Dans cet univers fantasmagorique où Boris Vian puiserait à pleine main le bonheur, des êtres mêlent adroitement les arts pour en tresser des chefs d’œuvres de "composition".
C’est le cas de Vincent D’Indy à la fois musicien, et ce que l'on connaît moins de lui, peintre et poète.
Ce citadin né à Paris le 27 Mars 1851, issus d’une famille aristocratique fortunée, n’est pas fils adoptif de l’Ardèche, c’est lui qui l’a adoptée. Il découvre l'Ardèche à l'âge de 13 ans, lors d'un voyage en Provence. Il fait halte au manoir Chabret près de Boffres (à 8 km de Vernoux), demeure ancestrale héritée d'un aïeul, capitaine de la garde d'Henri IV. Le jeune D’Indy contemple l’Ardèche et s’émerveille.
Dès lors, en choyant d’amour ce pays où il vient se réfugier comme un amant secret se cache pour y retrouver sa belle, il lui offre au sortir de son inspiration des bouquets de mélodies et des trésors de peinture.
De l’innocente liaison devenue de platoniques étreintes, fusaient de créateurs soupirs, d’où naissait en 1886 la petite "Symphonie cévenole", authentique enfant du pays ardéchois, le chef d’œuvre de sa carrière composée pour piano et orchestre. En 1905, il donne naissance à sa grande sœur "Jour d’été à la montagne", un poème symphonique jouant en triptyque avec les couleurs de l’aurore, du jour et du soir. Près de Toulaud, sur le chemin de Saint Peray, il entend, sans les voir, le chant des lavandières alors qu’il se rendait à pied à Valence. Son âme chavire, emportée par la douceur du chant qui envahit son être et charme son cœur. Il écrira : "Dans le silence du brouillard, se détacha soudain une lente mélodie psalmodiée par des voix féminines et comme par le coup de baguette d'un enchanteur les belles nuées s'évanouirent sans laisser de trace et la lumière s'étendit éblouissante, sur toute les crêtes et tous les sommets (...) malgré la resplendissante lumière, mon âme restait attristée de n'avoir pu rencontrer les fées dont les chants venaient me charmer. Je n'aurai pu oublier l'admirable mélodie qui est toujours restée vivante dans ma mémoire". Cette mémorable journée point de départ de toute sa carrière l’emportera aux confins de la création musicale. Il enchaine symphonies et orchestrations sans pour cela dupliquer ses maîtres comme Wagner dont il va prononcer en public l'éloge funèbre dans la langue de Goethe, ou Beethoven dont la vénération le conduira en pèlerinage à Vienne pour y dessiner sa tombe. Novateur, il met en place pour la première fois un piano au sein d’un orchestre. Claude Debussy le premier, s’inspirera du procédé. Toujours attaché au monde musical parisien dont il fréquente assidûment les cercles, il participe de 1894 à 1896 avec Charles Bordes à la fondation de la célèbre Schola Cantorum. Cette école de musique religieuse bâtie près du Val-de-Grace est appelée à devenir une sérieuse concurrente du Conservatoire. Vincent d’Indy est un compositeur fécond, et par son enseignement exceptionnel il eut une grande influence sur les compositeurs du début du XXe siècle.
Son amour pour la nature l'inspirera
En visitant l’Ardèche, Vincent D’Indy devient un infatigable marcheur. Subjugué par la beauté des paysages du Vivarais il n’aura de cesse d’arracher à ce décor l’inspiration et les thèmes d’amour de la nature autant musicaux que picturaux. La nature l’inspire, il va à sa rencontre, cheminant sur la route de la Chavade pour admirer les crêtes qui déchirent le ciel, près de Thueyts. Il s’aventure jusqu’à Mazan à une période où le jeune écossais Robert-Louis Stevenson découvre à son tour ce pays cévenol simplement désigné sur l’atlas de la France par le terme « Terra Incognita ». Il est à la pointe du Mézenc à 4 heures du matin pour y contempler les couleurs du lever du soleil. Du spectacle de la nature ardéchoise il récolte 28 mélodies, publiées en un seul recueil intitulé « Chansons populaires, recueillies dans le Vivarais et le Vercors ». Devant la magnificence du décor il écrit : le chant des bruyères, brouillard, promenades, coup de vent… Lorsqu'il compose "Jour d’été à la montagne", certains y verront l’équivalent de la Symphonie Pastoral. Le musicien dira de son œuvre : "J’y ai mis tout mon cœur de montagnard". La montagne cévenole habite son âme, réchauffe son cœur et fertilise son esprit.
Il s’installe près de Boffres où à 29 ans, il trace les plans et construit le magnifique château des Faugs. De son bureau, du 2ème étage, en avancée sur la façade, il admire ces paysages qui le dévorent. Depuis cet espace, il prend soin d’écouter le chant des oiseaux, d’observer le lever du soleil jusqu’à s’inspirer de la fête du village de Boffres d’où il tirera préludes, adagios, rondeaux, etc…
Les paysages de la montagne et de la nature ardéchoise ont envahi maintenant entièrement son être jusqu’à transformer sa passion musicale pour lui donner une autre "teinte", celle de la peinture.
Reprenant ses excursions, il arpente la solitude hivernale du plateau ardéchois dont-il écrira : "Ce matin, sur le plateau ardéchois, il fait un temps de chien, c’est la bise noire (…) c’est un excellent temps pour marcher". Il peint 20 carnets de dessins à la pierre noire et à l’aquarelle. Bien que de petits formats (18x12), la qualité de ces œuvres fera dire aux critiques qu’il a choisi une carrière musicale, alors que les gloires de la peinture l’attendaient. De ses voyages en Italie, en Angleterre, en Hollande, il tire de nouveaux dessins, prenant soin d’associer musique et peinture. Pour lui "Rembrandt a des coups de pinceaux à la Beethoven" et sa visite de la Forêt Noire s’émerveille de la découverte de la Tétralogie.
En 1905 il perd son épouse, emportée par la maladie. Il quitte l’Ardèche et s’installe à Agay (83). Il y épousera Caroline Janson. Depuis sa villa méditerranéenne construite sur les pentes de l’Esterel, il contemple toujours les paysages devenus autrement. Il compose "poème des rivages" et reprend ses pinceaux. Sur ses carnets, le rouge ocre des montagnes alterne avec les bleus des marines. Les teintes sont plus vives, éclairées par le soleil de Provence. Il peint les remparts d’Aigues-Mortes, le Ventoux, le pont du Gard, etc. Il meurt à Paris le 2 décembre 1931 après une vie consacrée à "prendre des notes en couleur".
Cet extraordinaire compositeur a mis l’Ardèche en musique et la musique en peinture. Ses « gammes » de couleurs dansent encore au son des symphonies dans la douceur des paysages que nous connaissons.
Dans cet univers créateur inspiré de la seule vraie nature où les arts authentiques se confondent, D’Indy renvoie les images artificielles de Luc Besson aux archives d’Hollywood et le cubisme de Picasso aux cônes antiques des Pyramides.