vallées ardéchoises, elle est aujourd’hui leur fierté, un pan de l’histoire locale dont ils se revendiquent. Pourtant, comme en témoignent les rouleaux d’écriture d’une petite salle, dont la scénographie met face à face les patrons et les ouvrières, la vie et le travail étaient durs dans les moulinages.
 
Venues de Marseille
« Les ouvrières passaient toute la semaine au moulinage, explique Yves. Elles ne revenaient dans leur famille que le dimanche. Elles cuisinaient ensemble, dormaient parfois à plusieurs par lit dans les dortoirs non chauffés, assuraient des horaires de travail à rallonge tout en étant payées une misère. » Leur travail consistait à surveiller les bobines de fil, les changer quand elles étaient pleines ou vides, faire des nœuds quand le fil cassait. Elles chantaient beaucoup et possédaient des codes selon les chansons pour s’alerter d’un bout à l’autre de l’atelier de l’arrivée du contremaître ou autre. Les seuls hommes employés étaient ces derniers.
Et il ne faut pas oublier l’importance de la religion. « Ici ont vécu et trimé 90 orphelines dans les années 1900 suite à un contrat entre le patron et les sœurs d’un orphelinat marseillais, souligne Yves. Certaines orphelines sont restées et se sont mariées et leurs descendants habitent toujours le village. » À la fin du XIXe siècle, à cause de la maladie du ver à soie, les mouliniers achetèrent du fil de cocons produits en Chine, au Japon et aussi au Brésil où des Chinois avaient émigré. Puis, avec la viscose la soie végétale a remplacé la soie animale. « De nombreux fils synthétiques ont mené au dernier fil moderne et élastique, le lycra, précise Yves. Le moulinage Plantevin a gravi toutes les marches du modernisme jusqu’au lycra, mais cela ne l’a pas empêché de sombrer. »
 

Pont de Veyrières à Chirols
04 75 94 54 07
chirols.fr/ecomusee
 
L’Écomusée du Moulinage est ouvert en été uniquement du lundi au jeudi de 14h à 18h.
La visite en individuel est assistée par un audio-guide sur les textes d’Yves Morel et Yves Paganelli, les deux fondateurs du site. Ce sont également eux qui assurent les visites guidées pour les groupes.

à côté

 
Le moulinage de Chirols

Jouxtant l’Écomusée du Moulinage, occupant les vastes bâtiments de l’ancienne usine, le moulinage de Chirols se définit comme un pôle d’expérimentation et de production collective, sociale et solidaire. Depuis 2015, ce lieu ouvert regroupe des activités artistiques et artisanales, un habitat participatif et des espaces communs. Intérêt général, refus de la spéculation, respect de l’environnement et engagement citoyen sont les piliers de cette aventure humaine qui font de ce site un lieu de vie unique et foisonnant.
lemoulinagedechirols.org
 
Le sommet de Sainte-Marguerite
Culminant juste sous la barre des mille mètres d’altitude, le sommet de la montagne Sainte-Marguerite domine Chirols et offre un point de vue circulaire des Alpes au Tanargue en passant par le Vercors et le mont Ventoux. C’est ce lieu qui fut choisi pour l’édification d’une chapelle, restaurée et agrandie par le curé de Juvinas en 1854. Depuis un pèlerinage s’y déroule chaque année, le premier dimanche de septembre. Pour en faciliter l’accès, une route fut tracée dans la forêt, mais elle permit surtout l’installation de tout un panel d’antennes relais dans les années soixante.
écomusée moulinage le métier 00§
écomusée moulinage le métier 00§
La plus belle pièce
 
Pièce maîtresse des collections de l’écomusée, ce grand métier fut construit en 1848 dans un atelier du quartier Tartary à Pont-d’Aubenas. Il trouva sa place entre les murs sombres du moulinage érigé à la sortie de Jaujac sur la route de La Souche, bâtiment aujourd’hui nommé La Fabrique. Il est remarquable car il est complet et fonctionnait encore quand il fut remonté à l’écomusée. Désormais son grand âge lui vaut de ne plus être mis en service pour le préserver. Les petits trous sur ses montants ne trahissent pas la présence des vers à bois mais simplement résultent de l’action des jeunes ouvrières tapant l’extrémité des bobines contre le bois. Ces petits trous sont donc le témoignage des grands-mères et des arrières grands-mères, de toutes les filles qui ont travaillé et vécu ici.
Travail des femmes et des… enfants !
 
Dans une salle de l’écomusée, deux galeries de portraits se font face : d’un côté les patrons des moulinages, de l’autre les jeunes ouvrières. Sur des rouleaux défile la vie de ces dernières. Dès l’âge de dix ans elles rejoignaient l’usine parce qu’elles étaient agiles et dociles et puis l’argent gagné aidait la famille restée à la ferme. Une aide bien chiche car elles étaient sous payées. Cette réalité reste souvent abstraite pour les jeunes visiteurs, comme en témoigne cette réflexion de l’un d’entre eux rapportée par Yves Paganelli : « Elles avaient de la chance les filles, elles étaient payées, moi je ne le suis pas à l’école ». Le travail des enfants fut abrogé peu après la Première Guerre mondiale avec l’arrivée des lois sociales et l’école obligatoire de Jules Ferry.
écomusée moulinage yves paganelli 003
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Trois questions à Yves Paganelli
 
Comment passe-t-on de l’usine à l’écomusée ?
À l’époque j’étais maire de Chirols et le département étant propriétaire du site m’a demandé d’en faire quelque chose. J’ai tout de suite pensé à le transformer en lieu dédié à la mémoire des moulinages.
 
La mémoire pour transmettre ?
Oui tout à fait. C’est important la mémoire car elle est la base de la transmission. Ici nous accueillons environ 3 000 visiteurs chaque année dont un bon nombre de scolaires. Il faut leur montrer ce qu’était la vie des jeunes ouvrières en ce temps-là.
 
La création de cet écomusée fut un travail en duo ?
C’est mon ami historien Yves Morel qui a composé les collections. Nous travaillons ensemble depuis le premier jour et même encore aujourd’hui. Nous assurons toujours les visites guidées. Nous espérons trouver nos successeurs. Je suis content et stupéfait que l’écomusée existe encore et se développe. C’est une magnifique aventure.
Clichés : Bruno Auboiron